Perspectives

L'Afrique du Sud après le massacre de Marikana

(Article original paru le 1er septembre 2012)

Le massacre de mineurs en grève par la police à Marikana marque un tournant majeur pour l'Afrique du Sud post-apartheid et la lutte des classes internationale.

Il démontre de la manière la plus forte que l'on puisse imaginer que les perspectives du « pouvoir aux noirs » et de la « révolution démocratique nationale » conçues comme des moyens de vaincre l'oppression économique et sociale ont complètement échoué. La leçon centrale de Marikana est que la division fondamentale de la société est la classe, et non la race.

Le Congrès national africain (ANC), arrivé au pouvoir en 1994 après l'immense sacrifice et la lutte révolutionnaire de millions de travailleurs, s'est révélé être tout aussi dénué de scrupules que ses prédécesseurs blancs en imposant l'exploitation la plus brutale pour le compte des grandes multinationales.

L'ANC a envoyé la police faire feu contre les travailleurs en grève, les tuer et les mutiler, alors que leur seul crime était de lutter pour le droit de vivre comme des êtres humains et non comme des bêtes de somme. Maintenant, après que la police a fait 36 morts et 78 blessés, 270 grévistes emprisonnés sont accusés de meurtre et de tentative de meurtre contre leurs collègues en vertu d'une loi sur les « crimes en réunion » datant de l'apartheid, conçue pour accuser les victimes de violences policières, de les avoir provoquées.

Les mineurs de Marikana sont payés moins de 500 dollars par mois, vivent dans des huttes communautaires sordides et travaillent dans des conditions dangereuses et épuisantes pour la firme anglaise Lonmin, extrayant du platine vendu plus de 1400 dollars l'once [31,10 grammes, ndt]. Leur sort, ce qui est pire, est partagé par des millions de gens dans ce pays qui est devenu le plus inégalitaire de la planète.

Pendant ce temps, l'ANC a généré une couche de bourgeois noirs avides, dont la réputation de corruption et de répression n'est plus à faire. Elle est synonyme de termes comme les entreprises "issues du renforcement économique noir" [Black Economic Empowerment – BEE, un programme d'aides économiques aux entreprises détenues par des noirs, ndt] et les "tenderpreneurs" – ceux qui se sont enrichis en servant de relais aux multinationales ou en utilisant leurs postes dans l'appareil d’Etat pour s’assurer un rôle direct dans l’exploitation de la classe ouvrière.

Au même moment où les mineurs interpellés étaient mis en examen, la ministre des mines d'Afrique du Sud, Susan Shabangu rassurait « nos investisseurs, actuels et à venir » lors d'une réunion de dirigeants du secteur minier à Perth, en Australie, leur disant que le président Jacob Zuma était « déterminé à isoler les mauvais éléments de notre société. »

L'ANC s'appuie à son tour sur ses partenaires de l'Alliance tripartite – qui réunit le Parti communiste d'Afrique du Sud (PCAS) et la fédération syndicale COSATU – pour imposer la dictature du capital financier global et de la bourgeoisie sud-africaine à une population de plus en plus agitée.

Les staliniens du PCAS ont insisté tout au long de la lutte contre l'apartheid sur l'idée qu'une Afrique du Sud capitaliste sous contrôle d'une majorité noire était une étape nécessaire dans une transition plus tardive vers le socialisme. Ils dépeignaient le COSATU comme un bastion du pouvoir ouvrier au sein d'un gouvernement qui garantirait cette transformation.

Les événements sont allés dans une direction totalement opposée. Pour leurs services rendus, les dirigeants du PCAS ont reçu des postes clefs dans le régime post-apartheid et une part du butin lié aux fonctions gouvernementales. La COSATU et ses syndicats affiliés ont fonctionné comme une police industrielle et un mécanisme servant à l'enrichissement personnel des bureaucrates.

Philip Hirschohn, professeur dans une école de commerce et de finance de l'Université du Cap, attirait l'an dernier l’attention sur le fait que les syndicats avaient adopté un « caractère oligarchique. »

La position de délégué du personnel est devenue un moyen d'accéder à des positions à la direction, cela s'inscrit dans « l'émergence de syndicalistes de carrière, » pour lesquels l'adhésion au PCAS est un « marchepied » très prisé pour « accéder à des opportunités dans la direction d'entreprises ou au gouvernement. »

L'ex-dirigeant du NUM [le syndicat des mineurs lié au COSATU, ndt] et membre important de l'ANC Cyril Ramadhan est actuellement le 34e homme le plus riche d'Afrique du Sud, avec un capital de 275 millions de dollars. L'une de ses nombreuses entreprises a un contrat pour fournir des intérimaires traités à peu près comme des esclaves à Marikana. Il est payé 12 000 rands [1136 euros] pour chaque employé qu'il fournit à Lonmin chaque mois, et ne leur reverse que 4000 rands [378,66 euros].

Le rôle d'auxiliaire de la direction de ce syndicat a fait baisser le nombre de syndiqués à moins de 50 pour cent dans de nombreuses mines ; la plupart de ces syndiqués sont des travailleurs qui restent à la surface ou des salariés qualifiés travaillant dans les bureaux. Les mineurs de Marikana sont membres de l'AMCU [Association of Mineworkers and Construction Union] ou pas syndiqués du tout.

Le NUM, la COSATU et le PCAS ont tous appelés à ce que la police s'en prenne violement aux grévistes, prenant la défense de ce massacre et demandant avec insistance la dissolution de l'AMCU. Le secrétaire général du NUM, Frans Baleni a dit du massacre de Marikana que « la police a été patiente, mais ces gens étaient fortement armés avec des armes dangereuses. »

Cela n'a pas empêché les groupes de la pseudo-gauche de tous les pays d'être contre la nécessaire rupture avec le COSATU et ses syndicats affiliés, ce sans quoi aucune lutte contre l'ANC est possible.

Au lieu de quoi le représentant en Afrique du Sud du Comité pour une internationale ouvrière, le Mouvement socialiste démocratique, a recommandé « aux travailleurs des deux syndicats de demander une action unie de solidarité, à commencer par une grève générale locale » qui se terminerait par « une grève générale nationale », vraisemblablement dirigée par le NUM et la COSATU.

Le Socialist Workers Party au Royaume-Uni est encore plus méprisable, écrivant le 17 août, « quelles que soient ses intentions, l'AMCU a parfois été utilisée pour introduire la désunion dans les moments où les travailleurs sont confrontés à de grands défis. Il aurait été préférable pour les travailleurs qui ont formé ce syndicat rival de lutter parmi la base du NUM et faire évoluer sa politique de l'intérieur. »

Soutenir le NUM et le COSATU revient à soutenir l'ANC et le gouvernement de l'Alliance tripartite. C'est un soutien à la continuation du capitalisme et de l'oppression impérialiste.

La théorie de la révolution permanente est le fondement politique sur lequel les travailleurs et les jeunes d'Afrique du Sud doivent s'appuyer pour mener les luttes à mort qui se dessinent à l'horizon. L'évolution de l'ANC est une confirmation très explicite de l'insistance de Léon Trotsky sur le fait que les mouvements bourgeois nationalistes, liés comme ils le sont au capitalisme et organiquement opposés à la fin de l'exploitation brutale des travailleurs et des fermiers pauvres, sont incapables de mener à son terme la lutte pour la démocratie et pour la fin de la domination impérialiste.

La classe ouvrière, mobilisant toutes les couches opprimées des campagnes et des villes, doit rompre avec l'ANC et ses défenseurs du PCSA et de l'appareil syndical pour construire leur propre parti socialiste.

Un gouvernement ouvrier doit être établi pour mettre l'ensemble de l'économie sous propriété sociale et se servir des vastes richesses naturelles actuellement monopolisées par les super-riches pour répondre aux besoins de tous : des emplois décents, des logements, l'éducation et la santé. Cette lutte révolutionnaire doit être étendue dans toute l'Afrique et au-delà par la construction d'une section du Comité international de la Quatrième internationale, le parti mondial de la révolution socialiste.

 

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