A la veille du
30ème anniversaire de la guerre entre la Grande-Bretagne et l'Argentine, la
tension monte à nouveau au sujet des îles Malouines.
La présidente argentine, Cristina Fernandez
de Kirchner, a réuni mardi une audience extraordinaire comprenant des membres
du cabinet, des gouverneurs, des commandants militaires, des membres de
l'opposition politique, des permanents syndicaux, des dirigeants d'associations
sociales et des vétérans de la guerre des Malouines de 1982 pour prononcer un
discours et annoncer que son gouvernement envisageait de s'adresser au Conseil
de sécurité des Nations unies pour accuser la Grande-Bretagne de
« militariser » l'Atlantique Sud.
La décision fait suite à une série de
démarches du gouvernement conservateur du premier ministre David Cameron et qui
ont été largement perçues en Argentine comme des provocations directes.
La Grande-Bretagne a annoncé qu'elle allait
déployer son navire de guerre le plus sophistiqué, le destroyer lance-missile
HMS Dauntless, dans l'Atlantique-Sud où est également stationné un sous-marin
nucléaire d'attaque du type Trafalgar qui dispose de missiles de croisière
Tomahawk.
Le gouvernement argentin a également pris
comme un affront direct l'annonce de la semaine passée que le prince William,
deuxième dans l'ordre de succession à la couronne britannique, serait envoyé,
en uniforme de pilote d'hélicoptère, sur le terrain contesté qui est connu en
Grande-Bretagne sous le nom des îles Falkland.
La dernière mesure en date fait suite à une
rhétorique enflammée du gouvernement Cameron suite à une décision prise en
décembre dernier par les Etats membres du bloc commercial sud-américain,
Mercosur, d'interdire l'accès de ses ports aux navires sous pavillon des îles
Falkland.
Les responsables britanniques ont qualifié
cette décision de « blocus » tandis que Cameron accusait cyniquement
l'Argentine de « colonialisme » parce ce qu'elle ne respectait pas le
droit supposé de quelques 3.000 résidents britanniques sur l'île - protégés par
une garnison de 1.700 soldats, d'avions de combat et de navires de guerre - le
droit à l'« auto-détermination. »
L'Argentine revendique depuis longtemps les
Malouines, ancien territoire colonial espagnol, qui fut saisi par les
Britanniques en 1833 durant la guerre d'indépendance de l'Argentine. Les
Nations Unies traitent les Malouines comme étant une question de colonialisme
britannique et, sur la base du droit international, excluent spécifiquement le
principe d'« auto-détermination » pour les colons britanniques comme
étant source de perturbation de l'unité nationale argentine et de l'intégrité
territoriale.
L'armée argentine avait envahi les Maouines
en avril 1982 sous la dictature militaire dirigée par le général Leopoldo
Galtieri. L'aventure militaire mal préparée faisait partie d'une tentative
désespérée de la junte militaire de détourner l'attention de l'opposition de
masse grandissante, favorisée par une crise économique et une hostilité
populaire croissantes contre les crimes de la dictature qui avait assassiné
quelque 30.000 personnes et torturé et emprisonné bien davantage.
La dictature argentine avait commis l'erreur
tragique d'anticiper le soutien des Etats-Unis pour ses actions au motif d'une
collaboration antérieure avec Washington dans une répression meurtrière contre
des gauchistes partout dans le cône Sud de l'Amérique latine, ainsi que la mise
à disposition de « conseillers » pour les sales guerres menées en
Amérique centrale sous les auspices des Etats-Unis. Au lieu de cela, toutefois,
et tout en maintenant une position de neutralité officielle, Washington avait apporté
un soutien logistique crucial à la Grande-Bretagne, considérant que la défaite
d'une puissance impérialiste, quand bien même occasionnée par une junte
militaire pro-américaine de droite, serait un précédent inacceptable.
Dans le conflit partisan qui s'ensuivit, 649
soldats argentins et 255 soldats britanniques, marins et aviateurs furent tués.
Le naufrage du croiseur argentin le Général Belgrano à lui seul avait fait 323
victimes alors que 194 soldats piètrement armés et mal vêtus, la majorité
d'entre eux étant de jeunes appelés, mouraient sur l'île.
Cette débâcle avait provoqué une opposition
de masse contre la junte et avait entraîné sa chute en l'espace de moins d'un
an.
Dans son allocution, Fernandez a tenu à
dissocier la campagne actuelle lancée par son gouvernement sur les Malouines,
de la désastreuse guerre menée par la dictature. « Nous sommes un peuple
qui a souffert de trop de violence dans notre pays, » a-t-elle dit.
« Ni le fait de jouer avec des fusils ni les guerres ne nous attire, bien
au contraire. »
Toutefois, signe que le gouvernement
cherche à en appeler aux sentiments nationalistes, le
ministre argentin de la Défense Arturo Puricelli, a déclaré mercredi que bien
que le pays cherche à revendiquer les Malouines « par voie
diplomatique », l'Argentine « exercerait son droit de légitime
défense » si des forces armées britanniques envahissaient le territoire du
pays.
Fernandez s'est sentie obligée de réagir à
l'opinion très répandue que son gouvernement avait une fois de plus mis en
avant la question des Malouines pour exactement les mêmes raisons que la
dictature militaire l'avait fait il y a 30 ans : pour utiliser la question
nationale comme moyen de détourner l'attention des tensions sociales accrues.
Le lendemain du discours présidentiel, des
dirigeants parlementaires ont annoncé les résultats des analyses réalisées par
de multiples instituts économiques sur le taux d'inflation du pays pour
constater qu'il atteignait 1,9 pour cent en janvier, soit le même niveau que le
mois précédent.
La hausse des prix s'est accompagnée d'un
ralentissement de la croissance économique alors que la crise capitaliste
mondiale a conduit à une chute de la demande des principales exportations du
pays en l'occurrence le blé et le soja. Le gouvernement a commencé à réduire les
subventions sur les factures des services publics et autres dépenses pour
essayer de contrer une aggravation du déficit.
L'auditoire rassemblé pour le discours de
Fernandez indique clairement l'effort entrepris pour promouvoir l'unité
nationale au sujet des Malouines dans le contexte de conflits de classe
imminents.
Fernandez a retourné aux Britanniques
l'accusation de recourir au chauvinisme dans le but de détourner l'attention de
la population en suggérant toutefois, à juste titre, que la même dynamique
politique était à l'oeuvre dans l'attitude belliqueuse du gouvernement de
Cameron.
« Je pourrais répéter ce que certains
journaux anglais ont dit, que certaines décisions prises ou certaines phrases
employées ont plus à voir avec la situation économique à laquelle la Vieille
Europe ou la Vieille Angleterre est confrontée, » a dit Fernandez.
« Mais, je ne vais pas recourir à une rhétorique journalistique. Je veux
simplement demander au premier ministre anglais de donner une chance à la paix. »
En effet, Cameron a de bonnes raisons de
vouloir se présenter en Margaret Thatcher et de se servir d'un conflit sur les
Malouines pour détourner l'attention des inégalités sociales sans précédent qui
existent en Grande-Bretagne et de la colère grandissante à l'encontre des
mesures d'austérité du gouvernement.
Ce qui sous-tend ce conflit se sont les
intérêts de profits. La tension a considérablement augmenté depuis 2010, où le
gouvernement britannique a accordé des contrats de forage d'exploration au
large des Malouines et qui, selon des géologues, pourrait contenir jusqu'à 60
milliards de barils de pétrole.
Dans une situation où les élites dirigeantes
des Etats-Unis et de l'Europe occidentale ont mené plusieurs guerres pour
s'assurer le contrôle des ressources énergétiques du golfe Persique et d'Asie
centrale, un conflit au sujet de réserves potentielles dans l'Atlantique Sud
est inévitable.
Alors que l'Argentine en tant que nation
historiquement opprimée est en droit de revendiquer les Malouines et de lutter
pour l'expulsion de l'impérialisme britannique, la longue histoire de la
bourgeoisie argentine, et notamment du mouvement péroniste auquel Fernandez est
affiliée, montre clairement que cette classe dirigeante autochtone est
incapable de mener une telle lutte, ni ne souhaite le faire.
Ce que le gouvernement capitaliste de
l'Argentine recherche en réclamant des « négociations » et un
« dialogue » avec la Grande-Bretagne au sujet du statut des Malouines
c'est d'un côté, un moyen de détourner les travailleurs argentins de la lutte
des classes à l'intérieur du pays et de l'autre, la possibilité de tirer partie
des profits en facilitant l'exploitation des ressources de la région par un
capital étranger.