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Les infirmières québécoises votent à 93 % pour la poursuite de la grève illégale.

Par Jacques Richard
7 juillet 1999

Le vote massif des infirmières québécoises de 93 % pour la poursuite de la grève, malgré de lourdes sanctions, démontre une détermination à défendre des conditions de travail décentes et des soins de qualité, face à un gouvernement uniquement préoccupé à maintenir sa cote de crédit sur les marchés financiers, même au prix d'une démolition progressive des réseaux publics de la santé, de l'éducation et des autres services vitaux.

Plusieurs années de « virage ambulatoire » ont prouvé que ce n'était rien d'autre qu'un euphémisme pour un assaut frontal sur le système de santé. Les coupures budgétaires effectués par tous les niveaux de gouvernement ont saigné le réseau à blanc. Sept hôpitaux ont été fermés rien que dans la région de Montréal. Des milliers de travailleurs de la santé à travers la province, y compris de nombreuses infirmières d'expérience, ont été poussés à accepter une retraite anticipitée, sous la menace d'une coupure salariale généralisée de 6 p. cent. L'impact était plus que prévisible : urgences constamment débordées, listes d'attente de plus en plus longues, fermetures de lits, surcharge de travail, etc.

Cette grève « illégale » tire toute sa légitimité du fait qu'elle constitue, après toutes ces années de sévères coupures, un premier geste d'opposition de masse. C'est pourquoi elle a généré une telle sympathie populaire. Cependant, une faiblesse essentielle a entaché la grève dès le début : le fait qu'elle soit basée sur une perspective syndicale plutot que sur une mobilisation politique faisant appel à toute la force de la classe ouvrière contre la politique du défict zéro du gouvernement. Cette perspective est encore plus limitée par le fait que la FIIQ divise les infirmières des 300 000 autres travailleurs du secteur publique présentement en négociation. « Les infirmières sont un cas spécial », n'ont cessé de marteler les dirigeantes de la FIIQ, alors que l'insécurité économique, l'augmentation de la charge de travail, la baisse du niveau de vie caractérisent non seulement le secteur public québécois, mais le monde du travail en son entier.

La stratégie de la direction de la FIIQ revient à exploiter l'esprit de sacrifice des infirmières et l'évidente sympathie populaire pour en arriver à une entente séparée, préférablement bonifiée, avec le gouvernement Bouchard. Cette réduction de la lutte des infirmières à des questions purement syndicales (liées à leurs salaires et clauses normatives) ferme la voie à tout développement, dans un contexte où Québec mise sur l'usure avec le temps. Les infirmières doivent prendre garde : leur lutte sera menée dans un cul-de-sac si elle ne déborde pas du cadre restrictif de la politique syndicaliste de protestations pour devenir un mouvement social large et conscient, offrant une alternative progressiste à la politique budgétaire du gouvernement Bouchard.

Car les enjeux de cette grève dépassent de loin les seules conditions de travail des infirmières pour embrasser des questions aussi fondamentales que l'allocation des budgets, et en l'occurence l'avenir du réseau public de la santé, dans une société dominée par des marchés financiers et des conglomérats globaux qui veulent tout transformer - y compris la médecine - en une source additionnelle de profits, au détriment de considérations sociales et humaines.

L'action des infirmières pose objectivement un défi à toute la politique socio-économique de Québec, qui ne diffère pas fondamentalement de celle suivie par les autres paliers de gouvernement, à savoir : satisfaire les exigences des marchés financiers globaux et promouvoir un climat fiscal « propice aux affaires », par l'adoption de strictes mesures néo-libérales qui impliquent de féroces coupures budgétaires et l'élimination de tout vestige d'état-providence. C'est là le sens véritable du « déficit zéro » d'ici l'an 2000 que s'est fixé le gouvernement.

Un élément plus récent de la politique gouvernementale, que Bouchard a ouvertement opposé aux demandes salariales des employés du secteur public, c'est l'engagement de réduire les taxes de $1,5 milliards d'ici la fin de son mandat. Suivant le modèle tracé par le gouvernement ultra-conservateur de Mike Harris en Ontario, une telle mesure ne peut résulter qu'en un transfert additionnel de la richesse collective vers les couches plus aisées, que Bouchard espère mobiliser en faveur de la ligne dure qu'il a adoptée.

Les principales associations d'employeurs ont répondu à l'appel. Le Conseil du patronat du Québec, l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec et la Chambre de commerce du Québec ont exhorté le gouvernement à « garder le cap et [à] ne pas céder devant de tels procédés. Autrement, il y a fort à parier que la voie de l'illégalité sera tracée pour d'autres qui suivront l'exemple de la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec en utilisant les mêmes recours.»

Par contre, des voix dissendantes se sont élevées pour exprimer l'inquiétude régnant dans les milieux dirigeants devant l'escalade du conflit. « Contrairement au rôle prépondérant qu'il exerce dans les périodes de conflit ou de grandes tensions sociales », a écrit lundi l'éditeur-adjoint de La Presse, « Lucien Bouchard n'a pas été à la hauteur depuis le début de ce conflit. Amer, agressif, vindicatif, ce Duplessis des temps modernes qui veut tout contrôler semble gravement contrarié par les refus répétés des infirmières d'obéir à ses ordres. » L'article suggérait ensuite une méthode « douce » pour casser la grève : la reconnaissance formelle et nullement contraignante des demandes salariales des infirmières dans le cadre, par exemple, d'une « médiation extraordinaire ».

En échange de concessions minimes aux infirmières, raisonnent ceux qui favorisent une telle approche, le gouvernement signerait une grande victoire politique. Aux 300.000 autres travailleurs du secteur public québécois dont la convention collective est également échue, à tous ceux et celles qui voudraient se mettre à l'avenir sur son chemin alors qu'il accélère le démantèlement du réseau de la santé, Québec aurait une réponse toute faite : c'est peine perdue, les infirmières ont essayé, elles ont défié la loi, elles avaient le gros de la population derrière elles, et nous n'avons pas bougé d'un iota dans notre politique fondamentale.

Bien que cette voie ne soit pas exclue, surtout si la grève perdure, le gouvernement péquiste a plutôt opté pour l'artillerie lourde, appliquant dès le début de la grève la loi 160 et adoptant vendredi une loi spéciale (la loi 72) pour forcer un retour au travail. La loi 72 n'attaque pas directement les infirmières et cible plutôt leur syndicat, en suspendant pour douze semaines le paiement des libérations syndicales et en lui imposant des amendes qui pourraient s'élever au quart de son budget. Elle vise également les pharmaciens en les plaçant sous le régime du chien de garde du gouvernement, le Conseil des services essentiels, afin de rendre par avance illégale leur démission collective prévue pour septembre en protestation contre les coupures budgétaires.

Face à l'évidente sympathie populaire pour les infirmières en grève, Québec a dû y aller par étapes et avec précautions, évitant jusqu'ici d'appliquer les sanctions jugées les plus sévères, comme la perte d'un an d'ancienneté par jour de débrayage illégale que prévoit la loi 160. Mais la série de mesures ouvertement anti-syndicales et anti-démocratiques qu'il a adoptée depuis le début du conflit, qui risque d'ailleurs de s'allonger après la rencontre du conseil des ministres mercredi, a une profonde signification politique.

Le gouvernement péquiste est très conscient que sa politique budgétaire et sociale devient de plus en plus impopulaire dans la population, et il veut lancer un message à tous qu'il l'imposera par la force si nécessaire. C'est là le sens de la déclaration faite par Bouchard en déposant la loi spéciale vendredi : « Dans le sillage de cette grève illégale, toutes sortes de groupes nous annoncent des votes de grève illégale. C'est très contagieux, le désordre, très contagieux, l'illégalité des grèves ». Le grand péril à ses yeux (et il voit juste sur ce point) c'est que la grève des infirmières ne déclenche un mouvement social plus large et de nature politique qui mettrait en cause l'essence même de sa politique socio-économique. Et il est prêt à utiliser tous les moyens, même les plus anti-démocratiques, pour y faire face.

Cette menace aux droits les plus fondamentaux, et la politique sociale régressive à laquelle elle est associée, ne peuvent être combattues par les méthodes traditionnelles et dépassées des protestations syndicales, qui ne remettent pas en question le cadre même de la société. Même si la colère des membres de la base a forcé la FIIQ à défier le gouvernement Bouchard, elle a appuyé le PQ et son programme de coupure et endossé le programme de retraite qui a permis au gouvernement d'éliminer des milliers d'emplois dans le secteur de la santé. Le grand défi posé aux infirmières et à tous les travailleurs, c'est de rompre avec la vieille stratégie syndicale et avec les appareils bureaucratiques qui l'incarnent, et de se tourner vers la construction d'un parti politique qui soulèverait ouvertement la question taboue de la vie politique contemporaine : pourquoi toutes les richesses de la société, que ce soit en biens ou en services, comme les soins de santé, servent-elles à enrichir une minorité de spéculateurs financiers, et non à satisfaire les besoins de la population?

Un nouveau parti politique des travailleurs ferait de l'égalité sociale l'axe de son projet de société : si le marché capitaliste devient de plus en plus incompatible avec la santé, l'éducation, l'emploi et la sécurité économique de la population, il doit être remplacé par une société supérieure, une société socialiste, où les immenses progrès technologiques assurent à tous une pleine jouissance des trésors matériels et culturels de la vie moderne.

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