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La France rejette la constitution européenne

Les conséquences politiques du « non » français

Par Peter Schwarz
Article original paru le 1er juin 2005

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Le rejet de la constitution européenne par l'électorat français a plongé les milieux dirigeants en France comme dans le reste de l'Europe dans une crise majeure. Les conséquences définitives du choc ne deviendront visibles que dans les semaines et les mois à venir.

Bien que le président Jacques Chirac, les partis au pouvoir, les principaux partis d'opposition et les médias utilisèrent tous les moyens mis à leur disposition pour garantir la victoire du « oui », une majorité claire de 55 pour cent de l'électorat a rejeté la constitution. Ce vote représente une opposition sans équivoque à l'ensemble de l'évolution sociale et politique en Europe. Même Chirac fut forcé d'admettre dans son premier discours après l'annonce des résultats que la France s'est «démocratiquement exprimée » et qu'elle a pris une «décision souveraine».

Dominique Strauss-Kahn, figure-clé du Parti socialiste et l'un des porte-parole du camp du « oui », attribua le rejet de la constitution à un « sentiment de peur » et à la « démagogie ». Mais si peur il y avait, c'est dans le camp des partisans du « oui » qu'elle se manifesta. Ces derniers, face à une pression populaire considérable, eurent recours aux menaces et à l'intimidation.

C'est ainsi que le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, avertit qu'en cas de vote négatif, la France serait mise « hors jeu » et reléguée « en 2ème division », alors que le ministre de l'Intérieur, Dominique de Villepin, brossait un tableau cauchemardesque dans lequel le pays serait envahi par des immigrants si la constitution et les dispositions de renforcement des frontières extérieures de l'Union européenne qu'elle prévoit, venaient à échouer.

Le « non » retentissant fut le résultat d'une vaste mobilisation politique qui avait pris une ampleur étonnante au cours des quatre dernières semaines. Des centaines de milliers de personnes participèrent à de multiples réunions organisées pour ou contre la constitution. Des débats télévisés attirèrent des millions de spectateurs. L'ambiance dans le pays finit par ressembler à celle que l'on connaît lors des campagnes électorales ou présidentielles. Les électeurs eurent la conviction de pouvoir bloquer une évolution sociale et politique à laquelle ils étaient opposés.

Plus la mobilisation politique s'amplifia, plus les thèmes de campagne de l'extrême droite destinés à manipuler les peurs, tels l'immigration et la xénophobie, passèrent à l'arrière-plan et plus les sujets sociaux et politiques devinrent prédominants. Le caractère néolibéral et antidémocratique de la constitution se trouvait au coeur de la campagne pour le « non ». Celle-ci n'était pas orientée contre « l'Europe » mais contre une constitution antisociale et réactionnaire. Alors que le camp du « oui » mena une campagne « Pour une France forte », le slogan le plus populaire dans le camp du « non » fut « Pour une autre Europe ».

La division entre les deux camps correspondait à la fracture sociale. Trois quarts des ouvriers et deux tiers des employés ainsi qu'une majorité de petits agriculteurs et ouvriers agricoles votèrent « non ».

Crise politique

L'élite dirigeante française se trouve après l'échec du référendum devant les ruines de sa politique intérieure et extérieure.

Pour Chirac, le président, le rejet de la constitution signifie une défaite personnelle et politique décisive, la plus grande depuis son arrivée au pouvoir il y a dix ans. Le remplacement du premier ministre ne résoudra pas la crise. Chirac a bien accepté la démission du premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, nommé à sa place son allié Dominique de Villepin et écarté son principal rival, le leader de l'UMP, Nicolas Sarkozy, qui est partisan d'un « Thatchérisme à la française ». Mais la « guerre de tranchée » qui affecte le camp gouvernemental s'intensifiera sûrement et son impopularité auprès des électeurs ne fera que s'accroître.

Le plus grand perdant du référendum toutefois n'est ni Chirac ni l'UMP, mais le Parti socialiste que la question de la constitution a profondément déchiré. Le parti s'était prononcé officiellement en faveur du « oui », mais certaines figures influentes étaient de fervents défenseurs du « non ». Parmi les adhérents, la rupture était même plus prononcée, avec une forte majorité opposée à la constitution ( 60 pour cent votèrent « non » au référendum). Une scission du parti est tout à fait possible.

Les membres de la direction actuelle, menée par François Hollande qui doit son essor politique à Lionel Jospin, se sont sérieusement discrédités pour avoir soutenu avec véhémence cette constitution impopulaire. Jospin qui, après trois ans de silence, s'est lui-même investi dans la campagne pour le « oui » a définitivement perdu sa réputation de socialiste de « gauche ».

Toutefois, les adversaires de la constitution au sein du Parti socialiste sont trop fortement liés à la politique droitière des gouvernements socialistes précédents pour constituer une alternative crédible. Il en va de même pour la secrétaire générale du Parti communiste, Marie-George Buffet qui avait été ministre de la Jeunesse et des Sports du gouvernement Jospin. Qui plus est, les socialistes de « gauche » sont profondément divisés entre eux.

Le caractère international du déclin de la social-démocratie fut accentué par la participation à la campagne référendaire en France de nombreux sociaux-démocrates allemands et espagnols, y compris les chefs de gouvernement allemand et espagnol, Gerhard Schröder et Jose Luis Zapatero.

En Allemagne, le SPD (Parti social-démocrate allemand) a décidé d'organiser des élections législatives anticipées suite à sa onzième déroute électorale consécutive.

La crise du gouvernement français se développe dans des circonstances inhabituelles. Normalement les crises politiques des démocraties parlementaires se désamorcent en remplaçant le gouvernement par l'opposition. Dans ce cas précis, le parti gouvernemental tout comme l'opposition officielle de gauche ont été répudiés par la défaite que leur a infligée l'électorat. De ce fait l'on peut prédire que la crise politique s'aggravera inévitablement en prenant des formes de plus en plus malignes.


Paralysie de l'Union europeenne

L'échec de la constitution a détruit une des pierres d'angle de la stratégie suivie par la France au cours des cinquante dernières années.

Depuis que Jean Monnet et Maurice Schuman prirent l'initiative de la construction de la Communauté européenne du charbon et de l'acier en 1950, la France a, en commun avec l'Allemagne, joué le rôle principal dans l'intégration économique de l'Europe. Le traité constitutionnel fut élaboré par l'ancien président français Valery Giscard d'Estaing qui dirigea la Convention européenne. Cela était censé constituer l'apogée du processus d'unification européenne et compléter l'intégration économique du continent par une intégration politique. L'Europe et par conséquent la France devaient, grâce à la constitution, pouvoir prendre toute leur place sur la scène internationale, y jouer un rôle de premier plan et traiter sur un pied d'égalité avec les Etats-Unis.

Ces plans sont à présent mis au placard et peut-être même fera-t-on marche arrière. A la veille du référendum, l'actuel président du Conseil européen, Jean Claude Juncker décrivit le "non" comme "une catastrophe pour la France, pour Chirac et pour le monde entier"

Il essaya ensuite de dédramatiser. « L'Europe continue et les institutions fonctionnent pleinement. Nous sommes conscients des difficultés mais nous avons confiance que de nouveau nous trouverons les moyens de faire progresser l'Union Européenne » dit la déclaration commune de Juncker, du président de la Commission européenne José Manuel Barroso et du président du parlement européen, Josep Borell à la suite du référendum français. Il est cependant difficile d'imaginer par quel moyen l'Europe pourrait aller de l'avant. Un rejet de la constitution au cours du référendum hollandais est une quasi certitude et Tony Blair, le premier ministre britannique ne tiendra selon toute probabilité pas le référendum prévu en Grande-Bretagne. Un changement de pouvoir en Allemagne, où des élections nationales anticipées auront lieu en septembre, risque de jeter un froid dans les rapports entre Berlin et Paris, les deux « moteurs » de l'Union européenne jusqu'à présent. La candidate de la CDU (Union chrétienne-démocrate) à la chancellerie, Angela Merkel, a critiqué Schröder à plusieurs reprises pour son cours conflictuel avec Washington en association avec Chirac.

Une crise économique et politique se développe également aux Etats-Unis. L'occupation de l'Irak va inexorablement vers un désastre alors qu'on n'arrive plus à contrôler la dette intérieure et le déficit commercial. Le gouvernement américain cherchera immanquablement à résoudre ses problèmes par l'adoption d'une politique de plus en plus unilatérale et de nouvelles interventions militaires aux dépens de leurs rivaux européens.

La paralysie de l'Union europénne d'une part et la pression grandissante de l'Amérique d'autre part renforceront parmi les Etats européens la tendance aux initiatives solitaires en politique étrangère et aux aventures militaires. Une option déjà largement débattue est la formation d'une Europe restreinte menée par l'Allemagne et la France et débarrassée de l'influence paralysante de l'Angleterre et des Etats pro-américains d'Europe de l'Est.

C'est là où disparaît la ligne de démarcation entre les partisans et les adversaires de la constitution. Un de ceux qui appelèrent de la manière la plus agressive à agir dans ce sens, fut un adversaire de la constitution, Jacques Nikonoff, le président de la section francaise d'Attac. Dans un article écrit pour Le Monde et qui aurait obtenu l'approbation sans réserve du Général De Gaulle, Nikonoff critiqua le fait que « la construction institutionnelle monstrueuse que nous promet la constitution vise à étouffer la dynamique Franco-allemande ».

Sans ménagement aucun, le chef de file du mouvement antimondialiste en France lança une attaque frontale contre l'Angleterre qui « est assise sur un strapontin dans l'UE », bloquant toute initiative et qui « est, avant tout, atlantiste ». Il critiqua sévèrement « les trois anciennes dictatures fascistes (Espagne, Portugal et Grèce) » qui « doivent énormément à l'Union » et qui sont « sous perfusion permanente de fonds européens » mais qui « conçoivent l'UE comme un guichet utile à leurs propres besoins de développement et non comme une communauté de destin ». Finalement il s'en prit aux nouveaux membres issus de l'ancien Pacte de Varsovie : « Avec la guerre contre l'Irak [ceux-ci] disposaient d'une opportunité pour affirmer leur attachement à l'Europe : ils ont choisi le mauvais camp ».

L'article de Nikonoff alla crescendo jusqu'à un éloge fervent du « couple franco-allemand » et du Benelux : « Là se trouve le moteur de l'Union, désormais noyé dans ce magma [de la constitution]. Un dessein politique ambitionnant la puissance nécessite d'en avoir les attributs. Ceux de l'Union sont inexistants. »

Dans son opposition à la constitution, Laurent Fabius, de la droite du Parti socialiste, argumenta de façon similaire. Une telle approche politique aurait sans aucun doute l'approbation du Mouvement des citoyens de Jean-Pierre Chevènement et du Parti communiste français qui s'est toujours voulu plus gaulliste que les gaullistes lorsque qu'il s'agit de la défense des intérêts français.

Les tâches politiques

Le rejet de la constitution a soulevé d'importantes questions politiques mais elle ne les a pas résolues. Les cercles dirigeants n'accepteront pas sans lutte une telle défaite. La pression de l'économie mondiale et la confrontation croissante avec les Etats-Unis les poussent à lancer de nouvelles attaques contre la classe ouvrière.

Alors que Chirac déclarait hypocritement qu'il comprenait la décision des électeurs, d'autres représentants des partis au gouvernerment continuaient avec obstination de défendre la constitution. Francois Bayrou, le leader de l'UDF, délara qu'il était fier de l'avoir défendue. Il exigea un changement immédiat et fondamental de politique.

Le président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, interpréta le résultat du référendum comme un mandat pour réaliser une « réforme » fondamentale du pays. Sa première déclaration après l'annonce des résultats ressemblait à une candidature au poste de chef du gouvernement. Si la crise continue de s'intensifier, même une démission du président, dont Sarkozy aimerait bien hériter la charge, ne peut être exclue.

Le principal atout dont disposent les partis politiques au pouvoir est l'absence d'orientation politique ou de parti politique indépendants de la classe ouvrière. Le rôle de la soi-disante « gauche » qui va de l'aile gauche du parti socialiste à la Ligue communiste révolutionnaire en passant par le Parti communiste, est d'empêcher un développement dans ce sens. Ils répandent l'illusion que les cercles dirigeants pourraient, sous la pression venue d'en bas, être forcés d'exécuter une politique foncièrement différente et se suspendent à leur « aile gauche ».

La LCR s'efforce de constituer une alliance avec le Parti communiste qui pour sa part cherche une association avec l'aile gauche du Parti socialiste, qui elle lorgne du côte de l'aile droite et de Laurent Fabius. La voie que prendraient des personnages comme Fabius, Henri Emmanuelli (PS) ou Marie-George Buffet (PCF) s'ils gagnaient de l'influence ne fait aucun doute. Ce sont tous des politiciens bourgeois qui défendent l'Etat francais et l'ordre social capitaliste.

Que l'on se rappelle Francois Mitterrand qui fit de façon toute similaire des discours de gauche jusqu'au moment où en 1982, un an seulement après son élection à la présidence de la république, il vira brusquement à droite. Laurent Fabius qui fut à l'époque un de ses premier ministres, tend lui à présent, la main aux adversaires de gauche de la constitution. Lionel Jospin cultiva une image de gauche jusqu'au moment où, devenu chef du gouvernment, il montra qu'il était un politicien bourgeois tout à fait ordinaire.

Les droits démocratiques et les acquis sociaux de la classe ouvrière ne peuvent être défendus que sur la base d'un programme socialiste qui remette en question les rapports de propriété capitalistes. Seule une lutte pour des Etats-Unis socialistes d'Europe peut vaincre la division du continent en Etats nations rivaux et permettre l'utilisation et le développement de ses richesses et de ses forces productives immenses dans l'intéret de la société tout entière.

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