Le
31 janvier dernier, 77 sénateurs et 65 députés ont saisi le Conseil constitutionnel
français contre une loi pénalisant la négation du génocide arménien. Ils
espèrent voir la loi déclarée inconstitutionnelle.
Ceci
suspendrait la promulgation de la loi qui a été votée à l'Assemblée nationale
ainsi qu'au Sénat. Cette loi qui rend la négation du génocide arménien passible
d'une amende de 45 000 euros et d'un an d'emprisonnement est fortement
soutenue par le président Nicolas Sarkozy.
Quatre-vingt-dix-septparlementaires UMP (Union pour un mouvement populaire) et 39 sénateurs et
députés de la « gauche » bourgeoise (Parti socialiste, PS, Parti
communiste et Verts) ont apporté leur soutien à ce recours devant le Conseil
constitutionnel qui dispose d'un mois pour statuer.
Cette
loi est une intervention réactionnaire de l'État contre les droits
démocratiques et la liberté de l'enquête historique, et qui est fondée sur de
gros calculs politiciens. Néanmoins les législateurs remettant cette loi en
question sont eux-mêmes mus par des motivations du même ordre.
La
motivation principale de la bourgeoisie française et de ses législateurs n'est
pas le massacre de quelque 600 000 à 1,5 million d'Arméniens par les l'État
turc entre 1915 et 1918. C'est plutôt le conflit entre le désir du président
Nicolas Sarkozy de promouvoir la loi, dans le but de récolter des voix pour sa
ré-élection à la présidentielle d'avril-mai, et l'impact que cette loi aura sur
les intérêts géopolitiques de l'impérialisme français.
Le recours devant le Conseil constitutionnel est
le signe d'une nervosité considérable de sections de la bourgeoisie française
quant aux dommages causés par cette loi aux relations franco-turques. La
Turquie qui, de son côté, pénalise toute référence au génocide arménien, joue
un rôle clé dans les projets avancés d'intervention armée en Syrie par les
puissances de l'OTAN et qui ont pour but d'évincer le président syrien Bashar
al-Assad et d'imposer un régime mieux disposé envers leurs intérêts. Le
principal groupe « d'opposition » armé soutenu par l'OTAN, l'Armée
syrienne libre (ASL), est basé en Turquie.
De plus comme le rapporte France 24, « Hors
Union européenne, la Turquie est aujourd'hui le troisième partenaire commercial
de la France après les États-Unis et la Chine et devant le Japon. Les échanges
entre les deux pays ont représenté 12 milliards d'euros en 2012, selon le Quai
d'Orsay. La France espérait, avant la polémique autour de la loi sur les
génocides, atteindre les 15 milliards d'euros en 2015. »
La
cote de popularité de Sarkozy se situe à 30 pour cent et les sondages le
donnent bien derrière le candidat le mieux placé François Hollande, candidat du
PS, suivi de près par Marine Le Pen du Front national néo-fasciste.
Si
Sarkozy est tellement déterminé à faire voter cette loi, c'est qu'il cherche à
gagner les voix des 600 000 électeurs de la communauté arménienne de
France, largement en faveur d'une telle législation, ainsi que les voix des
sympathisants islamophobes d'extrême-droite du Front national néo-fasciste. De
telles considérations jouent aussi un rôle majeur dans l'opposition persistante
de Sarkozy à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.
La
loi interdisant la négation du massacre arménien a d'abord été votée à
l'Assemblée nationale le 22 décembre. Elle a été soutenue par des députés de
l'UMP, du PS et du PCF, mais seuls 50 députés sur 577 étaient présents à
l'Assemblée nationale au moment du vote. Six ont voté contre. La crise
diplomatique causée par cette provocation contre le gouvernement turc a crée de
vives divisions au sein de l'UMP au pouvoir.
Le
premier ministre turc Recep Tayip Erdogan a réagi au vote de l'Assemblée
nationale en annonçant qu'il suspendait les visites bilatérales entre la France
et la Turquie et qu'il rappelait l'ambassadeur turc. Il a déclaré que «les exercices militaires
conjoints avec la France et toutes les activités militaires avec ce pays ont
été annulés. » Il a dit que toute demande militaire française d'utiliser
l'espace aérien turc serait considérée au cas par cas et a dit qu'il
rejetterait dorénavant toute demande française pour ses bâtiments de guerre
de visiter les ports turcs.
Le
ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé a, en privé, condamné la
loi et cherché à rétablir de bonnes relations avec la Turquie. Il a dit que ,
«La Turquie est pour la France un allié et un partenaire stratégique, » et que
« nous (la France et la Turquie)
maintenions ouvertes les voies du dialogue et de la coopération. »
La
loi a été approuvée au sénat le 30 janvier par 127 voix contre 86. La Turquie a
fait pression sur les parlementaires français pour qu'ils saisissent le Conseil
constitutionnel et a exprimé sa satisfaction quand cela a été fait.
Certains
hommes politiques turcs ont menacé de faire une loi interdisant la négation des
massacres perpétrés par l'impérialisme français contre le peuple algérien
durant la guerre d'indépendance menée par l'Algérie contre la France.
La
loi française est aussi confrontée aux critiques de la communauté artistique et
intellectuelle turque. Le célèbre écrivain turc Orhan Pamuk, qui a reçu des
menaces de mort et a été harcelé par l'État turc pour avoir affirmé l'existence
du génocide, a condamné la loi disant qu'elle est antidémocratique.
Lorsqu'une
tentative antérieure de faire voter une telle loi avait été faite en 2006, le
journaliste turco-arménien Hrant Dink qui avait été jeté en prison en Turquie
pour avoir affirmé l'existence du génocide, avait déclaré que si elle était
votée, lui-même braverait cette loi en venant en France et en niant le
génocide. Il avait dit : « Comment pourra-t-on à l'avenir combattre
des lois qui nous interdisent de parler d'un génocide, si la France, de son
côté, fait maintenant la même chose ? » Dink fut assassiné en janvier
2007 par un fasciste turc.