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Côte d'Ivoire : deux années d'occupation par la France et par les Nations Unies

De Chris Talbot
14 août 2004

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Devant le nombre croissant d'appels à une intervention militaire au Soudan, par une armée occidentale ou par des soldats des Nations Unies, soit encore par l'Union Africaine (UA), il est important d'examiner l'histoire récente d'une telle opération en Afrique de l'Ouest.

De telles interventions ­ présentées comme une volonté d'éviter à des centaines de milliers de personnes de connaître une situation humanitaire catastrophique- loin de profiter à la population sur le plan humanitaire ou sur le plan de la sécurité, sont conduites pour servir les intérêts occidentaux et n'ont d'autres conséquences que de soutenir les politiciens ou seigneurs de guerre locaux corrompus qui sont les plus à même de servir les intérêts occidentaux.

En septembre 2002, la Côte d'Ivoire fut plongée dans la guerre civile quand des rebelles de l'armée s'emparèrent de la partie nord du pays suite à un coup d'état manqué. La France envoya des troupes dans son ancienne colonie avec près de 4 000 soldats chargés de la surveillance d'une ligne de démarcation séparant le nord du sud du pays.

A l'initiative de la France, un accord de paix fut mis en place début 2003 entre les rebelles et le gouvernement du Président Laurent Gbagbo et un gouvernement d'union et de réconciliation nationale devait être installé. Néanmoins, Gbagbo et ses amis gardèrent le pouvoir sur le sud de la Côte d'Ivoire, région importante du point de vue économique, par l'intermédiaire de l'Assemblée Nationale et d'un large appareil de sécurité.

Plus de deux ans après, l'armée française, à laquelle s'ajoutent à présent quelques 6000 soldats des Nations Unies, est toujours présente en Côte d'Ivoire. La dernière tentative de réunir rebelles et représentants du vieux régime de Gbagbo échoua en mars dernier, et le pays reste divisé. La France passe à présent par les Nations Unies et l'Union Africaine pour faire se rapprocher les deux partis. La semaine dernière, suite aux pressions du secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, et de dirigeants africains dont les présidents Mbeki (Afrique du Sud) et Obasanjo (Nigéria), une nouvelle tentative de partage du pouvoir a débuté.

Même si l'intervention de la France, des Nations Unies et de l'UA a jusqu'à ce jour permis de réduire le conflit militaire en Côte d'Ivoire par rapport à la période de la guerre civile, on note cependant, en regardant de plus près, que tous les ingrédients d'une guerre sont toujours présents et qu'aucune perspective d'avenir sûr et économiquement viable n'a été créé pour les Ivoiriens.

La clique qui entoure Gbagbo continue à maintenir un chauvinisme ethnique à l'encontre des travailleurs immigrés, essentiellement musulmans, et de leur famille arrivés en Côte d'Ivoire du Burkina Faso et d'autres pays dans les années 60 et 70, à l'époque où l'économie de la Côte d' Ivoire ­ principalement fondée sur le cacao dont la Côte d'Ivoire est le producteur mondial principal ­ était l'une des plus fortes d'Afrique.

Gbagbo s'inscrit dans la tradition de ses prédécesseurs, Henri Conan Bédié (président de 1993 à 1999) et Robert Gueï (suite au coup d'état du 24 décembre, président de 1999 à 2000), quant à l'importance accordée à la nationalité ivoirienne. C'est ainsi que le politicien populaire, originaire du nord du pays, Alassane Outarra, ne put se présenter à l'élection présidentielle au motif que ni sa mère ni son père n'étaient nés en Côte d'Ivoire.

Mais Gbagbo et sa clique ont développé plus encore le nationalisme d' 'Ivoirité' au sein des forces de sécurité et au sein des milices 'parallèles' non officielles pour en faire un axe central de pouvoir politique. Les habitants du nord, assimilés à des musulmans étrangers, sont les boucs émissaires pour tous les malheurs du pays et victimes d'attaques organisées. La confiscation de leurs terres dans les campagnes est activement encouragée.

L'élite dirigée par Gbagbo dans le sud du pays bénéficie depuis l'indépendance en 1960, d'un système de clientélisme et de corruption bâti autour de la production de cacao. Le récent rapport du Groupe de Crise International sur la Côte d'Ivoire fait état d' "une sorte de structure de type ­ Enron faite de compagnies - écrans, de doubles comptabilités, et de transferts de fonds avec une limite assez vague entre les actes délictueux et les bénéficiaires de ces actes ».

Les 25 et 26 mars, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées dans les quartiers ouvriers d' Abidjan pour manifester contre Gbagbo. On leur a interdit de quitter leurs quartiers et plus de 120 personnes ont été tuées au cours d'attaques de la milice et des forces de sécurité. Une enquête du Haut Commissariat aux Droits de l'Homme des Nations Unies a conclu que l'attaque avait été soigneusement "planifiée et menée par les forces de sécurité...et par les prétendues forces parallèles sous la direction ou sous la responsabilité des plus hautes sphères de l'état".

Suite à cette attaque, organisée par la clique de Gbagbo, les politiciens de l'opposition et les représentants des rebelles du nord ­ les soi-disant Nouvelles
Forces - ont quitté le gouvernement de partage de pouvoir pour le réintégrer la semaine dernière.

Les Nouvelles Forces menées par Guillaume Soro, en réaction à l'isolement économique du Nord, ont cédé aux pressions de la France, des Nations Unies et de l'U.A et ont réintégré le gouvernement de réconciliation nationale, et pour ce faire, il semble qu'ils ont écrasé brutalement ceux qui dans leur propre camp s'opposaient à cet accord.

Début août, une équipe d'enquêteurs des Nations Unies a découvert trois fosses communes contenant les corps de plus de 100 personnes. Certains avaient été fusillés. D'autres, d'après certains témoins oculaires, sont morts asphyxiés. Un survivant raconte avoir été enfermé avec d'autres personnes dans un container avec peu d'air et sans nourriture ni eau. Quand le container a été ouvert, on a trouvé 75 cadavres.

Soro s'était heurté avec le dirigeant rebelle rival Ibrahim Coulibaly (connu sous les initiales de "IB") détenu l'année dernière en France après avoir essayé de lever une force mercenaire afin de s'emparer de toute la Côte d'Ivoire. De nombreux partisans survivants d'IB se sont enfuis dans les pays voisins et il n'est pas exclu qu'ils se regroupent avec la France qui a autorisé IB à quitter le pays.

La sécurité en Côte d'Ivoire, dont le risque d'être entraîné dans un conflit plus large en Afrique de l'ouest, est sans cesse menacée du fait de l'existence de diverses milices à l'ouest du pays, aux confins du Libéria et de Guinée. Certaines de ces milices ont une base ethnique, d'autres sont du Libéria ou du Burkina Faso. Le régime de Gbagbo a entretenu le conflit en soutenant certains seigneurs de guere contre d'autres. La région est importante sur le plan économique, car c'est là, près de la frontière du Libéria, que l'on trouve la plupart des plantations de cacao et de café, de même que de l'or, du bois et du caoutchouc.

Tandis que le plan de paix, soutenu par les Etats Unis, a été imposé au Libéria, et avant cela que les Britanniques ont soutenu le régime fantoche du Président Kabbah en Sierra Leone, les seigneurs de guerre et les milices de ces pays ont pénétré en Côte d'Ivoire. D'autres auraient, dit-on, pénétré dans les jungles de Guinée ­ seul pays de la région qui ne soit pas occupé par les Nations Unies.

La déstabilisation de la Côte d'Ivoire et de l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest a pour origine le déclin économique continu. Suite à la chute du prix du cacao dans les années 90 et au programme de réformes structurelles imposées par le Fonds Monétaire International, la Côte d'Ivoire a perdu sa place parmi les pays les plus prospères de toute l' Afrique de l'Ouest affichant, à partir de 2000, une croissance négative. De la 156ème position dans l'Index de Développement de l'Humanité, la Côte d'Ivoire est passée à la 163ème position sur 177 pays. (La Sierra Leone, malgré les fanfaronnades du premier ministre Tony Blair selon lesquelles ce serait une réussite économique, se trouve à la 177ème place.)

Les puissances occidentales soutiennent l'occupation de la Côte d'Ivoire par la France et par les Nations Unies ­ les troupes des Nations Unies seront augmentées pour atteindre un total de 20 000 hommes en Côte d'Ivoire et au Libéria ­ et espèrent stabiliser la région suffisamment en vue d'une exploitation économique de type néo ­ colonial.

En juin, le gouvernement de Gbagbo se trouva dans l'incapacité de payer les 20 millions de Dollars US dus aux pays occidentaux, et la Banque Mondiale a été contrainte de suspendre son soutien financier. Mis à part le non ­ remboursement des échéances de dette, les exportateurs de cacao américains, français et britanniques sont maintenant menacés par une baisse de la production qui a été perturbée par le conflit. Les investissements français dans le domaine des télécommunications, de l'électricité, de l'eau, des transports (tous ces secteurs ont été privatisés suivant les directives du FMI) sont tout autant menacés.

Gbagbo et sa clique de voyous ont essayé de déchaîner l'hostilité contre la France, en présentant le contrôle économique de la France comme étant la source du déclin économique de la Côte d'Ivoire. Des attaques ont été orchestrées contre des Français et plus généralement contre des Occidentaux.

Même s'il est vrai que l'impérialisme français est le facteur majeur de la dépendance totale de la Côte d'Ivoire vis à vis des investissements des marchés occidentaux, la démagogie toute cynique de Gbagbo sert uniquement sa politique intérieure auprès des Ivoiriens. Suite à des élections truquées, où les principaux opposants, conduits par Outarra ont été exclus, ce n'est qu'avec le soutien de la France que Gbagbo a pu accéder à la présidence, soutien dont il dépend encore. Ce qu'il cherche surtout c'est à renforcer sa position et celle de sa clique dans un traité de partage du pouvoir orchestré par la France.

Il faudrait être vraiment très naïf pour considérer qu'un quelconque bénéfice à long terme pour l'ensemble de la population ivoirienne puisse résulter de l'occupation militaire de la Côte d'Ivoire par la France et par les Nations Unies.

Les machinations des puissances occidentales, des Nations Unies et de l'U.A sont un mélange d'opportunisme cynique et de corruption politique. Associer Gbagbo et sa clique avec les Nouvelles Forces de Soro pour composer un futur gouvernement témoigne du mépris le plus total pour les droits de l'homme et pour la sécurité des ivoiriens. Cette association ne fera rien pour stopper la montée de la pauvreté et du chômage ou pour empêcher le développement des milices et l'apparition de nouveaux conflits armés dans la région d'Afrique de l'Ouest.

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