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Le limogeage du ministre des Finances divise le gouvernement

Le Premier ministre canadien va-t-il survivre?

Par Jacques Richard
6 juin 2002

Le premier ministre canadien Jean Chrétien lutte pour sa survie politique. Dimanche dernier, il a limogé son ministre des Finances de longue date, Paul Martin, dans le second remaniement ministériel d'urgence en une semaine. Martin, dont les coupures massives dans les dépenses sociales et les impôts en ont fait la coqueluche des marchés financiers, a indiqué qu'il fera campagne pour forcer Chrétien à quitter son poste de premier ministre.

La presse est remplie de spéculations que la lutte entre Chrétien et Martin pour la direction allait diviser le parti libéral et paralyser le gouvernement au moins jusqu'en février, lorsqu'un processus complexe d' «évaluation du leadership» sera conclu par la tenue d'un congrès national du parti libéral.

Ce que la presse officielle est toutefois incapable d'élucider, c'est le lien qui existe entre la crise de leadership au sein du parti libéral, l'anxiété croissante du capital canadien concernant sa position internationale de plus en plus précaire, et les efforts de la grande entreprise pour jeter les bases politiques d'une offensive accrue contre la classe ouvrière.

Des allégations de corruption gouvernementale lancées par les partis d'opposition et alimentées par les médias ont apparemment joué un grand rôle dans le fait que la rivalité qui bouillonnait depuis longtemps entre Chrétien et Martin ait atteint son point de rupture. Les supporters de Chrétien et ceux de Martin se sont mutuellement accusé d'être à l'origine de fuites d'informations portant préjudice au gouvernement.

Chrétien a clairement conclu que la meilleure façon de faire baisser la pression des médias pour qu'il démissionne serait de confronter ouvertement Martin. Lors d'une réunion du cabinet le 30 mai, Chrétien a annoncé sa détermination à rester premier ministre au moins jusqu'en 2004. Bien qu'il avait antérieurement fait savoir que des ministres pouvaient établir des organisations pour une campagne au leadership en préparation à son éventuelle retraite, Chrétien a ordonné qu'elles soient dissoutes et exigé que les ministres qui avaient établi de telles organisations fournissent une liste rétroactive de tous les dons reçus en argent ou en nature. Martin, qui s'est bâti un véritable trésor en vue d'une course au leadership grâce aux dons des plus grands noms du monde canadien des affaires, l'aurait perçu comme une tentative de l'embarrasser, sinon de donner des munitions à la croisade anti-corruption de l'opposition.

Guerre civile au sein du parti libéral?

Le reste du cabinet fédéral s'est rangé derrière Chrétien. Mais c'est une toute autre histoire en ce qui concerne l'appareil du parti et le caucus parlementaire. Dans un scénario jamais vu depuis que le gouvernement conservateur de Diefenbaker du début des années 60 s'est désintégré suite au refus du premier ministre d'accepter l'installation d'armes nucléaires américaines sur le sol canadien, des députés libéraux se sont succédé pour critiquer publiquement Chrétien pour avoir limogé Martin et suggérer qu'il était temps pour le Premier ministre de démissionner. «Très franchement, je pense que le premier ministre a fait une chose terrible», a déclaré Brenda Chamberlain, député libéral de Guelph. «Il y aura de la division dans le parti», a affirmé un autre député libéral, Tony Ianno. «Un général ne peut pas limoger toute son armée», a renchéri le député libéral de Winnipeg, John Harvard. Mais c'est le député libéral de Toronto, Joe Volpe, qui a été le plus direct: «Tous ceux qui ont fait savoir qu'ils veulent vraiment voir Paul Martin à la tête du parti, à la tête du pays, auront l'occasion d'agir en conséquence.»

C'est le même rude message qu'a délivré le Globe & Mail, la voix traditionnelle de l'establishment financier canadien, dans son éditorial de lundi. «Mr Martin ferait un excellent premier ministre. Il est de loin préférable à l'actuel premier ministre. Le seul côté positif au remaniement [ministériel], le troisième de Mr Chrétien en six mois, c'est que Mr Martin aura maintenant plus de liberté pour mener son combat dont l'enjeu est la plus haute fonction du pays.»

Contestant la position des «loyalistes» qui attribuent aux qualités de leadership de Chrétien les trois gouvernements libéraux majoritaires consécutifs des neuf dernières années, le Globe affirme dans son éditorial que Chrétien a plutôt bénéficié de l'effondrement du parti conservateur en 1993, de la fracture persistante de l'opposition de droite depuis ce temps, et du «respect public amené par la politique fiscale de Mr. Martin».

Chrétien, quant à lui, s'est empressé de démontrer qu'il maintenait son engagement en faveur du programme économique pro-patronal implanté par Martin. Pour rassurer Bay Street et les marchés financiers, il a cédé le ministère des Finances à John Manley, le seul membre du cabinet généralement considéré comme étant politiquement à la droite de Martin. S'adressant à une conférence du Fonds monétaire international moins de 18 heures après avoir hérité du portefeuille des finances, Manley a déclaré: «Nos priorités et nos objectives n'ont pas changé et ne vont pas changer. Cela signifie l'équilibre des budgets, la réduction de la dette, le maintien d'une inflation faible et stable, la réduction de l'impôt et la réalisation d'investissements importants Que ceci soit clair, nous continuerons de baisser les taxes selon nos moyens».

Les divergences politiques entre Chrétien et Martin, s'il y en a, n'ont pas été articulées. Mais Martin et ses conseillers soutiennent que l'ex-ministre des finances est entré de plus en plus en conflit avec le premier ministre sur des questions de politique. Selon un proche de Martin parlant sous le couvert de l'anonymat, il serait devenu particulièrement frustré par le fait que Chrétien se concentre sur la gestion quotidienne des affaires et se refuse à faire des plans à long terme. «Si la réalité est qu'il faudra faire face à deux ou trois autres années de gouvernement incrémental, de dérive potentielle, alors je pense que pour Paul, c'est devenu une barrière, un obstacle à ce qui nécessaire pour faire notre boulot».

Martin serait en train de planifier une série de conférences à l'été et à l'automne afin de faire ressortir le contraste existant entre lui et Chrétien en ce qui a trait à la conduite de la politique. L'ex-ministre des Finances a ainsi laissé entendre qu'il avait l'intention de faire campagne pour la direction du parti libéral en présentant les grandes lignes d'un programme différent de gouvernement. Un tel programme viserait à répondre aux inquiétudes de la grande entreprise concernant l'érosion de la position compétitive du Canada et l'évolution du partenariat économique et stratégique du Canada avec les États-Unis.

Obstacles

Martin fait cependant face à de sérieux obstacles. Il n'y pas de mécanisme simple et commode qui permette à un rival au sein du parti de détrôner un premier ministre canadien. Dans d'autres démocraties parlementaires, comme en Angleterre ou en Australie, un premier ministre en exercice peut être écarté par un simple vote majoritaire des députés du parti au pouvoir. Au Canada, les partis ont adopté un système différent qui remet apparemment le sort du chef entre les mains de la base du parti. Pour forcer une course à la direction, les forces anti-Chrétien doivent d'abord gagner un processus d'évaluation du leadership qui peut prendre plusieurs mois. Ceci demanderait de recruter et de mobiliser des membres du parti libéral pour des réunions séparées dans plus de 300 associations de comté. Il est quasi impensable qu'une lutte aussi prolongée puisse être gagnée sans déchirer le parti libéral et déstabiliser le gouvernement.

Conscient du fait que Martin fait face à un dilemme sur la manière d'arracher la direction sans porter un coup fatal au gouvernement, Chrétien a mis au défi mardi les supporters de son rival au sein du caucus libéral de voter avec l'opposition et de faire tomber son gouvernement s'ils veulent se débarrasser de lui. Martin a entre-temps réitéré son soutien au gouvernement libéral actuel et, bien que personne ne le croit, il continue de nier qu'il complote contre le Premier ministre.

Ayant réalisé combien ce sera difficile d'écarter Chrétien de son poste, une section des médias officiels a soulevé la question de savoir s'il était sage de courir le risque de saper le parti gouvernemental traditionnel du Canada et le seul qui puisse encore prétendre à un soutien significatif dans toutes les régions du pays.

Il n'est pas clair à ce point-ci jusqu'où est prête à aller l'élite canadienne pour seconder les aspirations au leadership de Martin. Va-t-elle se contenter d'utiliser le rival de Chrétien au sein du parti libéral de la même façon qu'elle a utilisé le Parti Réformiste/Alliance Canadienne pour pousser le premier ministre encore plus vers la droite, ou est-elle déterminée à forcer Chrétien à un départ prématuré, dans l'espoir qu'un changement de chef facilitera l'application d'un programme anti-ouvrier encore plus agressif?

Jusqu'à présent, Chrétien a démontré une grande capacité d'adaptation aux besoins de la grande entreprise. Sur toute une série de questions cruciales, de l'ALENA, aux coupures drastiques dans les dépenses sociales en passant par la baisse de l'impôt et la participation du Canada à la guerre contre l'Afghanistan, Chrétien, après quelques réticences initiales, a fidèlement implanté les exigences de la grande entreprise.

Quel que soit le résultat de la bataille actuelle aux plus hauts échelons du parti libéral, une chose ne laisse aucun doute. La profonde insatisfaction du grand patronat envers Chrétien, qui a dirigé le gouvernement canadien le plus à droite depuis les années 30, qu'il soit libéral ou conservateur, est le signe avant-coureur d'une nouvelle offensive, encore plus brutale, sur la position sociale et le niveau de vie de la classe ouvrière.

Crise stratégique pour le capital canadien

L'obsession des cercles dirigeants sur la personne de Chrétien est elle-même un signe de profonde crise, et même de désorientation, en ce qui a trait à leur stratégie de classe. Député depuis 39 ans, Chrétien est perçu par la faction dominante de la bourgeoisie comme étant trop associé à la politique d'état-providence et de nationalisme canadien des années 60 et 70. Mais le consensus au sein de la classe dirigeante que Chrétien a épuisé son utilité politique masque de profondes divisions et incertitudes.

Prenons par exemple la question de l'assurance-maladie, le système universel de santé publique au Canada. Toutes les sections de l'establishment politique s'accordent pour dire que le système actuel est «intenable». Mais il n'y a aucun consensus sur ce qui devrait le remplacer. Alors que certaines sections de la grande entreprise favorisent une privatisation pure et simple des soins de santé, d'autres soutiennent qu'un système d'assurance-maladie géré par l'État et financé par les revenus tirés de l'assiette fiscale fournit en fait aux compagnies canadiennes un avantage compétitif sur leurs rivales américaines. De plus, l'establishment politique est pleinement conscient du fait qu'il existe une forte opposition populaire au démantèlement de l'assurance-maladie et qu'il n'a pas encore trouvé les moyens politiques et idéologiques pour surmonter cette opposition.

Il existe également un profond malaise au sein de la classe dirigeante quant au statut de plus en plus négligeable du Canada au sein du capitalisme global.. L'émergence du Mexique en tant que rival au sein de l'ALÉNA, la faiblesse du dollar canadien et les appels croissants pour que le Canada adopte le dollar américain, l'indifférence apparente de Washington aux inquiétudes canadiennes concernant sa politique commerciale, la vulnérabilité du Canada aux pressions américaines telle que révélée par les menaces de restreindre le trafic frontalier au lendemain du 11 septembre, tout cela pose l'urgente nécessité pour le capital canadien d'élaborer une nouvelle stratégie.

Sa seule véritable option est d'entrer dans un partenariat économique et géopolitique encore plus étroit avec les États-Unis. Une telle voie est cependant pleine de risques. Une plus grande intégration avec les États-Unis signifiera une réduction dans la capacité de la bourgeoisie canadienne à faire valoir ses propres intérêts et ne fera qu'exacerber les antagonismes régionaux déjà profonds au sein de l'état fédéral canadien.

Deuxièmement, et plus fondamentalement, une telle orientation ne peut mener qu'à une intensification dramatique de la lutte de classe. Le Canada étant appelé à prendre une part plus active aux aventures militaires de Washington et de Wall Street outre-mer, le grand patronat va insister que s'il veut espérer faire «jeu égal», le Canada devra ajuster sa politique sociale et son régime de réglementation aux standards américains, c'est-à-dire enlever toute restriction à l'accumulation effrénée des profits sur le dos des travailleurs.

Les événements extraordinaires de la semaine dernière ont révélé une profonde crise sociale et politique, qui a ses origines dans les changements dramatiques ayant pris place au cours des deux dernières décennies dans les rapports économiques et géopolitiques mondiaux. Cette crise ne peut être, et ne sera pas, tenue sous contrôle au sein du vieux cadre politique. Les travailleurs au Canada doivent se préparer à une énorme intensification de la lutte de classe en reconnaissant que la seule réponse progressiste à la politique de la «forteresse nord-américaine» préconisée par la bourgeoisie, à la guerre de classe au pays et aux aventures impérialistes à l'étranger, réside dans la lutte pour unir la classe ouvrière nord-américaine avec ses frères et soeurs de classe d'outre-mer dans une lutte commune contre le capital international.

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