Québec : Des milliers de personnes manifestent contre la loi 78

Vingt mille personnes ont affronté la pluie battante samedi après-midi pour se joindre à une manifestation tenue à Montréal en désobéissance à la loi 78 du gouvernement libéral du Québec et en soutien aux étudiants en grève de la province.

Une vingtaine de milliers de personnes ont bravé la pluie battante samedi pour manifester à Montréal

Adoptée en moins de 24 heures le mois dernier, la loi 78 criminalise la grève étudiante du Québec qui dure depuis 17 semaines et impose des restrictions draconiennes sur le droit de manifester partout dans la province du Québec.

En plus des étudiants, il y avait une forte présence d’enseignants, de travailleurs industriels, de retraités et de jeunes familles lors de la manifestation de samedi. Plusieurs ont amené leurs casseroles pour poursuivre le soi-disant mouvement des « casseroles », une forme de protestation de soirée qui s’est développée dans plusieurs quartiers ouvriers de Montréal en réponse à l’imposition de la loi 78 et qui s’est étendue partout au Québec et dans certaines régions du Canada anglais.

La manifestation de samedi a été convoquée par la CLASSE (Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante) en réponse à la décision du gouvernement jeudi dernier de suspendre les négociations avec cette dernière, ainsi qu’avec les trois autres associations qui représentent les étudiants des universités et des cégeps (les collèges d’enseignement préuniversitaires et techniques). Au cours des quatre journées de négociations, le gouvernement a refusé de discuter de la suspension ou de l’abrogation de quelconque disposition de la loi 78. Il a aussi soutenu que les frais de scolarité universitaires doivent augmenter dès cet automne, puis à chaque année pour les sept prochaines années.

On peut lire sur la bannière « Profs contre la hausse »

Le gouvernement est déterminé à imposer la hausse des frais de scolarité, une partie intégrante de son programme visant à établir le soi-disant principe d’utilisateur-payeur dans les services publics. Ce principe est diamétralement opposé au concept que l’éducation, les soins de santé et les autres services doivent être des droits sociaux et prépare le terrain pour leur privatisation.

Pour montrer leur résistance, la CLASSE a refusé de respecter la clause de la loi 78 qui veut que les organisateurs de manifestation doivent soumettre leur itinéraire à la police au moins huit heures avant le début de leur protestation et doivent suivre tout changement exigé par la police. « On veut garder la pression sur le gouvernement avec une manifestation qui va à l’encontre de la loi 78 », a déclaré le porte-parole de la CLASSE Gabriel Nadeau-Dubois.

Face à une vague massive d’indignation populaire et de protestation contre la loi 78, le gouvernement du Québec et la police ont dû, jusqu’à maintenant, appliquer avec précaution ses provisions draconiennes. La police de Montréal n’est pas intervenue pour briser la manifestation de samedi, bien qu’au cours des quatre derniers mois elle a déclaré à maintes reprises de plus petites manifestations « rassemblements illégaux » et a violemment dispersé la foule.

Le jour suivant l’immense manifestation du 22 mai contre la loi 78, la police antiémeute de Montréal a pratiqué le « kettling », soit une technique d’encerclement et de resserrement de la foule qui ne laisse aucune issue, sur 500 personnes, lesquelles ont toutes été arrêtées en masse.

Plusieurs manifestants tenaient des pancartes faites à la main dénonçant le premier ministre Jean Charest et son gouvernement libéral.

Depuis l’adoption du projet de loi 78 le 18 mai, 1500 étudiants en grève et leurs partisans ont été arrêtés, la plupart pour avoir commis le « crime » de manifester.

Bien que la police ne soit pas intervenue samedi, elle et le gouvernement ont dit qu’ils se réservaient le droit de porter des accusations prochainement contre les organisateurs de la manifestation en opposition à la loi 78. Le gouvernement menace ainsi d’intenter des poursuites exemplaires contre les dirigeants de la CLASSE et d’autres groupes qui défient la loi 78 lorsqu’il aura calculé avoir contenu avec succès la vague de contestation sociale qui a fait irruption à travers la province.

Nadeau-Dubois fait actuellement face à une poursuite criminelle pour avoir présumément incité à la défiance d’une injonction de la cour qui avait été déposée contre les piquets de grève de masse à l’Université Laval de Québec.

Les autres fédérations étudiantes n’ont pas participé à la manifestation de samedi, car elle ne respectait pas la loi 78.

Cette manifestation a aussi été boycottée par les syndicats. Ceux-ci ont dénoncé la loi 78 en la qualifiant d’attaque flagrante sur les droits démocratiques, et ils l’ont même comparée à l’imposition de la Loi sur les mesures de guerre en 1970. Mais ils n’ont cessé de répéter qu’ils allaient respecter toutes les clauses de la loi. Celles-ci stipulent entre autres que les syndicats doivent faire tout ce qu’ils peuvent pour s’assurer que les enseignants et les autres employés des cégeps et des universités se plient à la loi 78. C’est-à-dire que ces derniers doivent aider le gouvernement à briser la grève étudiante en remplissant toutes leurs fonctions normales et en pénalisant les étudiants qui continueront à boycotter leurs cours à la reprise des classes en août.

Bien qu’ils affirment appuyer les étudiants, les syndicats ont systématiquement cherché à isoler la grève des étudiants, tout en l’utilisant pour bâtir un appui à leur allié politique de longue date, le Parti québécois, un parti de la grande entreprise. Le Nouveau Parti démocratique (NPD) a pour sa part adopté une position de « neutralité » dans la lutte entre les étudiants et le gouvernement libéral de Jean Charest, affirmant que les questions de la hausse des frais de scolarité universitaires et de la loi 78, une loi qui établit un précédent pour l’élimination des droits démocratiques élémentaires, étaient des questions d’ordre « provincial ».

Bien qu’il faille accueillir la désobéissance à la loi 78 par la CLASSE, celle-ci ne défie pas la loi dans le but de lutter pour la mobilisation de la classe ouvrière au Québec et à travers le Canada contre le programme de guerre de classe des libéraux de Charest et des conservateurs de Harper. Elle cherche plutôt à faire pression sur le gouvernement pour qu’il retourne à la table de négociations. Elle maintient ainsi sa stratégie de protestation à enjeu unique qui sépare volontairement la question de la hausse des frais de scolarité de celle du développement d’une opposition au programme gouvernemental d’austérité de coupes dans les dépenses sociales, de privatisation et de hausse de taxes régressives et de tarifs.

« On est toujours ouvert à négocier avec le gouvernement », a déclaré Nadeau-Dubois samedi. La ministre de l’Éducation Michelle Courchesne « se dit ouverte au dialogue », a-t-il ajouté. « Mais c’est elle qui a claqué la porte il y a trois jours. L’appui est grandissant à la cause étudiante et la crise sociale s’amplifie. Je pense qu’il est temps que les libéraux mettent en priorité de régler le conflit. »

Mais les besoins des étudiants et de la classe ouvrière ne peuvent être conciliés avec le programme de la grande entreprise qui vise à faire porter en totalité le fardeau de la crise capitaliste mondiale aux travailleurs. Le résultat possible d’une « entente négociée » a déjà été démontré par les événements du mois dernier. Au début du mois de mai, la CLASSE et les autres associations étudiantes ont négocié une entente au rabais, rejetée subséquemment par les étudiants, qui aurait imposé la totalité de la hausse de 82 pour cent du gouvernement. La semaine dernière, en tentant d’en arriver à un accord avec le gouvernement, les fédérations étudiantes ont abandonné leur opposition à la loi 78 et ont accepté le cadre financier réactionnaire du gouvernement. Au bout du compte, les négociations ont été rompues, car le premier ministre Charest et la ministre Courchesne ne voulaient pas accepter un gel des frais de scolarité de deux ans qui aurait été suivi d’une hausse équivalente à celle exigée par le gouvernement sur les cinq années subséquentes.

Des partisans du Parti de l’égalité socialiste et de l’Internationale étudiante pour l’égalité sociale on fait une intervention à la manifestation de samedi. Ils ont distribué un millier d’exemplaires d’un tract expliquant que la grève étudiante devait devenir le catalyseur d’une mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière au Québec et à travers le Canada contre toutes les coupes dans les emplois, dans les salaires et dans les dépenses sociales. Et ce, dans le cadre du développement de la lutte de la classe ouvrière internationale contre le capitalisme.

(Paru en anglais le 4 juin 2012)

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