La police tunisienne attaque les protestations anti-gouvernementales

Ces derniers jours, les forces de sécurité tunisiennes ont brutalement attaqué partout dans le pays une nouvelle vague de protestations anti-gouvernementales.

Le 15 juillet, après la prière du vendredi, des centaines de manifestants anti-gouvernement ont tenté d’organiser un sit-in devant le siège du premier ministre dans les environs de la Kasbah à Tunis. Ils ont revendiqué une réforme judiciaire, la démission des ministres de l’Intérieur et de la Justice ainsi que la démission du premier ministre par intérim, Beji Caïd Essebsi. Ils ont aussi exigé des poursuites judiciaires contre les responsables du meurtre de manifestants durant les protestations de masse en janvier qui avaient conduit au renversement du président dictateur Zin El Abidine Ben Ali.

Selon des reportages, « vendredi, des véhicules blindés ont formé un barrage serré autour des ministères, bloqués dans une situation tendue avec une foule de jeunes manifestants portant des bandanas et des T-shirts barrés de slogans pro-démocratie. »

La protestation pacifique a été brutalement réprimée par les forces de sécurité. Elles ont chargé les manifestants en les agressant et en les matraquant à coups de bâtons, en lançant des gaz lacrymogènes contre eux et ceux qui s’étaient réfugiés dans la mosquée de la Kasbah. Abdelwahab El-Heni, le dirigeant du parti Al-Majd, a dit à l’AFP que « des policiers sont entrés à l’intérieur de la mosquée où des manifestants continuaient leur sit-in de contestation et ont agressé violemment les protestataires. »

Les policiers ont attaqué des journalistes qui couvraient le sit-in dans la Kasbah et les militants des droits de l’homme. Le correspondant de l’Agence France Presse, Sofiane Ben Farhat, a dit à Reporters sans frontières que « certaines personnes ont été délibérément visées par les policiers. J’ai entendu des hommes en uniforme crier ‘les hommes avec les caméras là-bas, il faut les attaquer’ ».

Selon AllAfrica.com, les journalistes de Radio Mosaïque, Radio 6, Radio Jeunesse, Tunisma et Al Sa’a ont été attaqués ainsi qu’un pigiste.

Selon Amnesty International, « pas moins de 47 manifestants auraient été interpellés et conduits à la prison de Bouchoucha. Plusieurs auraient été blessés au cours de leur arrestation, lorsque le sit-in organisé à la Kasbah a été dispersé par les forces de sécurité à l’aide de matraques. »

Ziad, un jeune enseignant venu de Keliba (120 kilomètres de Tunis) pour protester a dit que ceux qui étaient présents sont venus ici « pour une manifestation pacifique. » Il a ajouté « nos revendications sont simples : limogeage des ministres de la Justice et de l’Intérieur, justice indépendante, sanctions des auteurs et commanditaires des tueries, juste réparation pour les victimes. »

La répression du gouvernement dans la Kasbah a provoqué ce week-end de multiples protestations de colère dans d’autres villes. Dimanche, les jeunes sont descendus dans la rue pour protester contre la répression du gouvernement dans la ville de Sidi Bouzid, dans le centre de la Tunisie, où les premières protestations de masse avaient éclaté en décembre après l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi. Après que les forces de sécurité ont ouvert le feu en tirant à balles réelles sur les manifestants devant un complexe militaire, un garçon de 13 ans a été tué. Il a été touché par une balle qui a ricoché sur son bras avant de l’atteindre en pleine poitrine.

Le 19 juillet, Amnesty International a réclamé qu’une enquête indépendante soit menée sur la mort du jeune garçon. Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International a dit, « Les forces de sécurité doivent répondre de cette mort tragique. Le fait de tirer à balles réelles sur les manifestants dimanche à Sidi Bouzid ne peut que rappeler les méthodes utilisées sous le régime de Ben Ali. »

L'agitation sociale souligne l’hostilité populaire croissante contre le gouvernement de transition. Les masses sont tout à fait conscientes que le régime actuel consiste en anciens responsables de Ben Ali et qu’il opère encore pour protéger les intérêts de la bourgeoisie tunisienne corrompue et de ses partisans impérialistes américains et européens.

Un récent sondage réalisé par l’organisation américaine l’International Republican Institute (IRI) a trouvé que seuls 46 pour cent des Tunisiens pensent que la « transition vers la démocratie » est en bonne voie – une baisse par rapport aux 79 pour cent en mars. Le sondage relève que « Seule une faible majorité, 59 pour cent, pensent que l’actuel gouvernement traiterait probablement les problèmes de la Tunisie, une baisse par rapport aux 82 pour cent en mars ». Bien que 86 pour cent aient dit qu’ils voteraient « très probablement » aux élections pour une assemblée constitutionnelle en octobre, 72 pour cent n’ont pas encore décidé pour qui.

Tout comme en Egypte où les travailleurs réclament une « deuxième révolution » contre l’Etat, la classe ouvrière en Tunisie s’engage dans une lutte non seulement contre l’ancien parti dirigeant mais contre les partis soi-disant de « gauche » de l’« opposition » officielle.

Loin de condamner la politique de répression, ces partis – qui revêtent à présent des fonctions officielles dans la soi-disant Haute commission pour la réalisation des objectifs de la révolution – dénoncent les protestations comme étant un « plan méthodique visant à ébranler la stabilité » de la Tunisie.

Depuis l’éviction de Ben Ali, le régime intérimaire a observé avec consternation la radicalisation grandissante de la classe ouvrière tunisienne. La Tunisie a connu une augmentation des grèves dans de nombreuses industries, des revendications d’augmentation de salaire, d’emplois et d’autres allocations sociales.

Le site Internet Africanmanager a cité le quotidien Achourouk : « le climat social demeure tendu par rapport à la même période de l’année 2010, en ce sens que le nombre des grèves a augmenté de 130 pour cent et celui des entreprises touchées par les grèves de 92 pour cent. » Il a ajouté, « Au cours de la même période de 2011, le nombre des jours perdus a grimpé de 347 pour cent en raison de la longueur de la durée des débrayages dans les entreprises et les secteurs à haute intensité d’emploi. »

Le régime intérimaire, cité par les médias occidentaux et les partis soi-disant de « gauche » comme étant un exemple de « transition démocratique », s’est révélé incapable de résoudre les problèmes pressants auxquels est confrontée la population tunisienne. Au lieu de cela, il cherche à défendre tout ce qu’il peut de l’ancien ordre politique.

Dans un article paru le 15 juillet dans la rubrique « éditorial et opinion » du New York Times et intitulé « La révolution n’est pas encore finie, » Hamadi Redissi, professeur à l’université de Tunis a admis : « Le système juridique erroné et lourd n’a pas satisfait la population en quête d’une justice authentique. Jusqu’à présent, pas un seul dollar transféré hors du pays par la famille Ben Ali n’a retrouvé le chemin des coffres de l’Etat, pas un seul policier impliqué dans les meurtres de près de 300 manifestants n’a été condamné et pas un seul membre de la clique dirigeante qui a fui le pays n’a été extradé – dont M. Ben Ali. Le gouvernement intérimaire s’est appuyé sur un processus juridique traditionnel dirigé par les mêmes magistrats qui ont œuvré pour l’ancien régime. »

Pour ce qui est du chômage, le gouvernement reconnaît qu’il pourrait atteindre cette année 20 pour cent de la main-d’œuvre, contre seulement 13 pour cent en 2010.

La réaction du gouvernement intérimaire aux protestations grandissantes a été de menacer de reporter une nouvelle fois les élections. Le premier ministre par intérim Beji Caïd Sebsi a dit que notamment le sit-in a été l’œuvre de « partis qui ne sont pas prêts pour les prochaines élections et qui commencent à craindre que cette échéance politique ne dévoile leur véritable poids, ce qui les poussent à recourir à tous les moyens pour entraver ce processus politique. »

Il a ajouté que les récents actes de violence « ont démontré, sans aucun doute que ce qui se passe n’est pas un simple mouvement de protestation, mais une intention de faire régner la confusion et le désordre afin que les élections ne se déroulent pas à la date prévue. » Il a aussi reproché aux journalistes de répandre des rumeurs.

En fait, ce ne sont pas les manifestants mais bien le gouvernement de transition qui dispose de l’autorité juridique pour retarder les élections. Il a déjà repoussé les élections du 24 juillet au 23 octobre en disant qu’il n’organiserait pas d’élections au milieu de grèves de masse. Les reports répétés des élections pour des motifs politiques soulignent la nature frauduleuse du « processus constitutionnel » et de l’engagement supposé du gouvernement de transition pour une « transition démocratique. »

(Article original paru le 22 juillet 2011)

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