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Cent ans depuis l'annus mirabilis d'Albert Einstein

Première partie

Par Peter Symonds
Le 11 juillet 2005

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Voici la première de quatre parties sur les contributions scientifiques d'Einstein. Les trois autres parties seront publiées au cours de la semaine.

Le 30 juin marque le 100e anniversaire de parution de l'article scientifique d'Albert Einstein « Sur l'électrodynamique des corps en mouvement » dans le prestigieux journal scientifique allemand Annalen der Physik. Ce titre sobre ne laissait pas présager une révolution dans la pensée scientifique. Mieux connue sous le nom de théorie de la relativité restreinte, l'article revoyait les conceptions fondamentales de l'espace et du temps sur lesquelles la physique s'était fondée depuis plus de deux cents ans. Plus amplement élaborée en 1915 sous le nom de théorie de la relativité généralisée, cet article reste l'un des deux piliers centraux de la physique moderne.

Bien que la théorie de la relativité soit la contribution pour laquelle il est le plus connu, Einstein a produit quatre autres articles scientifiques en 1905, tous révélant l'étincelle du génie et ayant eu une immense influence. En fait, les conséquences d'un premier article publié en mars, dans lequel il brisait la vision orthodoxe de la lumière perçue comme étant une onde, n'étaient pas moins significatives que sa théorie de la relativité. L'hypothèse d'Einstein selon laquelle la lumière peut prendre la forme de paquets d'énergie, ou quanta, formait l'élément clé de ce qui allait devenir au milieu des années 1920 la mécanique quantique - le second pilier de la physique.

De façon remarquable, ces articles innovateurs, rédigés en l'espace de six mois, provenaient d'un physicien inconnu de 26 ans qui occupait un poste d'assistant technique au Bureau des inventions techniques suisse de Berne. Hormis son cercle de jeunes amis et collègues proches, il travaillait dans un isolement relatif sans mentor ou proche collaboration d'aucun grand physicien de l'époque. Devant cette production étonnante, les scientifiques et les historiens des sciences s'émerveillent sur ce que l'on a communément appelé l'annus mirabilis, soit l'année miraculeuse d'Einstein.

Le bouleversement scientifique déclenché par Einstein n'a pas seulement transformé notre compréhension de la nature, depuis le fonctionnement interne de l'atome jusqu'au visage de l'univers même, mais il a également ouvert la porte à tout un éventail de technologies. Pas la moindre sphère de la chimie ou de la physique n'a été épargnée par la mécanique quantique, essentielle à notre compréhension de l'électronique et présente dans la conception des micropuces sur lesquels reposent les développements époustouflants de l'informatique et des communications. La mécanique quantique est également fondamentale en chimie moléculaire, de même que pour notre connaissance de l'ADN et de la génétique, comme du domaine en constante évolution de la biotechnologie.

La relativité restreinte a prédit que la masse pouvait être convertie en énergie, et vice-versa, fournissant ainsi la clé de la compréhension de l'énergie nucléaire. Ce faisant, elle révélait le secret des processus alimentant le Soleil et les étoiles en énergie, de même que de leur formation et de leur développement. La relativité générale a fondamentalement transformé notre perception de l'univers. La théorie prédisait que l'univers était en expansion, un phénomène corroboré par des données d'observation une décennie plus tard. Elle jetait également les bases de notre compréhension de l'évolution du Cosmos depuis une explosion qui eut lieu à l'origine des temps, le «Big Bang».

Les fondements de la physique moderne ont été établis par toute une génération de physiciens, notamment Neils Bohr, Erwin Schrödinger, Werner Heisenberg, Max Born, Paul Dirac et Satyendranath Bose, pour ne nommer que quelques uns des plus proéminents et brillants. Beaucoup d'entre eux ont puisé leur inspiration, directement ou indirectement, des travaux de 1905 d'Einstein. Un siècle plus tard, les physiciens sont toujours préoccupés à résoudre les conséquences théoriques avant-gardistes des percées de 1905.

Bien qu'il ait été un individu de génie, Einstein ne peut être compris hors de son époque. Un siècle d'expansion industrielle rapide en Europe et dans le reste du monde a profondément transformé le caractère de la science. Le capitalisme a apporté des innovations technologiques qui en retour ont provoqué de nouvelles interrogations scientifiques et créé de nouveaux outils pour leur résolution. La science est devenue une profession établie plutôt que la poursuite de gentlemen disposant de moyens indépendants, comme c'était le cas au XVIIIe siècle. On évalue que le nombre de scientifiques dans le monde est passé d'un maigre 1000 personnes en 1800 à 100 000 en 1900.

L'impact de la science et de la technologie est devenu évident dans bien des aspects du quotidien - du télégraphe à l'éclairage électrique, en passant par la radio et les progrès médicaux - suscitant par le fait même un intérêt populaire pour les réalisations scientifiques et un optimisme dans les capacités de l'humanité de comprendre l'univers. Ces sentiments propagés par la presse populaire, les écoles et les collèges, tiraient leurs racines profondes dans la longue lutte contre la religion et la superstition des XVIIe et XVIIIe siècles lors de la période qu'on a appelée les Lumières.

Parallèlement, le capitalisme était secoué par des contradictions internes qui ont pris la forme de l'éruption de la Première Guerre mondiale de 1914. L'expansion économique rapide en Europe et l'étalement des empires coloniaux outre-mer a poussé les principales puissances au conflit. Le militarisme et le chauvinisme étaient en progression. Sous une surface apparemment stable bouillonnaient des courants révolutionnaires dont l'expression la plus acérée a été la révolution de 1905 en Russie. Ces profondes tensions se sont reflétées dans l'existence d'un mouvement socialiste de masse qui s'est fait le défenseur de la science et de la technologie comme éléments essentiels d'une réorganisation rationnelle de la société.

La même année qu'Einstein rédigeait ses articles scientifiques avant-gardistes, un autre génie de 26 ans, Lev Davidovich Bronstein, mieux connu sous le pseudonyme de Léon Trotsky, était au centre des convulsions révolutionnaires en Russie en tant que président du soviet des députés ouvriers de Petrograd. Tirant les leçons politiques de ces expériences, Trotsky formula sa théorie de la révolution permanente qui allait fournir les conceptions stratégiques essentielles de la révolution russe d'octobre 1917. Einstein et Trotsky sont nés la même année et, bien qu'ayant évolué dans des domaines très différents, ils sont tous deux allés au delà des cadres précédemment acceptés pour concevoir des solutions théoriques saisisantes à de nouveaux problèmes semblant alors insurmontables. Bien que le parallèle puisse être rejeté comme relevant d'une simple coïncidence frappante, il n'est pas tout à fait accidentel et démontre toute l'importance du ferment politique, culturel et intellectuel de l'Europe d'alors. [1]

La jeunesse d'Einstein

Dans tous les sens, Einstein était un produit de son temps. Né à Ulm en Allemagne en 1879, il a grandit à Munich où son père et son oncle exploitaient une manufacture d'équipement électrique. De ses parents juifs non-pratiquants, il acquis l'amour de la littérature, de la culture et de la musique. Il a appris le violon, instrument qu'il a continué de jouer toute sa vie adulte et qu'il emportait partout où il voyageait. Il a développé un intérêt pour la science et les mathématiques dès le plus jeune âge, encouragé en cela par son oncle et des lectures avides.

À l'école, Einstein a développé une aversion marquée pour l'apprentissage par coeur et la discipline. Son indépendance entêtée trouva sa première expression dans une période initiale de ferveur religieuse, en opposition à ses parents non religieux. Cette période se termina abruptement comme il l'expliquera plus tard, à l'âge de 12 ans. «À force de lire des ouvrages de vulgarisation scientifique, j'ai bientôt eu la conviction que beaucoup d'histoires de la Bible ne pouvaient pas être vraies. La conséquence a été une véritable orgie fanatique de libre pensée accompagnée de l'impression que l'État trompe intentionnellement la jeunesse par des mensonges. C'était une impression écrasante. Cette expérience m'a amené à me méfier de toutes les espèces d'autorité, à considérer avec scepticisme les convictions entretenues dans tout milieu social spécifique : une attitude qui ne m'a jamais quitté. » [2]

Lorsque sa famille déménagea en Italie en 1894, Einstein parti pour la Suisse à l'âge de 16 ans pour entrer à la prestigieuse École polytechnique fédérale (ETH) où il fut finalement admis en 1896. Il a séché les cours qui ne l'intéressaient pas pour suivre ceux de sa prédilection, en plus de passer beaucoup de temps au laboratoire expérimental. Son indépendance déterminée contraria beaucoup de ses professeurs. Exaspéré, l'un de ces derniers, Heinrich Friedrich Weber, aurait déclaré : «Vous êtes brillant, Einstein, très brillant. Mais vous avez un gros défaut : on ne peut rien vous dire.» [3]

Einstein avait un groupe d'amis proches aimant discuter avec passion des tous derniers développements de la physique, de la philosophie et de la culture. Parmi ceux-ci, il y avait son camarade de classe Marcel Grossmann vers qui il allait plus tard se tourner pour avoir de l'aide en mathématiques pour la formulation de la relativité généralisée, de même que l'ingénieure Michèle Angelo Besso, qui resta une amie proche pendant toute sa vie. Einstein rencontra également une collègue étudiante, Mileva Maric, dont il tomba amoureux. Serbe, Mileva était venue dans la relativement libérale Suisse pour poursuivre ses études. Elle était la cinquième femme seulement à avoir jamais été admise en physique à l'ETH.

Einstein obtint son diplôme de l'ETH en 1900. Sa réputation d'indépendant entêté a sans doute été l'une des raisons pour lesquelles il n'a pas réussi à obtenir de poste à l'ETH ou en tant qu'assistant universitaire dans une autre institution. C'est grâce à Grossman qu'il a obtenu un poste au Bureau des inventions techniques de Berne en 1902. L'année suivante, lui et Mileva se mariaient. Son travail au Bureau des inventions techniques non seulement lui permettait de poursuivre ses propres recherches scientifiques, mais stimulait également une fascination pour les appareils et les expériences ingénieuses qui ne l'a jamais quitté. C'est ici qu'il a perfectionné son extraordinaire capacité à pénétrer l'essentiel d'un problème scientifique.

Son collègue physicien John Wheeler a écrit : «Tous les matins, il devait abattre son quota de demandes de brevet. À cette époque, toute demande de brevet devait être accompagnée d'un modèle en état de fonctionnement. Au-dessus des demandes et des modèles se trouvait un maître, un homme bon, strict et averti. Il donnait des instructions strictes : tout expliquer très brièvement, si possible en une phrase, pourquoi l'invention fonctionnera ou non; pourquoi la demande doit être approuvée ou refusée. Jour après jour Einstein devait ainsi distiller la leçon centrale d'objets de la plus grande variété que l'homme pouvait inventer. Qui connaît une meilleure façon d'acquérir un sens de ce qu'est la physique et son fonctionnement?» [4]

Alors qu'il était à l'emploi du Bureau des inventions techniques de Berne, Einstein a publié ses premiers articles scientifiques et entreprit son doctorat, puis, en 1905, comme il allait le décrire plus tard, «un orage a éclaté dans ma tête». [5] Pour comprendre ce qui tourmentait Einstein, il est nécessaire d'examiner le développement de la physique au XIXe siècle.

Les accomplissements de la physique au XIXe siècle

Contrairement à d'autres branches de la science, telles que la biologie ou la géologie où l'on se concentre sur les complexités de la vie ou la structure de la Terre, la physique traite des lois objectives plus essentielles de la nature dans son ensemble : comment et pourquoi les objets se déplacent; que sont la lumière et le son; quelle est la structure de base de la matière? Ses racines remontent aux XVIe et XVIIe siècles, période de la vaste lutte politique et intellectuelle de la bourgeoisie émergeante contre le féodalisme et la domination de l'église catholique romaine. Sans lutte contre le dogme religieux, la science est impossible.

Comme Friedrich Engels l'a succinctement expliqué : «En ce temps, l'étude de la nature se faisait, elle aussi, au beau milieu de la révo-lution générale et elle était elle-même de part en part révolutionnaire : n'avait-elle pas à conquérir son droit à l'existence dans la lutte? La main dans la main avec les grands Italiens de qui date la philosophie moderne, elle a fourni ses martyrs aux bû-chers et aux cachots de l'Inquisition. [] L'acte révolutionnaire par lequel la science de la nature proclama son indépen-dance [] fut la publication de l'oeuvre immortelle dans laquelle Copernic ­ quoique avec timidité, et, pourrait-on dire, seulement sur son lit de mort ­ défia l'autorité ecclésias-tique en ce qui concerne les choses de la nature.» [6]

En déclarant que les mouvements planétaires pouvaient être expliqués plus simplement par le fait qu'ils effectuaient des orbites autour du Soleil et non autour de la Terre, Nicolas Copernic provoqua l'étude de la nature du mouvement même. Galileo Galilée s'attela à combattre les objections évidentes. Si la Terre tournait autour du Soleil, pourquoi n'y avait-il pas de preuve de son mouvement? Pourquoi les objets lancés en l'air ne disparaissaient pas au loin? En fait même, qu'est ce qui faisait que la terre pouvait se déplacer?

Les réponses venaient contredire le postulat remontant à Aristote selon lequel tout mouvement nécessite une force. Avec son principe de l'inertie par la suite raffiné par Isaac Newton, Galilée déclara que tous les objets, y compris la Terre, n'avaient pas besoin de force externe pour se mouvoir, mais plutôt qu'ils continuaient de se déplacer à vitesse constante à moins d'être ralentis par un frottement ou la résistance de l'air. Ainsi la Terre, et tout ce qui se trouvait à sa surface, allait continuer de se mouvoir autour du Soleil parce qu'il n'y avait pas de force qui s'y opposait.

L'ouvrage Philosphiae Naturalis Principia Mathematica de Newton publié en 1697, réunit et développa les travaux de Copernic et de Galilée, de même que ceux des astronomes Tycho Brahe et Johannes Kepler. Newton identifia les trois lois fondamentales du mouvement et, pour les appliquer, il développa avec Gottfried Wilhelm Leibniz une nouvelle branche des mathématiques: le calcul différentiel et intégral.

Contrairement à Galilée, Newton insista sur le fait que le principe de l'inertie ne s'appliquait que pour les mouvements en ligne droite et non circulaires. Qu'est ce qui contraignait les planètes a se mouvoir en orbites elliptiques autour du Soleil comme l'avait décrit Kepler? Newton en vint à la conclusion que les mêmes forces gravitationnelles de l'attraction, qui faisaient que les objets retombaient sur Terre, s'exerçaient entre n'importe quelles masses, y compris le Soleil et les planètes. En se basant sur la loi universelle de la gravité et les lois du mouvement, il parvint à expliquer la trajectoire des planètes.

Les découvertes de Newton ont été des armes intellectuelles indispensables dans les efforts des philosophes matérialistes des Lumières pour démontrer que la nature obéit à des lois objectives compréhensibles et non à une volonté divine incompréhensible. Dans le système de Newton, Dieu n'est plus nécessaire pour maintenir le mouvement des planètes qui pouvaient être calculé à un haut niveau de précision avec les outils du calcul. L'affirmation de Newton selon laquelle Dieu devait avoir mis le système planétaire en mouvement disparut par la suite grâce aux débuts de la compréhension avec Emmanuel Kant des origines et de l'évolution du système solaire.

À suivre


Notes :


1. Ces conceptions sont expliquées plus en profondeur dans l'article «Pour une réévaluation de l'héritage de Trotsky et de sa place dans l'histoire du XXe siècle», David North, World Socialist Web Site, 29 juin 2001.

2. « Autobiographical Notes », dans World Treasury of Physics, Astronomy and Mathematics, publié par Timothy Ferris, Little Brown & Company, 1991, p. 578.

3. Subtle is the Lord: The Science and the Life of Albert Einstein, Abraham Pais, Oxford University Press, 1982, p. 44.

4. « Albert Einstein », par John Archibald Wheeler, dans World Treasury of Physics, Astronomy and Mathematic, op. cit, p.568.

5. Cité dans Einstein 1905 The Standard of Greatness, John S. Rigden, Harvard University Press, 2005, p. 2.

6. Dialectique de la nature, Friedrich Engels, Éditions du Progrès, 1976, p. 22.



 

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