Affirmant leur soutien à une occupation
élargie et de durée indéterminée de l’occupation américaine de l’Irak, deux
sénateurs démocrates influents ont déclaré à la télévision dimanche qu’en aucun
cas la majorité démocrate au Congrès ne mettrait un terme au financement de la
guerre.
Carl Levin, président
de la commission du Sénat sur les forces armées, était à l’émission This Week
sur la chaîne de télévision ABC alors que Charles Schumer, président du comité
électoral démocrate pour le Sénat s’exprimait sur Fox News Sunday.
Levin a rejeté la déclaration du leader de la
majorité au Sénat, Harry Reid, qui avait déclaré qu’il soutiendrait une mesure visant
à limiter les crédits de guerre au-delà de mars 2008 si le président George W.
Bush utilise son veto pour bloquer une résolution actuellement devant le
Congrès américain. Cette résolution veut imposer des critères de performance au
gouvernement irakien et le menace d’un retrait limité des forces américaines de
l’Irak dans le cas où ces critères ne seraient pas respectés. Reid avait dit
qu’il soutiendrait le projet de loi introduit par le sénateur Russell Feingold
du Wisconsin si Bush opposait son veto comme il en a l’intention.
Le projet de loi Feingold-Reid est voué à
l’échec, a déclaré Levin. « Harry Reid a reconnu que ce n’est pas ce qui
va se passer. Il a une position personnelle et il a dit que ce n’est pas celle du
caucus démocrate. Il a été très clair lorsqu’il a apporté son soutien à une loi
qui mettrait fin au financement [de l’armée en Irak] dans certaines
circonstances. »
« Nous n’allons pas voter pour diminuerle financement, point final, a dit Levin. Nous allons financer les troupes.
Nous l’avons toujours fait. » Il a ajouté : « Nous sommes absolument
convaincus qu’il faut soutenir les troupes, mais nous sommes aussi convaincus
qu’il faut faire pression sur les dirigeants irakiens pour qu’ils tiennent
leurs engagements. Sans cet accord de leur part, il n’y a pas de solution
militaire. »
Levin a suggéré deux bases d’entente possibles
avec la Maison-Blanche après un veto de Bush. La loi pourrait conserver les critères
de performance proposés, mais laisser tomber la menace de retrait limité des
troupes prévu pour le 31 mars de l’an prochain. « Si cela ne marche pas et
que le président oppose son veto à la loi à cause de cela, a-t-il
continué, et c’est ce qu’il fera, alors cet aspect sera retiré, parce que nous
allons financer les troupes. »
Schumer, numéro trois de la majorité démocrate
au Sénat, a dit que les démocrates chercheront à présenter le veto de Bush
comme une attaque envers les troupes en Irak. Décrivant la soi-disant résolution
contre la guerre en Irak votée selon les lignes de parti par le Sénat avec 50
en faveur et 48 contre, il a dit : « Avec cette résolution que
nous envoyons au président, nous donnons en fait même un peu plus d’argent pour
les troupes que n’en a réclamé le président. Et rien — je dis bien, rien — ne
fera obstacle à notre soutien entier aux troupes. Mais, deuxièmement, en même
temps, nous sommes absolument convaincus que nous devons changer de stratégie
en Irak. Nous sommes, dans les faits, en train d’assurer l’ordre dans une
guerre civile. »
Schumer a défendu le projet de loi de Feingold et Reid en
affirmant que celui-ci « n’appelait pas au retrait de toutes les
troupes ». Il a expliqué : « Il appelle à continuer le
financement, même au-delà de mars 2008, c’est à dire dans un an, pour trois
missions : le contre-terrorisme, qui a toujours été l’objectif de la
mission initiale, protéger nos forces, et former les Irakiens. Et deuxièmement,
nous n’allons tout simplement pas laisser les troupes en plan, un point c’est
tout. Le sénateur Reid l’a dit. Je l’ai dit. Tous les dirigeants du Parti
démocrate l’ont dit. Mais nous n’allons pas abandonner notre quête visant à
forcer le président à essentiellement changer de stratégie. Nous ne devrions
pas être le service d’ordre dans une guerre civile. Nous devrions combattre le
contre-terrorisme. »
Ces affirmations ne font pas seulement la démonstration
d’une capitulation de la direction du Parti démocrate face à l’administration Bush ;
elles représentent une déclaration de solidarité avec les objectifs de
l’impérialisme américain en Irak. Levin et Schumer prouvent que toute la
position soi-disant anti-guerre qu’affiche le Congrès démocrate — résolutions
non exécutoires, projets de loi de financement de la guerre avec calendriers et
critères de performance — est un exercice de duplicité politique.
L’essence de la politique du Parti démocrate est de
calibrer ses actions afin d’accorder tout le soutien matériel nécessaire à
l’occupation militaire américaine de l’Irak, tout en ne soutenant qu’en paroles
les sentiments populaires anti-guerre qui ont donné le contrôle du Congrès aux
démocrates lors des élections de 2006. Ils tentent d’accomplir deux objectifs
cruciaux de l’élite dirigeante américaine : maintenir l’emprise des
Etats-Unis sur l’Irak et ses énormes richesses pétrolières, et empêcher
l’émergence d’un véritable mouvement contre la guerre, qui devrait
nécessairement rompre avec le système bipartite et adopter une trajectoire
politique indépendante.
Tous les démocrates en vue de la Chambre des représentants
et du Sénat ont même adopté le langage de la Maison-Blanche dans leurs
discussions sur le financement d’urgence, présentant le fait de voter contre le
projet de loi comme une attaque envers les soldats. Bush, lors de son discours
samedi à la radio, a exigé que le Congrès fournisse aux troupes « les
fonds, les ressources et l’équipement dont ils ont besoin pour faire leur
travail ».
Les démocrates du Sénat, plutôt que de faire respecter le
droit constitutionnel du Congrès de mettre un terme au financement et forcer
l’arrêt de la guerre — sauvant ainsi la vie des soldats — ont repris les
paroles de Bush, et déclaré par la voix de Schumer, que « nous n’allons
tout simplement pas laisser les troupes en plan, un point c’est tout ».
En rejetant totalement l’arrêt du financement, Levin et Schumer
vont plus loin que certains sénateurs républicains. Arlen Spector de
Pennsylvanie, par exemple, a déclaré lors d’une émission dimanche qu’il n’était
pas prêt à « arrêter le financement dans l’immédiat ».
Ajoutant : « Mais ma patience, comme celle de beaucoup d’autres, a
des limites. »
Il ne fait aucun doute que la position ouvertement en
faveur de la guerre, des dirigeants démocrates, a un impact sur la conscience
publique. Selon un sondage d’opinion publié ce week-end, alors que 62 pour cent
des personnes interrogées sont opposées à la façon dont Bush mène la guerre, 57
pour cent s’opposent également aux actions des démocrates au Congrès, une
indication que le sentiment anti-guerre commence à se retourner contre les deux
partis.
Dans leurs commentaires sur la guerre ces derniers jours,
les démocrates au Sénat aussi bien que la représentante à la Chambre, Nancy Pelosi, ont une fois de plus repris les
conclusions du rapport déposé par le Groupe d’étude sur l’Irak, dirigé par
l’ancien secrétaire d’Etat, James Baker et l’ancien congressiste démocrate, Lee
Hamilton. Le rapport Baker-Hamilton a été en grande partie mis de côté après
que ses principales conclusions aient été rejetées par la Maison-Blanche qui
était faveur de l’escalade militaire, escalade qui a pris la forme d’une
« intensification » de près de 30 000 soldats additionnels à
Bagdad et dans la province d’Anbar.
Mais dans les dernières semaines, Hamilton et Baker ont
tous deux publié des commentaires dans les journaux à grand tirage, appelant à
ce qu’on revienne à leur approche bipartisane à la guerre. L’article de Baker,
publié le 5 avril dans le Washington Post, soulignait les dangers
politiques à l’intérieur du pays et appelait à ce que le rapport du Groupe
d’étude sur l’Irak serve de base pour recréer un « consensus
national » sur la guerre. Baker insistait dans son commentaire que dans
son rapport, les membres du groupe d’étude avaient rejeté un retrait
« prématuré » des troupes américaines.
Pelosi avait cité le rapport Baker-Hamilton pour justifier
son voyage en Syrie la semaine dernière, qui a été vertement dénoncé par la
Maison-Blanche. Le Groupe d’étude sur l’Irak avait recommandé une approche
diplomatique américaine envers la Syrie voire même l’Iran, dans le but d’obtenir l’aide de ces régimes pour
éviter l’effondrement total de la position américaine en Irak.
Les démocrates au Congrès, bien qu’ils critiquent à
l’occasion très vigoureusement la compétence de l’administration Bush dans la
conquête et l’occupation de l’Irak, ont adopté toutes les suppositions sous-tendant
la justification de la Maison-Blanche pour sa guerre d’agression. Les « critères
de performance » incorporés dans les législations de la Chambre des représentants et au Sénat, accordant
les crédits d’urgence essentiels pour la poursuite de la guerre, ont déjà été
proposés par l’administration Bush elle-même. Parmi ceux-ci, on trouve la
demande — d’une importance centrale pour l’élite dirigeante américaine — que le
gouvernement irakien adopte au plus tard le 1er juillet 2007, une loi nationale
permettant la privatisation et la vente des réserves pétrolières du pays.