Perspectives

L'importance persistante de la vie et de l'œuvre du camarade Keerthi Balasuriya

Le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) et le World Socialist Web Site marquent aujourd'hui le 25e anniversaire de la mort du Camarade Keerthi Balasuriya, secrétaire général de la Revolutionary Communist League (RCL), prédécesseur du Parti de l'égalité socialiste du Sri Lanka.

Keerthi Balasuriya

Le Camarade Keerthi faisait partie des représentants les plus remarquables du trotskysme de la seconde moitié du vingtième siècle. Sa mort le matin du 18 décembre 1987 fut à la fois soudaine et tragiquement prématurée. Il fut terrassé par une crise cardiaque un mois à peine après son 39e anniversaire. 

Keerthi Balasuriya venait de la riche tradition trotskyste du Sri Lanka. Adolescent, il avait rejoint ceux qui s'étaient opposés à l'entrée en 1964 du Lanka Sama Samaja Party (LSSP), alors affilié au Secrétariat international de Michel Pablo et Ernest Mandel, dans un gouvernement de coalition dirigé par le Parti de la liberté du Sri Lanka. 

Le moment déterminant de la vie du Camarade Keerthi venait d'une intervention des trotskystes britanniques au Sri Lanka qui lui avait fait comprendre que les questions soulevées par la trahison du LSSP – la première fois qu'un parti se déclarant trotskyste rejoignait un gouvernement bourgeois – allaient bien plus loin que l'adaptation du LSSP au syndicalisme, au parlementarisme et au populisme cingalais au cours des dix années précédentes. La « Grande trahison de 1964 » avait été facilitée et préparée par Pablo et Mandel. 

C'était la conséquence du développement au sein de la Quatrième Internationale, dans le contexte de la re-stabilisation du capitalisme dans l'après-guerre, d'une tendance opportuniste virulente qui cherchait à transformer le trotskysme en un appendice des bureaucraties contre-révolutionnaire stalinienne et social-démocrate, ainsi que, dans les pays coloniaux, de la bourgeoisie nationale. Pour répondre à la trahison du LSSP et construire un parti révolutionnaire de la classe ouvrière s'appuyant sur le programme de la révolution permanente, il fallait assimiler les leçons de la lutte menée par le CIQI, fondé en 1953 expressément pour s'opposer au liquidationnisme pabliste, et entrer dans ses rangs. 

En 1968, à 19 ans, Keerthi fut désigné par le congrès fondateur de la RCL pour être son secrétaire général. La RCL demanda immédiatement l'affiliation au CIQI. 

Encore plus décisif fut le rôle joué par le Camarade Keerthi dans le succès de la lutte pour réaffirmer le contrôle des trotskystes sur le Comité international de la Quatrième Internationale par la rupture d'avec le Workers Revolutionnary Party (WRP) britannique en 1985-86. 

Comme l'explique David North, président du comité de rédaction du WSWS, dans un examen plus approfondi de la vie du Camarade Keerthi que nous republions aujourd'hui, ce dirigeant de la RCL apporta ses vastes connaissances des expériences stratégiques de la classe ouvrière et de l'histoire du mouvement marxiste en contribuant au démasquage précis et détaillé, par le CIQI, de la descente du WRP dans l'opportunisme. 

Toute la vie politique du Camarade Keerthi s'est déroulée à une période où la classe ouvrière et les masses opprimées, pour des raisons complexes liées aux trahisons du stalinisme et de la social-démocratie ainsi qu'à la re-stabilisation temporaire du capitalisme mondial après la deuxième guerre mondiale, ont donné leur allégeance à d'autres organisations que le CIQI. 

S'appuyant sur la perspective scientifique développée par les marxistes classiques et la Quatrième Internationale, le Camarade Keerthi était totalement opposé à ceux qui considéraient la bureaucratie stalinienne comme un substitut pour la classe ouvrière et étaient obnubilés par les succès apparents du programme nationaliste de Mao d'une « guerre populaire » s'appuyant sur la paysannerie. 

Il était convaincu que la seule force sur laquelle la lutte pour le socialisme pourrait s'appuyer était la classe ouvrière internationale, et que la principale tâche des marxistes révolutionnaires était de forger l'indépendance politique de la classe ouvrière en la saturant, pour utiliser la fameuse expression de Lénine, de conscience socialiste. 

Aux funérailles de Keerthi, un représentant du CIQI avait prédit que ce serait Keerthi Balasuriya, et non les divers dirigeants staliniens et nationalistes bourgeois – les Mao, Ho Chi Minh, Nehru et Castro - qui émergerait dans la période à venir comme le professeur des travailleurs et des jeunes à l'esprit révolutionnaire. 

Un quart de siècle plus tôt, ce pronostic aurait frappé tout le monde, mis à part un très petit nombre, comme étant non seulement audacieux, mais hyperbolique. L'Histoire cependant, l'a plus que confirmé. 

En moins de cinq ans après la mort de Keerthi, l'URSS et les régimes staliniens d'Europe de l'Est étaient liquidés, et la bureaucratie stalinienne restaurait le capitalisme. 

La République populaire de Chine et la République socialiste du Vietnam existent toujours de nom. Mais dans ces deux pays, la bureaucratie stalinienne a restauré le capitalisme et préside à l'exploitation sans merci de la classe ouvrière pour le compte de multinationales dont les sièges sont aux États-Unis, en Europe, au Japon ou à Taiwan et pour le compte également d'une nouvelle classe de parvenus capitalistes locaux.

Et qu'en est-il des dirigeants nationalistes bourgeois qui se présentaient comme des opposants à l'impérialisme et péroraient une rhétorique socialiste ? 

Privé de l'appui de la bureaucratie stalinienne soviétique, le régime de Castro a ouvert ses portes aux investisseurs américains, européens et d'Amérique latine et préside une inégalité sociale et une pauvreté qui s'accroissent sans cesse. Pendant ce temps, ce régime autorise la libre circulation des dollars américains et ferme de grandes parties du secteur public. 

L'OLP et l'Autorité palestinienne qu'elle dirige agissent comme gendarme au service des États-Unis et d'Israël. 

Le Parti du Congrès indien a abandonné depuis longtemps le développement par l'action publique, qu'il appelait le Socialisme du Congrès pour tromper les masses. Il s'est lancé dans la transformation de l'Inde en une usine de misère proposant une main d'œuvre à bas prix au capitalisme mondial. En politique étrangère, la bourgeoisie indienne s'est débarrassée du non-alignement en faveur d'une alliance stratégique avec l'impérialisme américain et de la construction de sa propre puissance militaire. 

Les partis staliniens « de masse » présents au Parlement indien ont ouvertement soutenu la « nouvelle politique économique » de la bourgeoisie, venant au secours d'une série de gouvernements dirigés par le Parti du Congrès. Dans les Etats fédérés où ils ont eu des responsabilités, ils ont continué ce qu'ils appellent eux-mêmes une politique « pro-investissement ». 

Au Sri Lanka, le verdict de l'Histoire sur le dernier quart de siècle est également sans appel. Les organisations petites-bourgeoises qui ont gagné en force dans un contexte où la classe ouvrière était politiquement liée aux gouvernements bourgeois par l'intermédiaire du LSSP et du Parti communiste stalinien se sont révélés être des impasses.

Le JVP (Front de libération du peuple) a accordé son soutien parlementaire au gouvernement de droite de l'UPFA et a soutenu avec enthousiasme la guerre communautaire de la bourgeoisie cingalaise contre la minorité tamoule. 

Le LTTE (Tigres de la libération de l'Eelam tamoul) était hostile à tout appel lancé à la seule force sociale qui puisse sauvegarder les droits démocratiques des Tamouls – la classe ouvrière cingalaise et internationale. Ils ont préféré chercher à se tailler un Etat capitaliste au Nord et à l'Est en demandant l'aide de l'Inde et des puissances impérialistes. 

La perspective avancée par la RCL-PES – la mobilisation des travailleurs, cingalais et tamouls, sous la direction de la classe ouvrière dans la lutte pour les Etats socialistes unis de l'Eelam tamoul et du Sri Lanka – a été confirmée comme le seul moyen viable de réaliser les aspirations démocratiques et sociales des masses. 

Quant aux pablistes, qui cherchaient cyniquement à se faire passer pour des trotskystes, ils se sont ancrés eux-mêmes dans divers partis soutenant l'État, du Parti de gauche en Allemagne à Rifondazione Communista en Italie, qui ont imposé l'austérité capitaliste et soutenu la guerre impérialiste. 

Le NSSP, groupe actuellement aligné sur l'« Internationale » mandelienne, est dans une alliance pour la « démocratie » avec le Parti national uni (UNP), parti traditionnel de droite de la bourgeoisie du Sri Lanka et celui-là même qui a lancé les réformes libérales en 1977 et la guerre contre les Tamouls en 1983. 

Qui peut douter que le CIQI, avec son orientation vers l'éducation politique et la mobilisation de la classe ouvrière, soit la voix authentique du trotskysme et du marxisme classique ? À travers le World Socialist Web Site, il lutte pour armer la classe ouvrière d'une perspective socialiste internationale, tout en définissant au jour le jour le point de vue de classe indépendant de la classe ouvrière sur toutes les questions majeures, politiques, sociales, et historiques. 

À la lumière d'un quart de siècle, la vie du camarade Keerthi et sa lutte non seulement n'ont pas perdu en importance, mais elles en ressortent augmentées. 

Dans le contexte de la plus grande crise du capitalisme mondial depuis la grande dépression et la guerre mondiale qu'elle avait engendrée, les travailleurs et les jeunes seront de plus en plus poussés à lutter contre le capitalisme. Ils trouveront dans la biographie politique du Camarade Keerthi Balasuriya l'exemple stimulant d'une lutte politique courageuse et de principe. Encore plus important, dans les conceptions politiques marxistes qu'il défendait et qu'il a développées, ils trouveront les armes théoriques et politiques pour guider la lutte pour l'indépendance politique et la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière internationale. 

Au cours de l'année prochaine, le World Socialist Web Site rendra les écrits du camarade Keerthi accessibles à une audience internationale. Cela comprendra la publication de sa dénonciation prophétique du JVP petit-bourgeois, La nature de classe et la politique du JVP, livre-phare publié pour la première fois en 1970. 

À lire également :

In Memory of Keerthi Balasuriya 

(Article original paru le 18 décembre 2012)

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