Les élections présidentielles égyptiennes se caractérisent par une abstention et une fraude massives

La démonstration d’une abstention de masse a été le verdict rendu par la classe ouvrière égyptienne sur les premières élections présidentielles en Egypte après l’éviction révolutionnaire en février 2011 du dictateur Hosni Moubarak soutenu par les Etats-Unis

Lors du dernier tour des élections ce week-end, Ahmed Chafiq, dernier premier ministre sous le dictateur évincé Hosni Moubarak avait pour rival Mohamed Morsi, candidat des Frères musulmans (FM) islamistes. Tous deux, Chafiq et Morsi, sont des représentants droitiers de la classe dirigeante égyptienne, hostiles aux aspirations sociales et démocratiques de la révolution égyptienne et largement discrédités au sein des masses égyptiennes.

Pour l’heure, aucun résultat ou chiffre concernant la participation au scrutin n’a été annoncé. Toutefois, les articles de journaux suggèrent que la participation a été même plus faible qu’au premier tour des élections, il y a trois semaines.

Ahram Online, site internet de langue anglaise du journal égyptien le plus largement diffusé, écrit : « La nouvelle marquante du jour est l’absence apparente d'électeurs. Le syndicat des avocats a rapporté que seuls 15 pour cent des électeurs inscrits se sont rendus samedi aux urnes. Dimanche, la participation a même été plus faible. »

Les élections ont commencé deux jours seulement après que le Conseil suprême des Forces armées (CSFA) de la junte eut organisé un coup militaire en dissolvant le parlement dominé par les islamistes et l’assemblée constituante chargée de la rédaction d’une nouvelle constitution. Soutenue par ses alliés impérialistes de Washington et d'Europe, la junte s’est emparée du plein contrôle de la politique officielle égyptienne. Ces événements ont démasqué comme une fraude politique la « transition démocratique » organisée par la junte depuis le début de la révolution égyptienne.

Durant les élections, l’armée égyptienne a été déployée en force partout dans le pays. Des hélicoptères militaires ont évolué au-dessus des principales villes et des soldats lourdement armés ont « sécurisé » les bureaux de vote. Des soldats auraient filmé les bureaux de vote, intimidant les électeurs et les journalistes.

Les élections ont été entachées de fraude. La campagne de Chafiq aurait organisé le vote pour des forces de l’armée et de la police qui ne sont pas autorisées à participer au scrutin. L’achat de voix a été largement répandu et, comme lors des élections sous Moubarak, des bulletins de vote pré-remplis ont été distribués. Des affrontements ont été signalés dans divers bureaux de vote entre des partisans de Chafiq et de Morsi.

Les deux camps se sont mutuellement accusés de fraude électorale. Ahmed Sarhan, porte-parole de la campagne de Chafiq a accusé Morsi d’avoir pré-coché des bulletins, notamment dans les gouvernorats ruraux. La campagne de Morsi a affirmé que ces accusations ne visaient qu’à dissimuler les violations électorales de la campagne de Chafiq. Le coordinateur général de la campagne de Morsi, Ahmed Abdel Aaty, a dit que des soldats ont été appelés à voter pour Chafiq dans le gouvernorat de Kafr el-Cheikh, dans le Nord.

La junte militaire a officiellement affirmé être « impartiale », mais le coup d’Etat de jeudi a encore davantage convaincu l’opinion publique que la junte cherchait à garantir l’élection de Chafiq, général de l’armée et compère de Moubarak.

« Je ne vois pas pourquoi j'irais voter! Mon vote ne compte pas et le tableau est très clair. Ils veulent Chafiq et ils vont faire de lui le prochain président, quel que soit celui pour qui on vote, » a dit Hussein, chauffeur de taxi au Caire. Il a décrit les élections comme étant un « feuilleton mélo » en expliquant : « C’est clair, ils veulent Chafiq et ils obligent les gens à choisir entre lui et les Frères musulmans pour qu’il puisse gagner. »

Tanya El Kashef, rédacteur en chef assistant d’un site internet tendance, a dit au journal britannique The Guardian : « Je pense que l’armée financée par les Etats-Unis a sélectionné son président il y a un moment déjà, et nous ne faisons que jouer le jeu. »

Malgré les menaces des autorités de faire payer une amende à tous ceux qui ne font pas leur « devoir patriotique » électoral, la plupart des Egyptiens ont refusé de voter pour l’un ou l’autre candidat. »

Ahmed Saad el-Deen, architecte de Sayedah Zeinab, un quartier de la classe moyenne au Caire a dit : « C’est une mascarade. J’ai rayé le nom des deux candidats sur mon bulletin de vote et j’ai écrit ‘la révolution continue.’ Je ne peux pas voter pour celui qui a tué mon frère, ni pour l'autre qui a dansé sur son cadavre. »

Il a expliqué que Chafiq avait été premier ministre sous Moubarak, durant la tristement célèbre « bataille des chameaux » lorsque les nervis de Moubarak avaient attaqué les manifestants sur la place Tahrir, et que les Frères musulmans (FM) avaient étroitement collaboré avec le CSFA au cours de ces derniers mois.

Mohamed Abdel-Fatah Ali, qui vient d’Ain Shams, banlieue ouvrière du Caire, a expliqué son opposition aux deux candidats : « Les Frères musulmans sont des menteurs et des tricheurs. Nous sommes chrétiens, donc nous avons besoin d’un Etat civil, et pas d'un Etat islamiste. Quant à Chafiq, c’est le successeur de Moubarak, un militaire. »

Omar Abdel Aziz, un jeune de 24 ans, a dit au journal Egypt Independent: « Une voix pour Chafiq est une claque en pleine figure pour les martyrs, une voix pour Morsi est une condamnation à mort pour le pays. Comment est-ce que je peux voter ? »

Parmi les électeurs qui avaient décidé de voter, la méfiance était généralisée. En attendant d’aller voter à Sayedah Zeinab, Asmaa Fadil a dit qu’elle avait perdu confiance dans l’ensemble de la « transition démocratique, » particulièrement après le coup d’Etat : « Je ne fais pas confiance à tout cela. Je crois que tout est planifié d’avance et ce que nous faisons là fait juste partie du plan. »

Avec le coup d'Etat et la mise en scène des élections, les généraux cherchent à intimider et finalement à réprimer toute opposition de la classe ouvrière qui a été l’année dernière la principale force derrière la révolution contre Moubarak. L’élite dirigeante égyptienne, cherche à tout prix à empêcher une répétition des premiers jours de la révolution, où des grèves et des manifestations de masse avaient secoué les fondements de l’Etat bourgeois égyptien et où les généraux avaient senti qu’ils ne pouvaient plus compter sur les soldats pour écraser les protestations de masse.

Un jour avant le coup d’Etat, le ministère de l’Intérieur, dirigé par le général Mohammed Ibrahim, avait publié un décret autorisant la police, la police militaire et les officiers du renseignement d’Etat à arrêter des civils qui « nuisent au gouvernement, » « détruisent des biens, » « s’opposent aux ordres » ou « perturbent la circulation. »

Dimanche soir, le CSFA a publié un supplément à la déclaration constitutionnelle de l’armée du 30 mars 2011, élargissant davantage encore les pouvoirs dictatoriaux de l’armée. Les amendements transmettent tous les pouvoirs législatifs et budgétaires au CSFA et autorisent aussi le CSFA à fixer la composition de l’assemblée constituante qui sera chargée de rédiger la nouvelle constitution.

L’article 53 modifié vise à garantir les intérêts politiques et économiques des militaires. Il spécifie que « les membres sortants du CSFA ont la responsabilité de décider de toutes les questions relatives aux forces armées, y compris la nomination de ses dirigeants et la prorogation des mandats des dirigeants susmentionnés. L’actuel chef du CSFA a la fonction d’agir comme commandant en chef des forces armées et comme ministre de la Défense jusqu’à ce que la nouvelle constitution soit rédigée. »

L’article 53b autorise l’armée à intervenir pour écraser toute manifestation de masse qui défie l’autorité des généraux : « Si le pays est confronté à des troubles internes nécessitant l’intervention des forces armée, le président est habilité à publier une décision pour commanditer les forces armées – avec l’approbation du CSFA – à assurer la sécurité et à défendre les biens publics. » L’actuelle loi égyptienne fixe les pouvoirs des forces armées et de leurs autorités lorsque l’armée peut recourir à la force ou arrêter et détenir des manifestants.

(Article original paru le 18 juin 2012)

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