Grève étudiante au Québec:

«Ce n’est pas seulement les étudiants qui sont sous attaque, mais toute la population travailleuse»

Des reporters du World Socialist Web Site ont interviewé des étudiants et des travailleurs qui ont participé vendredi dernier à la manifestation à Montréal en soutien à la grève étudiante au Québec, longue de quatre mois, et contre le gouvernement libéral provincial.

Dans le cadre d’un vaste programme d’austérité de coupes sociales et de hausses de tarifs et de taxes régressives, les libéraux imposent une hausse des frais universitaires de 82 pour cent. Ébranlé par l’opposition des étudiants à cette hausse, le gouvernement a adopté le mois dernier une loi spéciale (la loi 78) qui criminalise la grève étudiante et applique de sévères restrictions au droit de manifester, pour n’importe quelle cause, partout au Québec. Mais jusqu’à maintenant, comme l’a montré la forte participation aux manifestations de Montréal et de Québec vendredi, le gouvernement n’a pas réussi à briser la grève.

La manifestation à Montréal

Un article a été consacré aux manifestations et aux tentatives des syndicats, de Québec solidaire, un parti « de gauche » petit-bourgeois, et des fédérations étudiantes visant à détourner la grève étudiante et le mouvement plus large de contestation sociale qu’elle a engendré derrière l’opposition officielle du patronat, le Parti québécois : « Manifestations massives en soutien aux étudiants en grève au Québec ».

« Je suis ici pour protester contre le gouvernement, contre le système dans lequel on vit, contre la loi spéciale qui prive les gens de leur liberté », a dit Jamal, un travailleur de 23 ans, au WSWS.

« Je ne suis pas un étudiant, mais un plombier. J’ai commencé à participer aux manifestations après que le gouvernement a passé la loi 78. Avant, j’étais contre la cause des étudiants. Il n’y a pas un gros pourcentage de travailleurs ici, mais nous devons arrêter cela. Il y a beaucoup d’argent qui se fait dans la province du Québec, mais cet argent ne va pas à la population. Il va aux grandes entreprises.

« Le gouvernement coupe dans des programmes sociaux dont les gens ont besoin, tandis que les grandes entreprises ne paient pas d’impôts. Ce n’est pas seulement les étudiants qui sont sous attaque, mais toute la population travailleuse.

« Ils veulent faire comme aux États-Unis. Aux États-Unis, tout est privé. Il faut payer pour aller chez le médecin. Nous ne voulons pas ça ici. Nous sommes contre. Nous voulons que la population bénéficie de ces services. »

Jamal a affirmé qu’il participait à la manifestation, car il voulait voir une « grève sociale », qu’il interprétait comme une grève générale. « C’est ce que nous tentons de faire », a-t-il dit.

Des d’enseignants appuyant la grève étudiante

Antoine, un étudiant en grève, a dit au WSWS : « Comme on le voit aujourd’hui, la mobilisation se poursuit. Je crois que la prochaine étape de la loi 78 sera connue au moment de la reprise des cours [en août]. J’ai entendu selon une source de la police que les policiers de Montréal sont assermentés pour imposer cette loi. Au mois d’août, ils vont frapper fort… je ne sais pas jusqu’où ça va aller.

Un autre étudiant nous a dit que, « Au début, c’était seulement les étudiants contre la hausse des frais de scolarité, mais c’est devenu maintenant beaucoup plus large.

« Il faudrait que ce soit un grand changement social pour toute la société, et pas seulement une question de hausse et d’impôt. Il faut un changement de ce qui touche la société dans son ensemble, car nous avons un gouvernement qui voit toute la société comme une entreprise pour faire de l’argent.

« Le principal rôle des gouvernements devrait être d’améliorer la vie de la population. Mais ils ne sont intéressés que par leurs propres intérêts.

« Pour que la grève soit victorieuse, les étudiants doivent l’élargir. »

Des étudiantes avec le bulletin distribué par l’IEES

Ayant d’abord exprimé son appui pour le rôle des syndicats dans la grève, l’étudiant s’est ravisé lorsqu’on lui a dit qu’ils soutenaient le PQ, un parti qui a mis en oeuvre les plus grandes coupes sociales de l’histoire du Québec quand il a été au pouvoir.

« Ce qui me dérange le plus avec les syndicats et le PQ, c’est que ce sont des opportunistes. Vous avez remarqué que [la chef du PQ, Pauline] Marois a retiré son carré rouge [symbole de la grève]. Ce geste est tellement réactionnaire. »

Lorsqu’on lui a demandé s’il voyait un lien entre les événements au Québec et l’opposition en Grèce et à travers l’Europe contre les violentes mesures d’austérité imposées sur le continent à la demande des banques internationales et du patronat, Jonathan a dit au WSWS, « On se rend compte que le capitalisme n’est pas un système qui va durer éternellement. Le système évolue, c’est ce que l’on voit, et certainement en quelque chose d’autre. Comment cela va changer exactement, je ne sais pas. »

Jonathan

Geneviève et Cynthia étaient déterminées à poursuivre la grève malgré les menaces de violence policière et les sanctions brutales prévues à la loi 78. « Nous devrions être devant les universités en août pour continuer la grève. Il ne faut pas permettre au gouvernement et aux universités de l’emporter. » Lorsqu’on leur a dit qu’il fallait que la grève étudiante devienne le catalyseur d’un mouvement de la classe ouvrière contre toutes les mesures d’austérité des libéraux de Charest et des conservateurs de Harper, elles ont dit : « Je crois que c’est un bon point, mais ces questions ne sont pas encore claires. »

Jean-François a expliqué que si le gouvernement était si déterminé à imposer la hausse des frais de scolarité, c’était parce qu’elle incarnait son principe d’ « utilisateur-payeur » pour les services publics. « En santé, ça a déjà commencé. À partir de l’an prochain, il faudra payer une taxe santé de 200 $ par année. Ils veulent, à la fin de chaque année, compter le nombre de fois qu’une personne est allée chez le médecin pour ensuite la facturer pour ça. »

Jean-François a qualifié la loi 78 de « répressive » et d’ « arbitraire ». « Mais, a-t-il ajouté, il existe d’autres lois contre les travailleurs. Dans le cas des infirmières, par exemple, c’est très compliqué pour elles de se mobiliser. Elles peuvent recevoir des amendes très élevées. Certains travailleurs ont beaucoup de difficulté à exercer leurs droits fondamentaux. »

Étant sceptique quant à la possibilité que la situation s’améliore pour les étudiants et les travailleurs sous un gouvernement péquiste, il a dit : « Dans la tête des gens, c’est comme s’il n’y avait aucun autre parti. Ils ne veulent pas regarder ailleurs. »

Un jeune travailleur de la construction, qui observait la manifestation durant sa pause, a dit au WSWS qu’il appuyait la grève étudiante. « Je suis socialiste », a-t-il lancé en saisissant une copie de « La voie à suivre pour les étudiants », la déclaration que des sympathisants du Parti de l’égalité socialiste ont distribuée lors de la manifestation.

(Paru en anglais le 23 juin 2012)

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