Un nouveau premier ministre en Tunisie

Suite à la démission du premier ministre tunisien Hamad Jebali, le président Moncef Marzouki a approuvé la semaine passée la désignation de son remplaçant en la personne de l’actuel ministre de l’Intérieur, Ali Larayedh du parti islamiste au pouvoir Ennahdha.

Jebali a démissionné après que le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, a refusé sa proposition de dissoudre l’actuel gouvernement pour former un nouveau cabinet ministériel non partisan, de technocrates et dirigé par Jebali. Jebali avait soumis sa proposition après des manifestations de masse et une grève générale de 24 heures appelée pour protester contre l’assassinat le 6 février du politicien laïc et anti-islamiste, Chokri Belaïd.

Le nouveau gouvernement dirigé par Larayedh, doit être accepté par le président et ratifié par le parlement. Etant donné qu’Ennahdha n'a que 89 députés sur 217, il lui faudra le soutien de partis laïcs, ce qui est loin d'être chose faite. La veuve de Belaïd avait accusé le parti Ennahdha d’avoir joué un rôle dans cet assassinat, ce qui avait déclenché des attaques contre le siège d’Ennahdha et des affrontements avec les forces de sécurité partout dans le pays. Des centaines de milliers de personnes ont participé le 8 février à Tunis au cortège funèbre de Belaïd, et un bon nombre d’entre eux réclamaient la chute du gouvernement Ennahdha et une seconde révolution.

Ennahdha était divisé au sujet de la proposition de Jebali. Jebali est le numéro deux du parti, ayant été son secrétaire général pendant 18 ans. Il a été réprouvé par Ghannouchi et les partisans de Ghannouchi. Une division aussi profonde au sein d’un parti qui affiche habituellement l’image d’une unité monolithique témoigne de la gravité de la crise politique qui existe dans l'ensemble de la Tunisie.

Lors de sa démission, Jebali a exprimé la crainte, ressentie par l’ensemble de la classe dirigeante tunisienne, que le pays était en train de devenir ingouvernable. Il a dit : « Notre peuple est déçu par sa classe politique, il faut restaurer la confiance. » Il a ajouté que le gouvernement devait faire « plus d’efforts pour que l’Etat continue de fonctionner. » Jeune Afrique a rapporté le 19 février que Jebali s'était dit prêt à diriger un nouveau gouvernement à la seule condition qu’il y ait le « retour à la sécurité, l’arrêt de la violence politique, la lutte contre la hausse des prix, le respect de la liberté d’expression, la relance de l’emploi et le développement régional. » Il a réclamé la dissolution des violentes Ligues de protection de la révolution (LPR) dominées par Ennahdha et exigé que l’Assemblée constituante organise rapidement des élections – une politique que le gouvernement Ennahdha n’a pas appliquée depuis son élection en octobre 2011.

Son remplaçant, Larayedh, a été durement critiqué pour l’échec de ses forces de sécurité à identifier ou à punir les auteurs de la violence commise contre les critiques du régime par des Salafistes proches d’Ennahdha et des LPR. Sous Larayedh, la police avait attaqué et blessé en décembre dernier de nombreux manifestants à Siliana, ce qui avait déclenché des émeutes dans certaines villes à travers tout le pays et des appels à sa démission.

L’assassinat de Belaïd a précipité la crise politique, constitutionnelle et sociale qui se développait depuis l’élection de l’Assemblée constituante il y a plus d’un an. Cet organe n’a toujours pas élaboré une constitution.

Ghannouchi a mobilisé le 16 février à Tunis toutes les ressources d’Ennahdha pour « une manifestation d’un million de personnes » pour la défense « de la légitimité des urnes » mais, la participation de quelque 10.000 personnes, a révélé son isolement personnel et celui de son parti. Le journal électronique tunisien Kapitalis a fait remarquer que la mise à l’écart de Jebali montre que Ghannouchi veut « faire remonter davantage la tension… [pour] renvoyer les élections aux calendes grecques et permettre au mouvement islamiste de mieux asseoir son contrôle de tous les appareils de l’Etat. »

Cette crise se déroule dans un contexte de tension sociale extrême et de soulèvements localisés continus. Le chômage tourne autour de 18 pour cent et les revenus sont affectés par un taux d’inflation de 10 pour cent. L’économie tunisienne s’est contractée de 1,8 pour cent en 2011 et n’a que très peu augmenté depuis.

La semaine dernière, l’agence de notation Standard & Poor’s a rétrogradé la note de crédit du gouvernement tunisien de BB à BB- en raison de l’instabilité politique, de l’activité en baisse du tourisme et des « crises financières auxquelles sont confrontés un grand nombre de ses partenaires commerciaux européens. » Il s’agit de la troisième dégradation depuis la révolte des travailleurs qui a renversé, le 14 janvier 2011, le dictateur Zine El Abidine Ben Ali qui était soutenu par l’impérialisme

Cette dégradation rendra encore plus difficile les négociations actuelles entre le gouvernement et le Fonds monétaire international pour l’obtention d’un prêt de 1,3 milliards d’euros.

Les médias et les partis bourgeois cherchent à conférer à Jebali une légitimité démocratique en dépit du rôle qu’il a joué dans la trahison des aspirations des travailleurs et des jeunes qui ont renversé le dictateur Ben Ali et dans la répression des protestations sociales.

L’AFP a rapporté le 20 février : « Hamadi Jebali a acquis une popularité certaine dans l’opposition, chez les partenaires sociaux [syndicats, patronat et Etat]… Il s’est aussi attiré le respect des chancelleries occidentales, la chef de la diplomatie de l’UE, Catherine Ashton, a exprimé mercredi le ‘grand sens de l’Etat’ de M. Jebali. »

Sami Tahri, porte-parole de la principale centrale syndicale tunisienne, UGTT (Union générale tunisienne du travail), a déploré le fait que Jebali a été obligé de démissionner en déclarant que « l’UGTT… a[vait] fortement soutenu l’initiative de Hamadi Jebali. »

(Article original paru le 25 février 2013)

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