les protestations anti américaines déclenchent un débat politique sur la campagne de guerre américaine en Syrie

Les manifestations de masse contre les ambassades américaines dans l’ensemble du monde musulman survenues la semaine passée ont eu un impact sur la guerre par procuration menée par l’Europe et les Etats-Unis en Syrie.

Les programmes d’information diffusés par câble et par les chaînes de télévision américaines ont en grande partie renoncé à couvrir la guerre en Syrie alors que les spécialistes de la politique étrangère en Occident et au Moyen-Orient initiaient un débat sur le meilleur moyen de poursuivre la guerre contre le président syrien Bachar al-Assad. Les partis petit-bourgeois de « gauche » qui ont soutenu la guerre américaine par procuration, tel le Nouveau Parti anticapitaliste en France (NPA) et l’International Socialist Organisation (ISO) aux Etats-Unis, sont restés pareillement silencieux sur la Syrie depuis le déclenchement des protestations anti américaines le 11 septembre.

Ces forces de pseudo-gauche attendent de connaître l’aboutissement du débat qui a lieu au sein de l’establishment de la politique étrangère américaine de façon à bénéficier d’une ligne d’action claire du Département d’Etat et des médias bourgeois. Ce débat souligne le caractère cynique du soutien apporté par Washington aux soi-disant « rebelles » en Syrie et, plus généralement, de la politique poursuivie par les Etats-Unis depuis que les soulèvements de la classe ouvrière ont renversé les dictatures soutenues par les Etats-Unis en Egypte et en Tunisie au début de l’année dernière lors de ce qu’on a appelé le « printemps arabe. »

Le débat reflète en partie la colère qui règne au sein des milieux d’Etat quant au meurtre à Benghazi de l’ambassadeur en Libye, J. Christopher Stevens. Cette attaque qui est survenue le 11 septembre au moment où les protestations démarraient partout au Moyen-Orient, est actuellement imputée à la brigade Ansar al-Chariah, une milice liée à al Qaïda et qui avait combattu le colonel Mouammar Kadhafi pour les Etats-Unis.

La mort de Stevens et de trois autres Américains lors de l’attaque lancée contre le consulat américain à Benghazi a remis en question la politique étrangère américaine consistant à utiliser en Syrie des forces de type al Qaïda.

A Benghazi, Ansar al-Chariah est chargé de la surveillance de l’hôpital Al Jala et a profané des tombeaux de l’islam soufi qu’ils assimilent à de l’idolâtrie. Le dirigeant de l’Ansar al-Chariah, Mohammed Ali al-Zahawi a nié que son groupe a tué Stevens. Interviewé par la BBC à Benghazi, il a toutefois dit qu’il approuvait la stratégie d’al Qaïda parce qu’elle « visait à affaiblir l’hégémonie des Etats-Unis sur ce pays musulman.

Il a ajouté qu’il luttait contre les adeptes « du laïcisme » et de « Kadhafi » au sein du nouveau gouvernement libyen soutenu par les Etats-Unis.

Il a suggéré qu’il n’était pas contre les opérations menées par l’impérialisme américain dans la région mais seulement contre les insultes des Etats-Unis à l’égard de l’Islam : « Je jure par dieu que nous pouvons tolérer la mort de tous les hommes et le fait de rayer tous les pays de la mappemonde mais nous ne pouvons pas tolérer une seule insulte susceptible de blesser notre prophète. »

Les stratèges américains sont en train de discuter du risque que comporterait le renversement militaire d’Assad étant donné que l’éviction de Kadhafi en Libye et de Saddam Hussein en Irak a mené au chaos et à l’accroissement des forces terroristes sunnites. Brian Katulis, un responsable du centre de réflexion Center for American Progress lié au gouvernement Obama, a dit au New York Times : « Ces incidents feront davantage réfléchir les gens parce que nos agences de renseignement nous ont déjà dit qu’au sein de l’opposition syrienne – les gens que nous sommes censés soutenir – certains sont affiliés à Al Quaïda. »

De façon plus générale, toutefois, Washington craint un accroissement de l’opposition populaire contre la guerre syrienne et la politique américaine au Moyen-Orient. Quelque 55 pour cent des Américains et 59 pour cent des habitants de l’Union européenne (UE) sont opposés à l’intervention en Syrie alors que l’opposition est encore plus importante dans plusieurs pays clé du Proche-Orient.

En Turquie, Etat voisin de la Syrie et dont le soutien serait crucial à toute invasion américaine des Etats-Unis en Syrie, les derniers sondages ont révélé que seuls 22 pour cent de la population soutiendrait une guerre. Une grande colère est ressentie face au changement soudain de la politique étrangère turque d’héberger les forces qui combattent contre Assad pour le compte des Etats-Unis et avec lesquelles le gouvernement turc avait jusqu’à l’année dernière entretenu d’étroites relations. La Turquie est déjà confrontée à une crise des réfugiés au fur et à mesure que les Syriens fuient les combats. Dans le même temps, il y a eu une recrudescence des affrontements avec la guérilla kurde en Turquie qui a coûté la vie à quelque 700 personnes.

Il y a des articles disant qu’en représailles à la guerre américaine par procuration contre la Syrie, alliée de l’Iran, l’Iran aide la guérilla kurde en Turquie.

Au Liban, où jusqu’à 500.000 protestataires ont défilé lundi dans une manifestation appelée par l’organisation chiite Hezbollah qui est soutenue par la Syrie et l’Iran, des milliers de gens ont battu le pavé hier pour protester contre les Etats-Unis à Tyr.

En Egypte, le régime soutenu par les Etats-Unis du président islamiste Mohamed Morsi est en train de réintroduire les lois d’urgence abolies l’année dernière après la chute du président Hosni Moubarak, pour tenter d’écraser les grèves et les manifestations ciblant l’ambassade américaine. (Voir aussi : « Après les protestations contre l’ambassade américaine, le président égyptien Morsi organise la répression. »

Cette intensification de l’opposition populaire contre Washington a remis en question la stratégie du gouvernement Obama modelée après l’éruption du printemps arabe : opérer un changement de personnel au sommet des régimes appuyés par les Etats-Unis et cibler d’autres pays pour la guerre et un changement de régime, le tout au nom de la « démocratie. » Selon certains stratèges américains, les intérêts de l’impérialisme américain dans la région seraient mieux servis en se basant tout simplement sur les régimes existants pour écraser toute expression d’opposition populaire.

Ceci pourrait être la politique américaine appliquée non seulement en Egypte mais aussi en Syrie s’il s'avérait possible de garder Assad au pouvoir. Ainsi le New York Times s’est demandé : « Les Etats-Unis et leurs alliés doivent-ils rester prudents à l’égard de l’éviction de M. Assad, l’un des derniers dictateurs séculaires de la région, dont le régime bien que répressif, a contenu les forces de l’Islam populiste ? »

Mardi, le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague a reconnu devant la commission des Affaires étrangères du parlement britannique qu’il voyait « de graves inconvénients » à une intervention militaire. Il a dit, « Ceci nécessiterait une intervention à une échelle bien plus vaste que dans le cas de la Libye et sans aucune perspective d’accord pour le moment au Conseil de sécurité de l’ONU, et requerrait de plus la pleine participation des Etats-Unis. »

En fait, une intervention impérialiste directe en Syrie serait un crime de l’ampleur de celui de l’invasion américaine en Irak en 2003 qui avait résulté dans le décès de plus d’un million d’Irakiens. Comme la Russie et la Chine ont promis d’opposer leur véto aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU autorisant la guerre contre la Syrie, elle serait entreprise en violation flagrante du droit international comme ce fut le cas en Irak.

Néanmoins, les commentaires de Hague ont clairement montré que cette option était encore sérieusement envisagée. Le président français, François Hollande, a déjà suggéré que Paris pourrait être prêt à apporter son aide à une invasion de la Syrie sans l’approbation de l’ONU. (Voir aussi : « Le président Hollande réclame la formation d’un gouvernement d’opposition syrien. »

Une telle guerre risquerait de se propager à l’ensemble du Moyen-Orient, particulièrement dans le contexte de l’intensification d’une campagne de menaces de la part des Etats-Unis et d’Israël contre l’Iran. Le régime iranien quant à lui continue de faire des déclarations de soutien au régime Assad.

Hier, le ministre iranien des Affaires étrangères, Ali Akbar Salehi, a rencontré Assad à Damas, en disant qu’une solution à la guerre « ne pourrait venir que de la Syrie et au sein de la famille syrienne. »

Dimanche, le commandant général du Corps des gardiens de la révolution iranienne (IRGC), Mohammad Ali Jafari, a dit que l’élite d’Al-Qods de l’IRGC avait envoyé des troupes en Syrie. Il a dit, « En comparaison du niveau de soutien que les pays arabes ont accordé aux groupes d’opposition en Syrie et à leur présence militaire, nous n’avons entrepris aucune action ici. Nous avons seulement contribué à donner une aide intellectuelle et consultative et mis à profit notre expérience. » Il a dit que des forces iraniennes étaient aussi présentes au Liban.

L’Iran et la Syrie disposent d’accords de sécurité bilatéraux bien que Jafari ait dit que la réaction de l’Iran face à une attaque contre la Syrie dépendrait de « certaines conditions. »

Hier, le sénateur américain John Kerry a exigé que le régime irakien inspecte les vols iraniens vers la Syrie dans l’espace aérien irakien pour prouver que Téhéran envoyait des armes. « Cela me semble tout à fait inapproprié que nous essayions d’aider à construire leur démocratie, à les soutenir, à risquer des vies américaines, à mettre de l’argent dans le pays, et qu'eux travaillent contre nos intérêts, » a-t-il dit.

(Article original paru le 20 septembre 2012)

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