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40 000 infirmières québécoises défient les lois anti-grèves

Par Guy Leblanc
25 juin 1999

La direction de la Fédération des Infirmières et infirmiers du Québec (FIIQ) a annoncé jeudi le 24 juin qu'elle ressuscitait sa menace de grève générale illimitée devant prendre effet samedi le 25 juin. La direction syndicale justifie cette décision en déclarant à la presse qu'« il est devenu évident que les employeurs et le gouvernement ne veulent plus négocier sur quoi que ce soit, ni sur le plan normatif, ni sur le plan salarial ». Il s'agit d'un autre volte face de la FIIQ.

Mardi le 15 juin et le jeudi suivant, plus de 40 000 infirmières de la FIIQ, la Fédération des infirmiers et infirmières du Québec, ont fait la grève, défiant de sévères lois anti-syndicales. Le mot d'ordre de grève a été suivi dans environ 90% des hôpitaux. Le lundi suivant, le 21 juin, les dirigeants de la FIIQ, ont décidé de suspendre leurs menaces de grève générale parce qu'il y avait « une évolution positive du dossier des infirmières », selon la présidente de la FIIQ, Jeannie Skene.

Jugez-en: en une semaine de négociations intensives, ponctuées de deux jours de grève, le gouvernement n'a fait que réitérer un appui purement verbal pour des mesures ayant déjà fait l'objet d'un accord formel sans avoir jamais été implantées, en particulier la conversion des heures supplémentaires en postes permanents (une entente existe à cet effet depuis 2 ans déjà).

La bureaucratie a les doigts entre l'arbre et l'écorce. Elle en appelle à Bouchard de l'aider à soumettre les infirmières en colère. Jennie Skene a dit, selon le Journal de Montréal du 18 juin : « M.Bouchard ne saisit pas la mobilisation extraordinaire des infirmières. Plusieurs d'entre elles voulaient continuer les journées de débrayage. J'ai eu de la difficulté à les faire retourner au travail. Elle sont prêtes pour la guerre et qu'on cesse de nous dire qu'on prend la population en otage. Je dis à M.Bouchard que la population est opprimée par un système de santé qui ne répond plus. »

Leur contrat de travail échu depuis le 30 juin 1998, les infirmières ont demandé 15% d'augmentation salariale sur 3 ans plus un rattrapage de 10%, basé sur une comparaison avec les enseignants et les travailleurs sociaux. Elles demandent aussi la stabilisation des équipes de base, l'attribution des postes vacants et de postes supplémentaires, ainsi que la réduction de la précarité d'emploi pour les jeunes.

La grève que les infirmières ont entreprise n'est pas une petite chose. Elle a été déclarée illégale par le Conseil des services essentiel, parce qu'il n'y avait pas eu de médiation. Un jour (ou une partie de jour) de grève illégale entraîne selon la Loi 160, la perte de 2 jours de salaires pour chacune des infirmières y ayant participé et la perte du prélèvement automatique des cotisations syndicales pendant 12 semaines pour le syndicat. Pour chaque jour de grève, les infirmières sont aussi passibles de perdre un an d'ancienneté, les dirigeants syndicaux d'amendes totalisant des milliers de dollars, les organisations syndicales de 50 000$ d'amendes. De plus parce qu'elles ont défié une ordonnance du Conseil des services essentiels, les dirigeantes syndicales risquent d'être accusées d'outrage au tribunal.

Ces grèves ont suscité une vague de sympathie dans la population, absolument écoeurée par la grave détérioration du réseau de la santé. Les médias ont eu de la difficulté à trouver quelqu'un qui condamnait les infirmières. Dans plusieurs entrevues, on a pu voir des patients, des médecins, même des cadres des hôpitaux, qui disaient comprendre la lutte des infirmières.

En fait, les administrateurs des établissements de santé ont maintes fois publiquement exprimé leur refus d'imposer les mesures prévues par la Loi 160. Si le système de santé ne s'est pas effondré après plusieurs années de sévères coupures, c'est parce qu'ils ont pu abuser sans vergogne du sens de professionnalisme et de la bonne volonté des infirmières et des autres employés de la santé.

Le Premier Ministre du Québec, Lucien Bouchard, a lui montré ses gros bras. « La loi doit suivre son cours dans tous les dossiers sans exceptions ». Il a rajouté que la Loi 160 « faisait l'obligation aux établissements et employeurs d'appliquer les sanctions ». Craignant que le mouvement de grève des infirmières ne contamine les autres travailleurs du secteur public, le gouvernement a envoyé seulement la semaine dernière les plaintes concernant une journée de grève soi-disant illégale des enseignants ayant eu lieu en novembre dernier.

Depuis le début des négociations dans le secteur public, le gouvernement du Parti Québécois, un parti de la grande entreprise qui bénéficie de l'appui de la majorité des bureaucrates syndicaux (par exemple, l'ex-présidente de la FIIQ, Diane Lavallée a été candidate péquiste en 1994), maintient qu'il ne peut donner plus de 5% d'augmentations salariales pour 3 ans. Bouchard lançait en mai un appel pour rallier les classes aisées, indiquant qu'il voulait continuer à contenir le déficit en sabrant dans les programmes sociaux pour redistribuer le surplus budgétaire dégagé en réductions d'impôts. En réponse aux demandes des travailleurs du secteur public qu'il rejeta entièrement, il affirmait: « Nous mettrons autant d'énergie et de détermination dans le réduction des impôts des particulier que nous en avons mis dans l'élimination du déficit. »

La situation est catastrophique dans tout le réseau de la santé. Des années de coupures du système de santé par les différents gouvernements ont mené le système de santé au point de rupture. L'attente pour une chirurgie se calcule parfois en années, les urgences débordent régulièrement, les personnes âgées n'ont très souvent que peu ou aucuns soins à domicile. La fermeture des lits dans les hôpitaux pour étirer les budgets met régulièrement le réseau en crise.

La détérioration du système de santé a un très grand impact sur les conditions de travail dans le réseau même. Souvent les infirmières sont obligées de rester un quart de travail supplémentaire, après une journée surchargée, à cause du manque d'infirmières. Les infirmières bachelières n'ont pas le droit au temps et demi prévu pour le temps supplémentaire, et doivent normalement se faire repayer par des congés. Mais, il est impossible de le faire, à cause du manque de personnel. 35% des infirmières sont à temps partiel. Un autre 30% des effectifs est sur des listes de rappel. Et les infirmières ne sont pas les seules à écoper.

La colère gronde chez les travailleurs de la santé. Mercredi le 16 juin, les infirmières-auxiliaires et les préposés aux bénéficiaires de 500 établissements de santé, syndiqués avec la CSN, ont entrepris une journée de harcèlement des cadres. Des centaines d'ambulanciers, membres du Syndicat québécois des employés de services (FTQ) ont manifesté devant un édifice gouvernemental de Montréal. Tous se préparent à un vote de grève pour l'automne. Les pharmaciens des hôpitaux ont aussi entrepris une journée de grève vendredi, le 18 juin.

Et le mouvement de grève des infirmières au Québec n'est qu'un des mouvements de protestation des travailleurs de la santé au Canada. Dernièrement, les infirmières ont été en grève à Terre-Neuve et en Saskatchewan. Partout les coupures dans le réseau de la santé ont rendu les conditions de travail inhumaines. À l'augmentation de l'exploitation, il faut rajouter des années de gels et même de diminution des salaires.

Depuis sa nomination au lendemain du référendum, Bouchard a invoqué le déficit du gouvernement pour imposer au Québec un ensemble de coupures sans précédent dans tous les programmes sociaux. Les chefs syndicaux ont appuyé sans réserve son objectif d'atteindre le déficit zéro d'ici l'an 2000. Ce sont eux qui ont proposé au gouvernement péquiste de réduire drastiquement le nombre d'employés dans le système de la santé, avec un plan de préretraites. L'effet fut catastrophique. Grâce à ces mesures, le système a été drainé d'une part importante de son expérience et de son savoir-faire, en plus de perdre tout un bassin de travailleurs. Sans l'appui actif de la bureaucratie syndicale, jamais une telle détérioration des conditions de travail et jamais une telle diminution des soins offerts à la population n'auraient pu être possibles.

Cette transformation des chefs syndicaux en ardents promoteurs de la  « responsabilité fiscale » et en partenaires à part entière dans l'implantation de sévères coupures dans les dépenses sociales, devrait inciter les infirmières et tous les travailleurs à entreprendre un examen de leurs expériences et de leurs propres conceptions politiques. Ceci est d'autant plus crucial que des luttes encore plus explosives sont à venir.

La FIIQ a beau organiser deux journées de grève et brandir la menace d'une grève générale, les centrales syndicales du secteur public québécois ont beau promettre un « automne chaud » et invoquer avec nostalgie les belles heures du front commun des années 70, seuls des naïfs incurables ou des trompeurs professionnels peuvent accorder la moindre foi à ces gestes de protestation et déclarations tapageuses : leur seul but est de permettre un défoulement des membres de la base pour faire baisser la pression.

Que reste-t-il aujourd'hui de la perspective syndicale traditionnelle de pressions sur les autorités gouvernementales ou les chefs d'entreprise? Si elle était associée dans les années 60 et 70 à des luttes militantes autour de certains principes progressifs et universels (équité et justice sociales, obligation de la société à assurer une vie décente à tous ses membres), elle se limite aujourd'hui aux objectifs les plus plats, étroits et mesquins.

Comment caractériser autrement l'insistence de la FIIQ par exemple que les infirmières constituent un cas spécial, alors que l'insécurité économique, l'augmentation de la charge de travail, la baisse du niveau de vie et le chômage frappent de larges couches de la population?

C'est aussi dans le contexte actuel, un appel ouvert au gouvernement Bouchard : accordez quelques miettes à nos membres infirmières, plaident essentiellement Jennie Skene et cie, et nous nous engageons à les détourner des luttes des autres sections de travailleurs aux prises avec l'ultimatum gouvernemental. La sympathie populaire à l'endroit des infirmières devient là une occasion pour fouler aux pieds les principes les plus élémentaires de solidarité, ce qui ne peut qu'être néfaste à la cause des travailleurs du secteur public québécois, y compris les infirmières elles-mêmes.

De profondes transformations économiques mondiales ont miné la vieille stratégie syndicale basée sur une réglementation nationale de l'économie forçant le capital à tolérer une certaine redistribution des richesses produites par la population travailleuse. La bureaucratie a réagi en s'adaptant entièrement aux exigences des marchés financiers globaux, en premier lieu : le démantèlement des programmes sociaux afin de créer un régime fiscal "compétitif" en tant que condition préalable à l'obtention d'investissements.

Ce passage ouvert dans l'autre camp peut bien être une option viable pour un chef syndical qui voit ainsi augmenter son « prestige » national, sans parler de son compte en banque. Mais il signifie pour l'immense majorité des travailleurs ordinaires une chute dramatique du niveau de vie et de la position sociale. Cette situation de plus en plus intolérable ne peut être transformée qu'au moyen de la lutte politique la plus large, qui remette en cause le sacro-saint principe du marché capitaliste en tant qu'arbitre et régulateur suprême des destinées de peuples entiers. Les besoins de la population en santé, éducation, emplois stables et salaires décents doivent passer avant la course aux profits des potentats de la finance et de l'industrie mondiales.

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