Perspectives

La guerre monétaire du Japon

Le nouveau gouvernement du Parti libéral démocrate (Liberal Democratic Party, LDP) a commencé à appliquer un programme nationaliste agressif sur deux fronts. Une expansion de l’armée libérée de toute contrainte constitutionnelle est en train d’être complétée par une politique monétariste unilatérale visant à affaiblir le yen et à faire augmenter les exportations aux dépens des concurrents du Japon.

Soumise à une pression intense de la part du premier ministre Shinzo Abe, la Banque du Japon (BoJ) a annoncé mardi 22 janvier qu’elle allait relever « le plus tôt possible » son objectif d’inflation de 1 à 2 pour cent par des achats d’actifs divers [obligations diverses et autres titres financiers] – une politique conforme à celle de la politique monétaire expansionniste (« quantitative easing ») pratiquée par la Réserve Fédérale américaine.

Cependant, la banque centrale qui a été jusqu'ici réfractaire aux exigences en faveur d’un assouplissement monétaire, a reporté l’achat d’obligations au mois de janvier de l’année prochaine. Les marchés monétaires ont réagi en conséquence. Après avoir, depuis novembre, fait baisser la valeur du yen de 12 pour cent par rapport à celle du dollar américain du fait de la nouvelle politique monétaire d’Abe, les marchés misent maintenant, suite à l’annonce de la BoJ, sur une plus forte valeur du yen.

Abe a salué la décision de la banque centrale en disant que c’était « un pas vers un audacieux assouplissement monétaire ». Cette décision ne sera toutefois pas la dernière. Abe avait prévenu lors de la campagne électorale du mois dernier qu’au besoin il légiférerait pour forcer la BoJ à appliquer sa politique monétaire. De plus, il a l’occasion d’installer à la tête de la BoJ un nouveau gouverneur lorsque le mandat du gouverneur sortant s’achèvera.

La décision de la BoJ a immédiatement suscité des mises en garde de la part des adversaires économiques du Japon selon lesquelles cela pourrait déclencher une série de dévaluations compétitives – une « guerre des monnaies ». Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King, a dit que si les autres pays faisaient de même, il serait « difficile de croire qu’il sera aisé de contrôler les tensions qui s’ensuivront. » Michael Meister, membre influent du parti allemand au pouvoir (CDU) a prévenu que la décision pourrait « créer une spirale qui nous ferait du mal à tous, » en indiquant que Berlin pourrait recherchait le soutien du G20 afin d’exercer des pressions sur le Japon.

S’exprimant dans le Financial Times, le ministre japonais de l’Economie, Akira Amari, a réfuté les inquiétudes exprimées par Jens Weidmann, président de la Banque centrale allemande, la Bundesbank, quant aux « infractions alarmantes » remettant en cause l’indépendance de la BoJ. Rejetant cette accusation, Akira a déclaré : « L’Allemagne est le pays dont les exportations ont le plus profité du système de taux de change fixe dans la zone euro. Elle est mal placée pour faire des critiques. »

Les mesures du gouvernement Abe sont dictées par l’aggravation de la crise économique du pays. La stagnation persistante suite à l’éclatement des bulles spéculatives de l’immobilier et au niveau de la bourse à la fin des années 1980 est en train de coïncider avec l’effondrement économique mondial qui a débuté avec la crise financière de 2008. Des tentatives répétées pour promouvoir la croissance au moyen de programmes de travaux publics ont échoué. Le résultat est une dette publique insoutenable qui se situe actuellement à 240 pour cent du produit intérieur brut, soit le plus haut niveau de n’importe quel autre pays industrialisé.

L’un des facteurs de la capacité du Japon à maîtriser la tempête économique est son énorme excédent commercial, mais sa balance commerciale est devenue nettement négative au cours de ces deux dernières années. En 2012, le Japon a connu son plus important déficit commercial de tous les temps. Les exportations ont chuté pour l'ensemble de 5,8 pour cent et de 15,8 pour cent avec la Chine dans le contexte de vives tensions au sujet du conflit autour des îles en Mer de Chine orientale. Les importations ont augmenté, notamment celles de l’énergie, après la catastrophe nucléaire de Fukushima et de la fermeture des centrales nucléaires.

La vulnérabilité économique inhérente au Japon est en train d’être révélée au grand jour. En tant que nation insulaire, le capitalisme japonais a toujours été lourdement tributaire des marchés d’exportation et de l’accès à des matières premières bon marché. L’atmosphère de désespoir qui entoure la politique monétaire agressive du gouvernement Abe et les nouvelles mesures de relance économique, font écho à la réaction du Japon dans les années 1930.

Durement touché par la Grande Dépression et le marasme spectaculaire des exportations, le gouvernement japonais qui était entré en fonction en décembre 1931 avait mis fin à la parité yen/or en augmentant fortement les dépenses publiques, notamment les dépenses militaires et en réduisant les taux d’intérêt dans le but de favoriser les affaires. La valeur du yen avait plongé de 60 pour cent par rapport au dollar américain et de 44 pour cent par rapport à la livre sterling anglaise.

Ecrivant dans le journal britannique The Daily Telegraph, le rédacteur d’affaires Ambrose Evans-Pritchard a décrit la politique d’Abe comme suit : « une copie de ce qui s’était produit au début des années 1930 sous Korehiyo Takahashi [ministre des Finances], le premier de son époque à ignorer les règlements et à sortir son pays de la Grande Dépression… Il y a peu de gens qui contestent que le Japon a été de 1932 à 1936 le fer de lance de l’expérience [économique] mondiale la plus réussie. Le truc était de frapper un grand coup et de combiner toutes les formes de relance, chacune renforçant l'autre. »

Pour ce soi-disant « succès », il a toutefois fallu payer un prix terrible. La politique de Takahashi avait été conforme à la politique protectionniste (« beggar-thy-neighbour ») qui était appliquée de plus en plus souvent par toutes les puissances impérialistes en exacerbant considérablement les tensions géopolitiques. De plus, le programme économique du Japon s'était accompagné d'une répression policière d’Etat contre la classe ouvrière sur le plan national et d’une agression militaire à l’étranger pour se procurer des marchés et l’accès aux matières premières. L’invasion japonaise de la Mandchourie en 1931 et de la Chine en 1937 avaient préparé le terrain au déclenchement de la guerre du Pacifique en 1941 qui eut des conséquences dévastatrices pour la classe ouvrière.

De nos jours, le gouvernement droitier d’Abe est en train de poursuivre un mélange tout aussi dangereux de politique économique nationaliste et de militarisme – et il n’est pas le seul. Le recourt du gouvernement Obama à un assouplissement quantitatif monétaire illimité et à son agressif « pivot vers l’Asie » dans le but de contenir la Chine ont encouragé Abe a joué son propre rôle dans le développement de la guerre des monnaies et aussi à remilitariser le Japon. Au bout d’une décennie de guerres néocoloniales menées par les Etats-Unis au Moyen-Orient et une ruée sur l’Afrique, la classe dirigeante japonaise a conclu qu’une armée forte était nécessaire pour garantir ses intérêts économiques et stratégiques.

Ce glissement vers une guerre mondiale encore plus dévastatrice s'accompagne en ce moment d'une incitation à un nationalisme pernicieux dans chaque pays. L’unique force sociale qui puisse empêcher une guerre est la classe ouvrière internationale, au moyen d'une lutte unifiée pour l’abolition du système de profit et de la division du monde en Etats-nations rivaux, et pour l’établissement d’une économie socialiste planifiée qui satisfasse les besoins sociaux de l'ensemble de l’humanité.

(Article original paru le 26 janvier 2013)

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