La junte égyptienne fomente un coup d’Etat contre le parlement

Hier, dans un coup militaire, la junte militaire soutenue par les Etats-Unis a dissout le parlement dominé par les Islamistes. Cet événement survient deux jours à peine avant le dernier tour des élections présidentielles en Egypte – les premières depuis l’éviction l’année dernière d’Hosni Moubarak au milieu des protestations de la classe ouvrière.

La décision du Conseil suprême des Forces armées (CSFA) de la junte de dissoudre le parlement a été précédée par une décision de la Cour suprême constitutionnelle (CSC). Elle déclara brusquement inconstitutionnelle la loi électorale en vertu de laquelle le parlement avait été élu en novembre-janvier.

La CSC, une cour composée de juges nommés par Moubarak, a statué qu’un tiers des sièges au parlement étaient invalides parce que des candidats des partis politiques avaient été élus pour des sièges réservés exclusivement aux indépendants.

Les préparatifs de la junte pour cette décision montrent clairement que la principale cible est la classe ouvrière égyptienne, et que sa principale crainte est un renouvellement des luttes de la classe ouvrière qui avaient renversé Moubarak l’année dernière. Avant la décision de la cour, la junte avait renforcé les mesures de sécurité au Caire. Des chars furent déployés devant le bâtiment fortement protégé de la Cour suprême.

La Corniche, une route qui longe les rives du Nil près du tribunal,  fut barricadée par du fil de fer barbelé, avec des rangées de soldats stationnés derrière pour en interdire accès aux manifestants qui hurlaient contre la junte SCAF et exigeaient l’épuration du pouvoir judiciaire. Des jeunes en colère ont incendié des affiches de Shafiq et d’autres ont lancé leur chaussures en l’air en signe de mépris.

Lors de la même séance de la cour, la CSC a aussi approuvé la candidature présidentielle d’Ahmed Sahfiq qui fut le dernier premier ministre sous le régime Moubarak. Le premier tour des élections avait donné lieu à un affrontement entre Mohamed Mursi, le candidat des Frères musulmans (FM) islamistes, et Shafiq, le candidat favori de l’armée,

La candidature de Shafiq fut menacée par la prétendue loi d’isolement politique, adoptée en début d’année par le parlement et qui interdit aux responsables de haut rang du régime Moubarak de se porter candidat.

Afin de garantir la présence de Shafiq dans les scrutins, la CSC a également déclaré inconstitutionnelle la loi d’isolement politique. Elle a cyniquement déclaré que la loi d’isolement politique visant les responsables de la dictature de Moubarak violait le droit à l’égalité devant la loi.

Une source militaire citée dans le journal Egyptian Independent a indiqué que la junte dissoudra aussi l’assemblée constituante élue mardi par le parlement et chargée de débuter les travaux pour l’élaboration d’une nouvelle constitution égyptienne. Au lieu de cela, « une déclaration constitutionnelle devrait être publiée par le Conseil suprême des forces armée, et qui comprend la formation de l’Assemblée constituante, » a précisé cette source.

Les décisions de la cour et les décisions de la junte ont démasqué l’escroquerie  de la « transition démocratique » promue par l’élite dirigeante égyptienne et ses alliés impérialistes aux Etats-Unis et en Europe.

En dissolvant le parlement et l’assemblée constituante, le CSFA s’empare de toute l’autorité qu’il avait transmise au parlement en janvier en reprenant le contrôle de la rédaction de la constitution du pays.

Au cours de ces derniers mois, la composition de l’assemblée constituante avait été l’une des principales sources de conflit entre le CSFA et le parlement dominé par les Islamistes. En décidant de contrôler la rédaction de la constitution, la junte a clairement fait comprendre qu’elle était déterminée à pleinement contrôler la politique future de l’Egypte. Elle est notamment en mesure de décider quels seront les pouvoirs dont le président disposera ou non. Dans ces conditions, les élections présidentielles en soi ont peu d’importance réelle.

L’objectif immédiat du coup militaire au sein de l’appareil d’Etat de l’Egypte est les FM. Après une coopération étroite de la junte militaire CSAF avec les FM pour réprimer la classe ouvrière durant les premiers mois de la révolution, des divisions se sont développées entre eux après que les Islamistes ont remporté les élections législatives. Tous deux, l’armée et les FM, contrôlent de vastes pans de l’économie égyptienne en représentant les intérêts économiques et politiques de factions concurrentes de l’élite dirigeante égyptienne.

Immédiatement après que les juges de Moubarak eurent donné le feu vert à la campagne de Shafiq, celui-ci a tenu une conférence de presse à la télévision qui ressemblait fort à un discours de victoire. Il a fait l’éloge du SCAF et de la police en déclarant qu’il « affronterait le chaos et qu’il restaurerait la stabilité dans le pays ».

Dans une menace directe à l’adresse de ses adversaires politiques, il a dit que « l’époque des règlements de compte, de la rédaction des lois visant certaines personnes en particulier et du recours aux institutions de l’Etat pour la réalisation d’objectifs privés était révolue».

Après l’annonce des décisions de la cour, les FM et leur bras politique, le parti de la Liberté et de la Justice (PLJ), ont tenu une réunion d’urgence. Mursi a déclaré qu’ils respecteront la décision de la CSC et qu’il ne restera pas dans la course. Il a dit : « Nous irons aussi loin que nous le pouvons, et si l’ancien régime tente de s’établir, la révolution sera plus dure cette fois».

Mursi a montré toutefois clairement que l’objectif des FM est de trouver un accord avec la junte. Il a souligné qu’il n’y avait pas d’autre option que « la révolution par les urnes » en réclamant « la passation de pouvoirs et la fin de la période de transition ».

La porte-parole du département d’Etat américain, Victoria Nuland, a dit sans ambages que Washington soutenait secrètement le coup. Elle a cyniquement déclaré que les Etats-Unis voulaient « que le peuple égyptien obtienne ce pour quoi il a combattu, un système de gouvernement libre, juste, démocratique et transparent – une gouvernance qui représente la volonté du peuple, un parlement et un président élus de cette manière ».

Les commentaires de Nuland sont une diversion cynique. En ne soulevant aucune objection contre le coup, les Etats-Unis soutiennent les mesures contre-révolutionnaires du SCAF tout aussi fermement qu’ils avaient soutenu l’année dernière Mubarak, leur comparse de longue date alors qu’il avait déchaîné une violence meurtrière contre les protestations de masse de la classe ouvrière.

Par leur offensive contre-révolutionnaire, les généraux de Moubarak indiquent qu’ils ne veulent pas seulement entièrement rétablir le régime de Moubarak, mais qu’ils projettent d’éliminer tous les centres potentiels d’opposition au sein de l’appareil d’Etat et des partis officiels.

L’objectif final d’une telle répression sera toutefois, la classe ouvrière – qui a mené les luttes révolutionnaires qui ont renversé le régime Moubarak et qui ont à maintes reprises secoué le régime du SCAF. Le coup d’Etat prépare le terrain à une confrontation violente entre la junte et la classe ouvrière.

La veille de la décision de la cour, le ministre de la Justice avait publié un décret autorisant la police, la police militaire et les officiers du renseignement d’Etat à arrêter des civils. Le décret est en fait une réintroduction d’une version plus sévère de la loi d’urgence qui était arrivée à expiration il y a deux semaines.

Le décret autorise la junte à détenir toute personne qui « nuit au gouvernement, » « détruit des biens, » « s’oppose aux ordres » ou « perturbe la circulation. »

 (Article original paru le 15 juin 2012)

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