Washington intensifie l’intervention en Afrique

Selon un rapport publié lundi 4 mars dans le Wall Street Journal, le gouvernement Obama est en train de « considérablement accroître son rôle » dans l’escalade de la guerre néocoloniale menée par la France au Mali.

Selon des responsables français anonymes cités dans le rapport, des drones américains Reaper ont été utilisés pour dépister des présumés combattants islamistes dans le massif montagneux des Ifoghas au Nord Mali et fournir des informations permettant des actions ciblées pour une soixantaine de frappes aériennes françaises rien que la semaine dernière.

Une force de 1.200 soldats français, aux côtés de 800 soldats d’élite tchadiens spécialement entraînés par les forces américaines et des unités de la propre armée malienne, sont engagés dans de violents affrontements avec les insurgés qui opèrent dans la région depuis de nombreuses années et qui connaissent parfaitement bien le terrain.

Compte tenu de la nouvelle phase plus violente de la guerre – qui depuis dimanche a porté le bilan humain à trois légionnaires français et des dizaines de soldats africains – le ministère français des Affaires étrangères a annoncé la semaine dernière qu’il ne commencerait pas à retirer en hâte son corps expéditionnaire fort de 4.000 hommes en indiquant effectivement que le calendrier de retrait prévu pour fin mars serait très certainement reporté. Des responsables français ont dit à l’Associated Press que les troupes françaises resteraient au Mali au moins jusqu’en juillet.

Les responsables tchadiens ont affirmé au cours du week-end que les soldats du pays avaient tué Mokhtar Belmokhtar qui est supposé avoir dirigé le groupe armé ayant assiégé en janvier le site pétrolier d’Amenas en Algérie. Belmokhtar entretiendrait des liens avec al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

« Les forces tchadiennes ont détruit totalement la principale base des jihadistes dans le massif de l’Adrar des Ifoghas, plus précisément dans la vallée d’Ametetai, » a annoncé samedi l’état-major tchadien. L’annonce est venue un jour après que le président tchadien, Idriss Déby, a affirmé qu’un autre chef d’AQMI, Abou Zeid, avait été tué lors de la même opération.

Les responsables français et américains ont été plus prudents là-dessus, disant n’avoir pas pu vérifier les meurtres. Washington a une longue expérience consistant à annoncer la soi-disant mort de jihadistes, pour ensuite les voir réapparaître plus vivants que jamais

Lundi, dans une interview, l’amiral français Edouard Guillaud a averti qu’alors que ces morts étaient « probables », l’armée française n’avait pas récupéré le corps des deux hommes. Guillaud a recommandé une « extrême prudence », mettant en garde qu’il y a toujours le risque plus tard d’un démenti par une vidéo datée.

Le recours de plus en plus fréquent aux drones américains dans la guerre au Mali fait suite à l’annonce faite le mois dernier d’un déploiement d’au moins 100 soldats américains au Niger voisin où un accord a été conclu avec le gouvernement local pour permettre à Washington l’installation d’une base de drones sur le territoire du pays. Alors, qu’actuellement les Etats-Unis affirment ne faire voler que des drones de surveillance non armés, l’installation d’une base crée pour le gouvernement Obama les conditions pour étendre sa campagne de meurtres à distance sur l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.

Alors que l'impérialisme américain justifie son intervention comme étant une réponse à la présence grandissante de forces liées à al Qaïda – qui ont envahi le Nord Mali après avoir été utilisées par Washington comme forces terrestres dans la guerre menée par les Etats-Unis et l’OTAN pour le renversement du régime du colonel Mouammar Khadafi dans la Libye voisine – ses objectifs véritables sont d’asseoir l’hégémonie américaine sur les vastes richesses en pétrole, uranium et autres ressources minérales du sous-sol de la région, et de contrer l’influence économique croissante de la Chine.

L’article paru dans le Journal cite un responsable occidental anonyme disant que le rôle joué par les Etats-Unis au Mali représente « une rare réussite nord-africaine » lors de laquelle Washington a appliqué une nouvelle « stratégie de lutte contre le terrorisme en travaillant ‘par, avec et par le biais’ de forces locales. »

En d’autres termes, l’impérialisme américain tente de poursuivre sa campagne prédatrice en Afrique en comptant sur les élites bourgeoises nationales serviles de la région afin de fournir des troupes africaines agissant par procuration.

« Ces dernières années, » rapporte le Journal, « des Forces d’opérations spéciales en Afrique (Joint US Special Operations Task Force) ont fourni au groupement spécial anti-terroriste du Tchad, l’unité impliquée dans les opérations de la semaine passée et qui auraient tué M. Belmokhtar et M. Zeid, un soutien dans le domaine de l’équipement, de l’entraînement et de la logistique. »

Le Tchad a rapporté que 26 soldats de cette unité ont été tués depuis le lancement de l’offensive au Mali.

Les responsables tchadiens ont admis que l’unité tchadienne combattant au Mali, le groupement spécial anti-terroriste, avait été entraînée par les Bérets Verts américains. Selon le Journal, les responsables américains ont affirmé que « les forces américaines n’avaient pas accompagné l’unité tchadienne à l’intérieur du Mali. » Toute participation directe de forces américaines au sol combattant au Mali serait sans aucun doute mise en place secrètement.

En plus, de l’unité tchadienne, d’autres troupes africaines formées par les Etats-Unis sont préparées pour un éventuel déploiement au Mali.

Le général Carter Ham, commandant d’AFRICOM (Forces américaines en Afrique), commandement militaire américain supervisant le continent africain, s’est envolé la semaine passée pour la Mauritanie pour une rencontre à huis-clos avec le président du pays, Mohamed Ould Abdel Aziz et de hauts responsables de l’armée. Il a aussi parlé à des soldats mauritaniens, américains et français qui sont engagés dans un exercice militaire conjoint dans le Sud de la Mauritanie, près de la frontière avec le Mali.

Cet exercice appelé « Flintlock 2013, » fait partie d’une série de manœuvres annuelles organisées par le Pentagone depuis 2000, avant la soi-disant « guerre contre le terrorisme » et l’invocation d’al Qaïda comme prétexte à des interventions dans le monde entier.

Lundi, Abdel Aziz, s’exprimant à une conférence de presse commune avec le président du Niger, Mahamadou Issoufou, a dit qu’il était prêt à envoyer des troupes mauritaniennes au Mali « pour assurer la stabilité et la sécurité. » Il a dit que son gouvernement « assumerait cette responsabilité dès que possible, » tout en ajoutant qu’il avait déjà déployé des troupes à la frontière que le pays partage avec le Mali pour bloquer les lignes de ravitaillement et les voies que les insurgés pourraient emprunter pour s'échapper du pays.

Alors que l’intervention franco-américaine au Mali a été présentée comme une entreprise humanitaire visant à secourir la population malienne des mains des Islamistes, la réalité est que la guerre a déclenché une immense souffrance humaine.

L’agence des Nations unies pour les réfugiés a relaté que quelque 40.000 Maliens ont fui les combats pour se réfugier dans des camps de réfugiés au Burkina Faso voisin. La majorité de ceux qui remplissent les camps de réfugiés à Dijbo, dans le Nord du Burkina Faso, sont des Touaregs qui étaient partis pour échapper au bombardement français et par crainte que les troupes maliennes n’organisent des actes de vengeance sur la minorité de la population pour s’être rebellée contre le gouvernement central.

4.000 personnes de plus se sont réfugiées en Mauritanie depuis que la France, soutenue par Washington, a lancé le 11 janvier son intervention militaire. Une semaine après l’initiative de la guerre néocoloniale, le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés a averti que « 300.000 personnes supplémentaires pourraient dans un proche avenir être déplacées à l’intérieur du Mali et plus de 400.000 de plus pourraient être déplacées dans les pays voisins. » Cette évaluation est rapidement en train d’être confirmée.

« Nous craignons des meurtres perpétrés en représailles », ont dit des réfugiés maliens à IRIN, l’agence de presse de l’ONU. « Nous avons peur des attaques des soldats maliens. Personne n’ose rentrer. » L’agence de presse a rapporté que des familles d’agriculteurs n’ont pas été en mesure de cultiver leurs champs en raison des combats et qu'ils ont fui par crainte de la famine. Il a également été rapporté qu’alors que les écoles avaient rouvert dans la ville de Tombouctou, elles sont en grande partie vides parce que de nombreux élèves et enseignants ont rejoint le flux de réfugiés.

« Qui peut garantir notre protection, notre sécurité ? Personne. Je n’ai confiance en personne, » a dit le directeur de l’école à Tombouctou, Amhedo Ag Hamama, qui s’est porté volontaire pour enseigner dans le camp de réfugiés de Mbéra à l’Est de la Mauritanie, a dit IRIN.

Les stocks de nourriture et d’eau se révèlent insuffisants face au nombre de réfugiés, ce qui risque de produire une catastrophe humanitaire.

(Article original paru le 5 mars 2013)

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