Massacre à Marikana : le NPA sème des illusions sur l’ANC et les syndicats sud-africains

Il aura fallu 3 semaines au NPA pour écrire sur le meurtre de 34 mineurs sud-africains le 16 août à Marikana, site du plus grand massacre de travailleurs en lutte en Afrique du Sud depuis la fin de l’apartheid. Son article du 6 septembre, intitulé Afrique du Sud : après la tuerie de Marikana, sème des illusions sur l’ANC et l’appareil syndical sud-africain qui sont pourtant responsables du massacre des mineurs grévistes.

Contraint d’avouer des faits qui ont choqué le monde entier après avoir été largement rapportés dans la presse, le NPA commence en relatant brièvement le massacre. Il évoque la collaboration politique entre le Congrès National Africain (ANC) au pouvoir, le Syndicat National des Mines (NUM), et le Parti Communiste Sud-Africain (SACP). Le NPA reconnaît que la NUM « paie au prix fort son soutien au gouvernement et sa collusion avec les patrons, et est actuellement en plein recul ».

Cependant, il présente une grève qui a débuté par une rébellion ouvrière contre la NUM et a débordé le syndicat minoritaire AMCU (Association de Mineurs et Syndicat de Construction) comme une bataille d’appareils syndicaux. Le NPA écrit : « Un autre syndicat, l’AMCU, réputé plus combatif, se développe actuellement. Il accuse d’ailleurs la NUM de ‘partager le même lit que la direction’. A Marikana les deux organisations se sont opposées ».

Cette présentation, reprise à plusieurs endroits, donne la fausse impression qu’une section de la bureaucratie syndicale a voulu la grève et la dirige encore. Le NPA minimise ainsi la lutte de classe qui oppose l’appareil syndical et l’ANC aux travailleurs grévistes—alors même qu’une rivière de sang versé par la police sépare les travailleurs de l’ANC et de la NUM.

Le NPA continue : « La NUM a estimé le mouvement ‘irréaliste’ alors que l’ACMU en était partie prenante. Il semble bien qu’en accord avec la direction, la bureaucratie de la NUM ait tenté de liquider la grève par la force ».

En fait, il ne s’agit pas d’informations spéculatives selon lesquelles il « semble bien » que la NUM ait donné son aval au massacre des grévistes. Les faits sont avérés et largement reconnus. Confrontée à une révolte des travailleurs contre son autorité, la NUM a rejoint le gouvernement ANC et le SACP pour défendre les policiers qui, sous les ordres du commissaire national de police du gouvernement ANC Riah Phiyega, ont tiré sur les mineurs.

Le NPA ne cite ni les propos de Phiyega ni de la NUM, dont le porte-parole Lesiba Sesoka s’est expimé ainsi pour défendre le massacre : « La police ne peut pas rester sans rien faire pendant que notre pays est pris en otage par des criminels ».

Le NPA garde aussi le silence sur les propos des dirigeants du SACP, qui ont écarté le meurtre des grévistes par la police comme étant « une violence entre travailleurs ». Le SACP fait partie intégrante de l’appareil d’Etat depuis la fin de l’apartheid, détenant des postes de haut fonctionnaire, et soutient le président actuel, Jacob Zuma.

A la fin de l’article, le NPA écrit : « on aurait pu croire que la saignée de Marikana permettrait au gouvernement de Zuma de calmer le jeu dans les mines. Bien au contraire auquel. Le 31 août, les 12.000 employés de la mine d’or KDC se sont aussi mis en grève ».

Le NPA n’explique pas cette formule repoussante, selon laquelle un bain de sang contre la classe ouvrière pourrait permettre à Zuma de « calmer le jeu ». Soit le NPA s’attendait à ce que le seul fait de massacrer les grévistes écraserait la grève sans aucune contrepartie du gouvernement, soit il espérait que Zuma donnerait quelques avancées minimes aux mineurs pour mettre fin à la contestation. Dans les deux cas, le NPA s’est trompé.

Alors que la grève s’étendait, l’ANC a pris une position de plus en plus menaçante contre les grévistes. Il menace une répression accrue de la grève, ayant déjà brièvement emprisonné les grévistes qui avaient survécu au désastre, pour tenter désespérément de rassurer des investisseurs internationaux qui pourraient retirer leurs fonds des mines sud-africaines.

La Ministre des Mines Susan Shabangu a dit lors d’une réunion en Australie: « Nous pressons nos investisseurs, actuels et futurs, à tenir compte des bases solides fournies par notre constitution, notre gouvernement, et nos institutions légales et civiles … Le président et le peuple d’Afrique du Sud isoleront avec détermination les mauvais éléments dans notre société qui sont apparemment engagés à saper les gains démocratiques réalisés jusqu’à présent ».

Le NPA indique qu’il est conscient du caractère pro-capitaliste de l’ANC et des appareils syndicaux. Il écrit que « Le massacre s’est déroulé dans un pays où le gouvernement est dit ‘de gauche’. Une coalition composée du parti nationaliste ANC, du PC local (SACP) et, directement, de la confédération syndicale COSATU, soutient le gouvernement actuel de Jacob Zuma. Du point de vue des travailleurs, le bilan de Zuma et de son prédécesseur de l’ANC (M’beki) est accablant … Une frêle bourgeoisie noire a bien profité de la transition, s’installant dans les quartiers hier réservés aux blancs du temps de l’Apartheid, sous l’égide du ‘Black economic empowerment’. Mais pour la masse de la population noire, bien peu de choses ont changé ».

Cependant, le NPA ne formule aucune revendication socialiste ou révolutionnaire contre ce régime pourri. Pour conclure, il écrit seulement que « ce qui est en jeu, c’est évidemment la capacité qu’auront ou pas les travailleurs sud-africains de se doter de syndicats indépendants, régénérés car débarrassés des agents patronaux, et d’un réel parti qui les représente ».

Cette formulation ambigüe, caractérisée avant tout par sa complaisance envers le régime de l’ANC, vise simplement de couper court l’exposition des questions politiques soulevées par le massacre de Marikana avant qu’elle ne pose des questions gênantes pour le NPA.

Si les travailleurs sont prêts à une lutte sans merci contre le personnel pro-capitaliste dont est composée la NUM—une lutte qui aurait une ampleur révolutionnaire, puisque le syndicat est entièrement contrôlé par la bourgeoisie—pourquoi s’arrêter à la refondation de la NUM ? Pourquoi ne pas lutter directement pour le pouvoir et la création d’un Etat ouvrier en Afrique du sud ? Cette perspective-là, cependant, est tout à fait étrangère au NPA.

Qu’est-ce qu’un syndicat « indépendant » négocierait avec Zuma et Shabangu, ou avec leurs successeurs éventuels au sein de l’ANC ? Les travailleurs n’obtiendront aucune avancée durable en négociant avec un régime prêt à commettre les crimes les plus épouvantables pour écraser les grèves.

Quant à un « réel parti » pour représenter la classe ouvrière sud-africaine—qui est en effet une nécessité urgente—il sera impossible de le créer sur la perspective syndicale et implicitement pro-capitaliste ébauchée par le NPA.

Cette situation ressort de la perspective du NPA lui-même. Malgré les critiques cyniques qu’il adresse à l’ANC et au SACP, le NPA est orienté vers les mêmes couches sociales en France qui en Afrique du sud ont planifié le massacre à Marikana : la bureaucratie syndicale et la « gauche » bourgeoise.

Pendant des décennies le NPA a défendu les syndicats français, qui sont des coquilles vides financées par la bourgeoisie et responsables d’immenses défaites subies par les travailleurs. Lors des dernières élections présidentielles au mois de mai, le NPA a appelé à voter pour le candidat du Parti Socialiste (PS), François Hollande, tout en reconnaissant qu’il mènerait des politiques d’austérité.

Si le gouvernement Hollande réprimait cette automne une grève contre les mesures d’austérité du PS, comme la police a écrasé la grève pétrolière de 2010 sous le président Nicolas Sarkozy, qu’est-ce qu’un observateur sud-africain écrirait sur le rôle du NPA ?

Il pourrait transposer en France les analyses du NPA sur Marikana, pour écrire, plus ou moins : « La répression s’est déroulée dans un pays où le gouvernement est dit ‘de gauche’. Une coalition composée du parti social-libéral PS, du PC local (PCF-Front de Gauche), directement du NPA et de la confédération syndicale CFDT, indirectement de Lutte Ouvrière et de la confédération syndicale CGT, a appelé à voter pour le président François Hollande. Du point de vue des travailleurs, le bilan de Hollande et de son prédécesseur du PS (Jospin) est accablant … La haute bourgeoisie et une frêle couche aisée des classes moyennes ont bien profité des politiques d’austérité, sous l’égide de l’Union européenne. Mais pour la masse de la classe ouvrière, les choses ne font que s’empirer ».

Le massacre à Marikana a souligné que la couche sociale représentée par le NPA en France est passée de l’autre côté des barricades.

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