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Canada: les leçons de la grève chez Vidéotron

Par Guy Charron
17 mai 2003

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Ayant duré près d'un an, la grève chez le câblo-distributeur Vidéotron, filiale du géant mondial de l'imprimerie Quebecor, s'est terminée par une cuisante défaite pour les 2200 travailleurs concernés et représente un coup porté à la classe ouvrière en son ensemble.

Vidéotron est certes revenu sur une décision qui avait été au coeur du conflit, à savoir le transfert de 664 techniciens à un sous-traitant offrant des conditions de travail nettement inférieures. Mais c'est uniquement parce que l'entente ayant mis fin à la grève est, en ce qui concerne les travailleurs, pire que l'offre qu'avait faite la compagnie en septembre 2002.

«La vente des techniciens à Entourage devait rapporter 15 millions par année, mais les concessions consenties par les syndiqués ont permis d'obtenir davantage», a expliqué Luc Lavoie, porte-parole de Quebecor et ancien conseiller de l'ex-premier ministre conservateur du Canada, Brian Mulroney. Autrement dit, la compagnie va piger plus de 7000 dollars par année sur chacun des employés qu'elle garde à son emploi.

L'entente comprend aussi l'élimination de 248 emplois, dont 120 postes de techniciens. De plus, la semaine de travail pour tous les employés va passer de 35 heures à 37,5 heures. Ces deux heures et demie supplémentaires seront fournies gratuitement par les techniciens et à demi taux par les autres travailleurs. Ceci correspond à une diminution de salaire d'environ 17,5 pour cent pour les techniciens et de 12,7 pour cent pour les travailleurs de l'administration en tenant compte du fait qu'il étaient auparavant payés au tarif des heures supplémentaires.

L'entente voit l'entrée en vigueur d'une convention collective d'une durée de cinq ans. Celle-ci n'accorde aucune augmentation salariale pour les trois premières années et une augmentation de seulement 2,5 pour cent les deux dernières, alors que le taux d'inflation dépasse actuellement les 4 pour cent par année au Canada. Elle prévoit aussi que les travailleurs perdront deux jours fériés payés, une semaine de congé de maladie sur les trois qu'ils avaient présentement, et deux semaines de congés payés.

Pour finir, jusqu'à 40 pour cent du service et de l'installation pourra être confié à des sous-traitants, contre seulement 15 pour cent auparavant et il sera maintenant possible d'octroyer 20 pour cent de la construction du réseau à des sous-traitants, ce qu'interdisait entièrement la précédente convention collective.

Malgré ces importantes concessions, l'avenir des travailleurs qui restent à Vidéotron est loin d'être assuré. Selon un analyste financier cité par le quotidien montréalais La Presse, «Tôt ou tard, Quebecor devra revenir à la charge pour confier toutes ses activités d'installation à la sous-traitance. La concurrence va s'intensifier et dans un marché à maturité comme celui du câble, Vidéotron devra un jour ou l'autre faire comme ses concurrents.»

L'ampleur de la défaite n'a pas empêché Henri Massé, le président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) à laquelle sont affiliés les employés de Vidéotron, de déclarer que ce long conflit «va demeurer un exemple extraordinaire de ce que peut accomplir la solidarité syndicale».

Il a fallu plus de dix heures de réunion pour que les 1700 employés de Vidéotron à Montréal cèdent à la pression de leurs dirigeants syndicaux et entérinent cette entente pourrie. Quelques jours avant le vote, les chefs syndicaux avaient informé les travailleurs que leurs primes de grève seraient bientôt réduites. Et la journée du vote, ils ont faussé le contenu véritable de l'entente en présentant celle-ci comme «la meilleure convention possible pour nos membres», laquelle fait «reculer Quebecor sur tous les enjeux majeurs».

Le conflit chez Vidéotron dépassait le cadre de la compagnie et du secteur des télécommunications. Dans un contexte où plusieurs fleurons de l'industrie québécoise et canadienne tels que Bombardier, Air Canada, et Nortel sont durement touchés par l'effondrement de la bulle spéculative du marché et par la récession mondiale qui continue de s'approfondir, le caractère fondamental de la lutte de Vidéotron n'a pas échappé à l'élite dirigeante. Parmi les personnalités à s'être ralliés officiellement derrière Pierre-Karl Péladeau, le milliardaire à la tête de Quebecor, se trouvaient: Bernard Landry, alors premier ministre péquiste du Québec; Brian Mulroney, ancien premier ministre conservateur du Canada; Lucien Bouchard, ancien premier ministre du Québec; et Henri-Paul Rousseau, le président de la Caisse de dépôt et de placement. Quant aux cours, elles ont joué leur rôle traditionnel et donné les injonctions nécessaires pour limiter le piquetage, permettre à Vidéotron de fonctionner normalement grâce aux briseurs de grève, et empêcher que les autres filiales de Quebecor ne soient perturbées.

En finançant Quebecor pour qu'il achète Vidéotron pour $5,4 milliards quelques mois avant l'éclatement de la bulle spéculative, la Caisse de dépôt et de placement (CDP), l'organisme gouvernemental qui a créé tant de grands capitalistes francophones à l'aide des milliards des fonds de retraite des travailleurs au Québec, parlait au nom de la bourgeoisie québécoise et annonçait au monde que cette dernière voulait accéder au club select de ceux qui domineraient les télécommunications mondiales. Il fallait à tout prix bloquer l'intégration de Vidéotron avec Rogers, une compagnie torontoise, pour bénéficier de l'eldorado spéculatif de la «convergence des médias». Quebecor est le plus grand imprimeur au monde, il possède un réseau de télévision, un réseau de presse écrite et est implanté dans la câblodistibution et les services internet.

En deux ans, les rêves de profits gargantuesques de l'élite dirigeante québécoise se sont évaporés en même temps que les quatre milliards en valeur de Vidéotron, qui ont été radiés des livres comptables de la CDP et de Quebecor. C'est pour améliorer sa position stratégique face aux investisseurs internationaux que Quebecor a décidé d'attaquer de front les travailleurs de Vidéotron, une compagnie dont les profits ont augmenté dans l'année avant la grève, mais pas suffisamment pour compenser les pertes subies.

Dès le début du conflit, il était clair que la bureaucratie syndicale préparait la défaite. Le WSWS avait donné l'avertissement dans ses articles sur la grève que «la direction syndicale est prête à céder aux demandes de Vidéotron pour une diminution importante des salaires et l'élimination de centaines d'emplois».

En proclamant que «cette compagnie-là, on va la sauver», le président de la FTQ avait clairement annoncé son intention de ne rien entreprendre qui puisse nuire à Vidéotron. Conformément à cet objectif avoué, la bureaucratie syndicale a refusé de mener la moindre mobilisation de ses membres, allant jusqu'à saper une inoffensive campagne de boycottage exigée par les membres de la base. Son activité principale fut de demander aux travailleurs de Vidéotron de faire pression sur le Parti Québécois (PQ), ce parti de la grande entreprise alors au pouvoir et auquel la bureaucratie syndicale a historiquement subordonné les travailleurs.

Tout au long du conflit, le câblo-distributeur a pu maintenir ses opérations en utilisant des briseurs de grèves, certains étant syndiqués avec la FTQ, la même centrale à laquelle sont affiliés les employés de Vidéotron. En outre, Alentron, le sous-traitant de Vidéotron chez qui les techniciens avaient été transférés, est la filiale d'une entreprise créée par la FTQ sous le nom de Entourage.

Dès le début, plusieurs travailleurs de Vidéotron avaient instinctivement senti que leur direction était inadéquate. Toutefois, s'ils critiquaient leur direction pour son manque de militantisme syndical, ils n'ont jamais brisé avec la perspective selon laquelle la seule façon d'améliorer le sort des travailleurs est de faire le maximum de pression sur les capitalistes dans le cadre du système existant. Leur critique s'est limitée, pour quelques-uns, à des actes de vandalisme visant à faire pression sur Quebecor; pour d'autres, à monter un site web détaillant les exemple d'à-plat-ventrisme de la direction syndicale sans proposer la moindre alternative à cette politique.

Il ne fait aucun doute que la direction syndicale est liée de multiples façons à Quebecor et à la grande entreprise en général, via ses institutions et ses partis politiques. Les grandes centrales ont des représentants dans une foule d'organismes et de comités patronaux-gouvernementaux-syndicaux. Elles gèrent des fonds de retraite, des fonds d'actions, des immenses investissements immobiliers. Les centrales ont activement fait campagne pour que le PQ élimine le déficit budgétaire du gouvernement provincial et, à cette fin, ont proposé un mécanisme pour abolir des dizaines de milliers d'emplois du secteur public. Et, exemple parmi d'autres, le président de la FTQ Henri Massé est membre du conseil d'administration de la CDP et en tant que président du Fonds de solidarité de la FTQ, contrôle des milliards investis dans plus de 1600 entreprises québécoises.

Les liens incestueux entre la bureaucratie syndicale et la grande entreprise ont été inopinément révélés six mois après le début de la grève à Vidéotron dans une lettre ouverte à la CDP et signée par toutes les centrales syndicales du Québec. Celles-ci y affirment qu'elles «représentent près de 400 000 travailleuses et travailleurs dans les secteurs public et parapublic», et que ces derniers «contribuent à hauteur de 30 milliards à la Caisse, soit à près du quart de son actif». Et la lettre de conclure par un remarquable aveu: «C'est à titre de fiduciaire unique de l'épargne retraite de ces membres que les sept organisations syndicales pressent le président de la CDP d'intervenir énergiquement auprès des gestionnaires de cette entreprise [Quebecor]» (souligné par nous).

La grève chez Vidéotron a mis à nu l'état de putréfaction dans lequel sont tombés les syndicats. La sauvegarde des emplois et des programmes sociaux, sans parler d'une amélioration substantielle du niveau de vie de la population travailleuse, est aujourd'hui incompatible avec le maintien du système capitaliste. Ayant historiquement évolué dans le cadre de ce système et organiquement incapables de s'en détacher, les syndicats ont été transformés, sous la gouverne d'une bureaucratie privilégiée, en mécanismes pour imposer les attaques anti-ouvrières exigées par le capital; et ils ont fini par développer un intérêt financier direct à augmenter le niveau d'exploitation des travailleurs.

Ce n'est pas tant que les bureaucraties syndicales «trahissent» les principes du syndicalisme en collaborant avec les diverses institutions du patronat; mais que cette collaboration de plus en plus intime est la conséquence ultime du syndicalisme dans le contexte actuel de crise globale sans précédent du système capitaliste.

Dans la période du boum économique d'après-guerre, le caractère non-viable de cette perspective a été masqué par la possibilité relative pour les travailleurs vivant dans les pays capitalistes avancés d'améliorer leur qualité de vie au moyen de luttes syndicales militantes. Mais ce fut au prix de l'érosion de leur activité politique indépendante et du maintien du système capitaliste, dont le développement devait inexorablement créer les conditions pour la fin de l'expansion d'après-guerre et le début d'une nouvelle période de déclin. Commencé au début des années 1970, ce processus a atteint aujourd'hui un stade avancé qui a irrémédiablement sapé toute la perspective syndicaliste.

La leçon fondamentale à tirer de l'amère expérience des employés de Vidéotron c'est la nécessité pour les travailleurs de rompre organisationnellement et politiquement avec la bureaucratie syndicale. La classe ouvrière a besoin d'une nouvelle perspective, une perspective socialiste et internationaliste, et d'une nouvelle organisation politique capable d'exprimer ses intérêts objectifs. Les grèves et autres formes d'action militante ont beau être des armes nécessaires dans l'arsenal de la lutte de classe; en elles-mêmes, elles sont insuffisantes pour stopper l'assaut mené contre les emplois et le niveau de vie. Ces actions militantes doivent être subordonnées à une lutte politique, menée par la classe ouvrière, non seulement contre tel ou tel employeur mais contre le système de profit en son ensemble, et pour l'égalité sociale.


Pour une analyse exhaustive de l'évolution historique des syndicats, voir l'article suivant:
 Le marxisme et les syndicats

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