La guerre en Libye et la crise de l’Union européenne - Deuxième partie

Deuxième partie

La crise de l’Union européenne

Les différences entre l’Allemagne et la France ne se limitent pas à des questions de politique étrangère. De graves conflits existent aussi dans les domaines économique et financier qui compromettent l’euro et l’Union européenne même.

Le passage à l’euro n’a pas, comme Helmut Kohl et Joschka Fischer et les autres l’avaient escompté, entraîné une plus grande harmonisation en Europe. Au contraire, il a intensifié les différences économiques et sociales. Une grande quantité de données statistiques montre que les conflits croissants entre l’Allemagne et la France et la fragmentation de l’UE ne sont en aucun cas le fait du hasard.

L’économie allemande a largement bénéficié du passage à l’euro. Entre 1990, année de la réunification allemande, et 2008, les exportations allemandes ont presque triplé : de 348 milliards d’euro à 984 milliards. Les importations ont aussi considérablement augmenté passant de 293 milliards d’euros à 806 milliards.

L’augmentation de l’excédent de la balance commerciale revêt une importance toute particulière. Elle a plus que triplé entre 1990 et 2008. Initialement elle avait baissé après la réunification. L’économie allemande à cette époque était davantage concentrée sur le commerce intérieur qu’extérieur. Mais, durant les années 1990, l’excédent du commerce extérieur s’est accru de manière continue. L’essor le plus grand a eu lieu entre 2000 et 2005 lorsqu’il a grimpé de 22 pour cent par an. En 2007, il avait atteint la valeur record de 200 milliards.

En Allemagne, trois facteurs ont essentiellement contribué à l’accroissement des exportations et à l’excédent de la balance commerciale : l’introduction de l’euro, l’élargissement de l’UE vers l’Europe de l’Est et le développement du secteur des emplois à bas salaire en raison des réformes de l’Agenda 2010.

L’euro a protégé l’Allemagne des fluctuations monétaires au sein de l’Europe et a maintenu internationalement la monnaie à une valeur relativement faible, renforçant de ce fait l’industrie exportatrice allemande en Europe et internationalement.

En 2008, 63 pour cent des exportations allemandes se faisaient vers les pays de l’UE et 43 pour cent vers les pays de la zone euro. Deux tiers des exportations étaient facturées en euros, les rendant ainsi indépendantes des fluctuations monétaires.

La monnaie allemande a été maintenue artificiellement basse par le biais de l’Euro. Si les pays européens avaient maintenu leur monnaie nationale, alors le deutschemark aurait augmenté fortement par rapport aux monnaies inflationnistes tels la drachme grecque, la lire italienne et le franc français. Il aurait probablement augmenté par rapport au dollar américain et au yen japonais. Toutefois avec l’introduction de l’euro, les relations monétaires sont restées stables.

Alors que les prix et les salaires nominaux ont augmenté après le passage à l’euro, dans les pays européens plus faibles, ils ont à peine augmenté en Allemagne. Ceci était principalement dû à l’Agenda 2010 du gouvernement Schröder qui a créé un énorme secteur à bas salaires introduit grâce aux syndicats et réduisant considérablement les salaires.

Par conséquent, entre 2000 et 2010, le coût unitaire de la main-d’œuvre en Allemagne a augmenté moins que dans le reste de l’Europe. En Allemagne, il a augmenté de 0,7 pour cent par an tandis que la moyenne de l’UE se situait à 2.1 pour cent. En Grèce, il a augmenté de 3 pour cent, au Portugal de 2,7 pour cent et en Espagne de 2,6 pour cent par an. En France, il a aussi augmenté de 1,9 pour cent par an, presque deux fois plus vite qu’en Allemagne.

Cela s’est traduit par une augmentation remarquable des déséquilibres économiques en Europe. Alors que le commerce extérieur de l’Allemagne affichait un excédent, les déficits croissaient en France et en Grande-Bretagne. Evalué par rapport à son PIB, l’excédent du commerce extérieur de l’Allemagne s’élevait en 2008 à 7,1 pour cent. La France enregistrait un déficit de 3,5 pour cent, la Grande-Bretagne un déficit de 6,6 pour cent et la Pologne un déficit de 6,8 pour cent.

L’Allemagne a aussi profité de l’élargissement de l’UE aux pays de l’Est. Alors que sa part des exportations vers les anciens Etats de l’UE a baissé considérablement, les exportations allemandes vers les nouveaux Etats membres ont doublé. Ces pays ont aussi servi de rallonge pour les chaînes de production à l’Allemagne. Les statistiques du commerce extérieur incluent non seulement les exportations des produits finis tels les voitures et les machines, mais aussi ce qu'on appelle « le commerce inter entreprise ». Si les marchandises franchissent plusieurs fois les frontières au cours de leur processus de fabrication, cet « effet de mondialisation » se retrouve dans les statistiques pour les gonfler artificiellement.

Au cours de ces 20 années dernières nous avons assisté à un déséquilibre considérable en termes de commerce international non seulement en Europe mais aussi mondialement. L’Allemagne a dépassé les Etats-Unis en termes d’exportations tandis que le Japon a chuté fortement. Le pionnier est cependant la Chine dont les exportations sont passées de 62 milliards de dollars en 1990 à 1,4 mille milliards de dollars en 2008, ce qui correspond à une augmentation 22 fois supérieure.

Un autre critère important des relations économiques internationales est l’Investissement direct étranger (Foreign Direct Investment, FDI). L’OCDE le définit comme suit : « Le FDI est une activité par laquelle un investisseur résident dans un pays obtient un intérêt durable et une influence significative dans la gestion d’une entité résident dans un autre pays. »

Autrement dit, son but est d’exploiter les travailleurs des pays étrangers au moyen du mécanisme de l’exportation des capitaux. Lénine avait déjà identifié les exportations des capitaux comme un trait important de l’impérialisme. Il avait écrit, « Ce qui caractérisait l’ancien capitalisme où régnait la libre concurrence, c’était l’exportation des marchandises. Ce qui caractérise le capitalisme actuel, où règnent les monopoles, c’est l’exportation des capitaux. »

Au cours des deux dernières décennies, il y a eu un changement considérable dans ce secteur. Sur la base de son fort excédent commercial, l’Allemagne est devenue un important exportateur de capitaux. Depuis 1990, l’investissement de capital allemand dans les pays étrangers s’est multiplié par six tandis que l’investissement de capital étranger en Allemagne a quadruplé.

Exprimé, toutefois, en pourcentage du BPI, ainsi qu’en chiffres absolus, les anciennes puissances coloniales européennes, la Grande-Bretagne et la France, continuent à devancer l’Allemagne dans le domaine du FDI.

En 2008, l’Investissement direct étranger du Royaume Uni s’élevait à 57 pour cent de son PIB. Ceci place le Royaume Uni devant la France (50 pour cent) et l’Allemagne (40 pour cent). En chiffres absolus, le FDI du Royaume Uni était de 1,8 mille milliards d’euros contre 1,3 mille milliards d’euros pour la France et 1,2 mille milliards d’euros pour l’Allemagne. Les Etats-Unis détenant la première place avec 3,5 mille milliards d’euros.

Le FDI allemand était principalement concentré en Europe et aux Etats-Unis. En 2004, 50 pour cent étaient investis dans les anciens Etats de l’UE et 30 pour cent aux Etats-Unis. Environ 6 pour cent étaient investis dans les nouveaux Etats membres de l’UE et 1 pour cent seulement en Chine.

A suivre

(Article original paru le 31 mai 2011)

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