Le NSA canadien espionne la population à grande échelle

Sur la base de directives gouvernementales secrètes, l’appareil de sécurité nationale est en train de mener une surveillance massive des Canadiens, de façon similaire, sinon carrément identique, à l’espionnage intérieur effectué par l’Agence nationale de sécurité américaine (en anglais, NSA).

Le Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC), l’homologue canadien de la NSA et un de ses partenaires de longue date scrutent les métadonnées des communications électroniques des Canadiens depuis au moins 2005.

De plus, la NSA fournit régulièrement des renseignements aux agences de sécurité canadienne sur les Canadiens et le CSTC lui rend la pareille en fournissant aux responsables américains des renseignements de l’information sur les gens habitants aux États-Unis. Cet arrangement permet aux deux agences de contourner des interdictions légales sur la surveillance sans mandat des communications de leurs propres citoyens.

Il était «courant» pour la NSA de «nous transmettre de l’information sur les Canadiens» a dit Wayne Easter, le solliciteur général du Canada pour 2002 et 2003, au Toronto Star la semaine dernière. En tant que solliciteur général, Easter était le responsable de la supervision des opérations du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et de la Gendarmerie royale canadienne (GRC).

Rien n’a été dit sur l’ampleur des opérations d’espionnage du CSTC, sur les personnes ciblées et sur les raisons pour les espionner. Le CSTC fonctionne sous des directives secrètes émises par le ministère de la Défense, des directives dont l’existence n’est pas connue des parlementaires, sans parler de l’ensemble du public.

Très peu a été révélé sur les activités du CSTC, mais le gouvernement conservateur a réagi par une campagne de désinformation, de dissimulation et de mensonges. Cette campagne a été facilitée par les partis de l’opposition, spécialement les soi-disant gauchistes du Nouveau Parti démocratique et les médias de la grande entreprise qui n’ont pas été plus loin que de lancer faibles appels pour une plus grande transparence des activités du CSTC.

Le lundi 10 juin, le Globe and Mail a rapporté qu’en novembre 2011, le ministre de la Défense Peter MacKay a signé une directive secrète autorisant le CSTC à continuer sa «collecte» de métadonnées des communications par téléphone et par internet des Canadiens. Le Globe a dit que ce programme a été autorisé par Bill Graham, le ministre de la Défense sous le gouvernement libéral de Paul Martin, en 2005, c’est-à-dire six ans plus tôt.

MacKay, tout comme le président américain Barack Obama, a répondu aux révélations d’espionnage massif par l’État en rejetant catégoriquement que le CSTC ait «ciblé» des Canadiens ou violé les interdictions constitutionnelles sur la surveillance sans mandat de leurs communications. Ce mensonge repose sur la distinction fausse entre les métadonnées créées par une communication électronique et le reste des communications ainsi que sur l’affirmation clairement fausse que de telles informations sont inoffensives.

Selon le Globe and Mail, une session d’information préparée pour MacKay en 2011, probablement par le CSTC ou des avocats dans son département, déclarait : «Les métadonnées sont des informations associées à une télécommunication… et non une communication.»

En fait, les métadonnées, qui incluent des informations comme la source, la destination et la durée d’un appel téléphonique, sont intrinsèques à toute communication électronique. En rassemblant et en analysant systématiquement de telles données, les appareils de sécurité américain et canadien peuvent rapidement construire des profils détaillés d’individus ou de groupe ciblés, allant de l’identité de ceux qui leurs sont associés jusqu’au lieux où ils travaillent et font leurs achats, les banques avec qui ils font affaire ainsi que les sites web fréquentés.

Dans le cadre de sa tentative pour couvrir l’étendue et le but de la collecte de métadonnées du CSTC, MacKay a fait une admission révélatrice. En réponse à une question sur la surveillance massive des communications de Canadiens, MacKay a dit au Parlement : «J’ai quelque chose à dire au député… C’est quelque chose qui existe depuis des années.»

Au même moment, des sources gouvernementales, la plupart anonymes, ont tenté de réfuter l’affirmation du Globe and Mail selon laquelle il y a eu de sérieux questionnements dans l’appareil d’État sur la constitutionnalité de la collecte de métadonnées sur les communications canadiennes par le CSTC. Dans son rapport de lundi, le Globe a dit qu’en 2008, l’ancien commissaire du CSTC, le chef du «chien de garde» désigné par le gouvernement qui est mandaté pour s’assurer que le CSTC ne dépassera pas son mandat légal, avait mis en garde que le programme pourrait violer les droits constitutionnels canadiens et qu’en raison de ses inquiétudes, le programme de collecte de métadonnées fut suspendu pendant plus d’un an.

Des sources provenant du gouvernement et du CSTC ont contredit les faits décrits dans le reportage du Globe. Ils ont dit que les questions soulevées par Charles Gonthier, un ancien, juge de la Cour suprême maintenant décédé, concernent seulement une petite partie d’un programme plus large, que seulement cette partie du programme de collecte de métadonnées fut suspendue et pour une courte période seulement.

L’actuel commissaire du CSTC a publiquement défendu la surveillance massive et a affirmé que son prédécesseur croyait de même que le CSTC avait tous les droits pour espionner les communications électroniques des Canadiens. Dans une déclaration par courriel au Toronto Star, Ryan Foreman, un porte-parole du commissaire pour le CSTC, Robert Decary, a dit : «Le commissaire n’a jamais contesté la légalité des activités sur les métadonnées du CSTC.»

MacKay et le gouvernement ont aussi tenté d’empêcher que les activités du CSTC fassent l’objet d’un examen public plus approfondi en insistant qu’il cherche uniquement à rassembler de l’information à l’étranger. MacKay a affirmé le lundi 10 juin à la Chambre des communes qu’il est «formellement interdit de se servir de ce programme pour examiner l'information concernant les Canadiens.» C’est un mensonge évident et non seulement parce que la collecte de métadonnées sans mandat est une forme d’espionnage.

Le mandat gouvernemental du CSTC stipule, et MacKay le sait très bien puisqu’il a été le ministre responsable pour la supervision de son travail lors des sept dernières années, qu’il doit «fournir une assistance technique et opérationnelle» au SCRS, à la GRC et à d’autres agences canadiennes de sécurité-renseignements et de maintien de l’ordre «dans l’exercice des fonctions que la loi leur confère.» De plus, le CSTC peut chercher à obtenir l’autorisation du ministre de la Défense pour saisir et lire les communications de Canadiens qui sont d’une manière quelconque liées à des cibles des collectes de renseignements à l’extérieur du pays. Comme l’a souligné Thomas Walkom du Toronto Star : «En 2011-2012, la dernière année pour laquelle des chiffres sont disponibles, huit autorisations ministérielles, dont la taille est inconnue, ont été faites.»

Tout en défendant vigoureusement l’espionnage du CSTC, le gouvernement était anxieux de montrer que le CSTC n’avait pas accès au programme PRISM de la NSA et ne l’avait pas utilisé comme un moyen de surveiller les communications canadiennes. Sous PRISM, les agents de la NSA peuvent avoir accès aux serveurs des plus importantes compagnies américaines liées à l’internet comme Microsoft, Apple, Google et Facebook.

Les affirmations du gouvernement concernant le CSTC et PRISM ne sont pas crédibles. Le CSTC a été un partenaire proche de la NSA, partageant de l’information avec lui sur une base quotidienne pendant plus de six décennies.

La Grande-Bretagne, tout comme le Canada, fait partie des «Cinq Yeux», un consortium formé à la fin des années 1940 par la NSA, le CSTC et les agences de communications de la Grande-Bretagne, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande afin de surveiller conjointement les communications mondiales, a déjà déclaré qu’elle a obtenu des informations sur les Britanniques par PRISM.

La NSA et le CSTC, tout comme la distinction bidon qu’ils font entre les métadonnées des communications électroniques et le reste des communications le montre, peuvent créer et créent des prétextes et des mécanismes pour contourner illégalement des interdictions constitutionnelles.

Dernier élément, mais non le moindre, les démentis de MacKay sur l’espionnage des Canadiens via PRISM, peu importe leur validité, ne concernent que le CSTC. Comme les commentaires d’Easter le montrent, les agences de sécurité canadiennes ont longtemps été les récipiendaires des renseignements sur les Canadiens provenant de la NSA dans le cadre d’accords et de partenariat de longue date entre le Canada et les États-Unis sur le partage de renseignements.

Le CSTC est une partie d’un État dans l’État qui devient de plus en plus imposant et dont les opérations sont cachées du public. Avant cette semaine, les Canadiens n’avaient jamais entendu parler du CSTC et même maintenant ils en savent très peu sur ses activités. Lorsque le ministre de la Défense MacKay a renouvelé, par ordre ministériel secret, l’autorisation au CSTC d’espionner sur les communications électroniques des Canadiens en novembre 2011, il a émis six autres directives ministérielles secrètes au CSTC. Ni le sujet ni le contenu n’ont été publiquement révélés pour aucune d’entre elles.

Tout comme aux États-Unis, l’élite canadienne a utilisé la prétendue guerre contre le terrorisme pour justifier la participation du Canada dans une série de guerres impérialistes, pour intensifier massivement l’appareil de sécurité nationale et pour adopter des lois qui s’en prennent aux droits démocratiques fondamentaux.

(Article original angalis paru le 15 juin 2013)

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