Canada: Septième semaine de lock-out chez U.S. Steel

Près de 1 000 travailleurs de l’usine sidérurgique de U.S. Steel à Nanticoke sur le lac Érié, en Ontario, sont en lock-out depuis le 28 avril.

U.S. Steel a imposé ce lock-out, le second à l’usine en trois ans, après que les travailleurs membres de la section locale 8782 du Syndicat des métallos (USW) aient massivement rejeté les demandes de l’employeur pour une autre série de concessions dans leur convention collective. Le géant de l’acier fait pression pour un gel des salaires, la suppression de l’augmentation indexée au coût de la vie, des réductions dans les vacances, l’assurance-médicaments et autres avantages, et l’évidage des règlements au travail, de façon à lui permettre de redéployer temporairement des travailleurs qualifiés dans d’autres emplois à des salaires plus bas.

Pendant ce lock-out, U.S. Steel utilise la production de ses autres usines syndiquées avec le Syndicat des métallos au Canada et aux États-Unis pour remplir ses commandes. Lorsqu’elle tourne, l’usine de Nanticoke représente environ 10 pour cent de la production totale de U.S. Steel.

U.S. Steel a déjà imposé à deux reprises de longs lock-out dans les anciennes usines de Stelco. Pendant longtemps le plus grand sidérurgiste au Canada, Stelco a été acheté par U.S. Steel en 2007.

Il y a trois ans, U.S. Steel a mis en lock-out les travailleurs de Nanticoke pendant huit mois dans une offensive qui s’est terminée finalement avec l’imposition d’un système de retraite à deux vitesses. Les travailleurs de l’usine sidérurgique Hilton à Hamilton avaient aussi été en lock-out pendant près d’un an en 2010-2011. Le Syndicat des métallos a alors accepté un contrat de concessions comprenant un gel des salaires, l’imposition du régime de retraite à deux vitesses, la fin de l’indexation des pensions au taux d’inflation et l’élimination de centaines d’emplois.

Comme dans les deux précédents lock-out, le Syndicat des métallos isole maintenant les travailleurs de Nanticoke, tout en disant aux travailleurs des autres usines sidérurgiques de U.S. Steel de continuer de travailler.

En fait, le syndicat permet même à l’entreprise de continuer de faire fonctionner une partie de ses opérations à Nanticoke même. Alors que la grande majorité des membres du Syndicat des métallos de l’usine sidérurgique du lac Érié est en lock-out ou mise à pied, environ 160 à 180 membres d’une autre unité de négociation du Syndicat des métallos font du «décapage» – c’est-à-dire de la finition de surface de produits formés en acier provenant des autres installations de U.S. Steel, y compris l’usine sidérurgique Hilton qui se trouve dans les environs de Hamilton. Une fois le décapage terminé, l’acier est ensuite expédié depuis l’usine de Nanticoke aux clients des deux pays.

Cédant aux menaces de l’entreprise, la section locale 8782 a publié une directive sur son site Internet invitant les travailleurs en lock-out de «s’abstenir de parler à un de nos membres pendant les heures de travail, y compris la pause repas, parce qu’ils seront sanctionnés s’ils sont vus.» Cette mise en garde est accompagnée par le texte d’une lettre de la gestion qui interdit aux travailleurs encore dans l’usine d’avoir «toute interaction (y compris des conversations, des appels téléphoniques, du texting, etc.) avec les employés de la section locale 8782 présents sur les lignes de piquetage» pendant les heures de travail.

Tout en respectant les lois du travail pro-patronales et en ordonnant aux travailleurs de U.S. Steel des deux côtés de la frontière de faire le travail normalement effectué à l’usine de Nanticoke, le Syndicat des métallos fait la promotion réactionnaire du nationalisme canadien, afin de contrecarrer tout mouvement pour une lutte unie de la part des travailleurs de U.S. Steel et du reste de l’industrie de l’acier en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde contre toute concession, suppression d’emplois et fermetures d’usines.

Acceptant la logique de l’entreprise que les salaires des travailleurs devraient être liés aux bénéfices des investisseurs, les dirigeants du district 6 et de la section locale 8782 du Syndicat des métallos estiment que les coûts de main-d’œuvre pour U.S. Steel dans son usine de Nanticoke sont moins élevés que dans ses usines américaines. Ils ont également accusé U.S. Steel de répartir «injustement» le travail au sein de l’entreprise, au détriment de ses opérations canadiennes.

La réalité, c’est que tous les travailleurs de U.S. Steel et toutes les personnes qui travaillent en Amérique du Nord comme partout ailleurs dans le monde sont confrontés à une offensive de la bourgeoisie visant à leur faire payer la crise du capitalisme, par le biais de réductions de salaire, de suppressions d’emplois et de la destruction de tous les acquis sociaux que la classe ouvrière a obtenus lors des luttes et agitations sociales du siècle dernier.

Le World Socialist Web Site a parlé la semaine dernière avec des travailleurs en lock-out faisant du piquetage à l’usine de Nanticoke. Les travailleurs étaient déterminés à repousser les concessions exigées par l’entreprise, mais beaucoup ont exprimé avoir peu confiance dans leur syndicat.

Jeff Badger, qui travaille chez U.S. Steel depuis deux ans et demi en tant qu’électricien, a déclaré que les demandes de concessions de l’employeur «ne nous laissent pas le choix».

«La partie inacceptable du contrat, a-t-il expliqué, c’est qu’ils ont introduit ce qu’on pourrait appeler “l’élargissement des fourchettes”. Ainsi, si l’employeur n’a pas de travail pour ce quoi tu as été embauché, il peut te donner du travail à faire ailleurs dans l’usine. C’est bien beau. Personne n’a vraiment de problème avec ça. Là où il y a problème toutefois, c’est que l’employeur a ajouté une petite clause là-dedans qui dit que tu vas être payé en fonction de la catégorie d’emploi dans laquelle tu vas travailler.

«Ce qui veut dire qu’en tant qu’électricien, si je rentre au travail et qu’ils n’ont pas de travail en électricité pour moi, ils peuvent me donner un balai, ce qui est bien beau, mais je vais être payé à un salaire de concierge à la place de mon salaire d’électricien. Or, moi, j’ai une quantité x de factures à payer chaque mois, et là je ne peux pas savoir si j’aurai un revenu de x, y ou z. Il faut que je sache combien d’argent je vais faire à la fin du mois pour que je puisse planifier un budget et être financièrement responsable».

Jeff dit que les travailleurs étaient «vraiment frustrés» lorsque le bureau international du Syndicat des métallos a forcé la section locale 8782 à tenir un deuxième vote sur l’offre de contrat dérisoire de l’entreprise «parce que le syndicat ne voulait pas payer une indemnité de grève d’un million de dollars par mois».

Jeff a exprimé sa frustration devant le manque de solutions politiques pour les travailleurs. «La façon dont je vois les choses en ce moment, c’est que j’ai deux options: Ou bien je prends les armes et combats, ou bien j’utilise le système. Je ne crois pas en la violence. Je crois que cela devrait être un dernier recours. Je veux rendre les politiciens responsables. Il ne devrait y avoir rien de caché, et si jamais un politicien enfreint la loi, il devrait être puni pour avoir brisé la confiance du public ».

Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait du fait que des membres de son syndicat continuaient de travailler à l’usine pendant que l’eux étaient en lock-out, un autre gréviste, Mark, a fait remarquer qu’autrefois les syndicats étaient associés à des avancées significatives pour les travailleurs.

«Ce serait mieux si nous avions une voix collective plus grande, mais qu’est ce qu’on peut faire? Croyez-moi, cette question, on se la pose tout le temps! À un moment donné, on avait une base beaucoup plus large dans les syndicats. Mais maintenant ces nombres se sont en quelque sorte dissipés. Maintenant, c’est plus rendu “diviser pour régner”. Je crois que le président du Syndicat des métallos siège maintenant au conseil d’administration avec le gouvernement Obama.»

Un autre gréviste, Joe, a exprimé son inquiétude au sujet du fait que les travailleurs canadiens et américains étaient divisés et montés les uns contre les autres: «Le problème, c’est que notre section locale devrait faire partie de la section locale américaine parce que sans cela, nous n’avons pas le pouvoir qu’ils ont. Si les Américains décidaient qu’ils n’aiment pas le contrat qui leur est proposé, ils pourraient fermer toutes les usines d’un coup. Nous sommes juste une usine isolée ici. C’est trop facile de nous mettre en lock-out et puis de s’en aller. Nous devons faire partie de tout l’ensemble. Quand le contrat aux États-Unis arrive à échéance, le nôtre devrait arriver à échéance en même temps. Mais évidement ils ne veulent pas cela. À moins que les opérations canadiennes deviennent partie intégrante de la production américaine, ce genre de chose va se reproduire, disons à tous les trois ans, à chaque fois que le contrat arrive à échéance.»

John, qui a travaillé à l’usine pendant les deux dernières années, a exprimé sa colère à propos de la décision du gouvernement conservateur en 2011 de permettre à U.S. Steel de ne pas honorer ses engagements en matière de production et d’emploi, des engagements que l’entreprise avait pris pour obtenir l’approbation d’Ottawa à son acquisition de Stelco. «Nous avions la possibilité de poursuivre U.S. Steel pour ne pas avoir respecté l’entente conclue quand ils ont acheté la place. Il y avait des conditions qu’ils devaient respecter. Ils ne les ont pas respectées. Alors nous avons essayé de les poursuivre en justice pour obtenir des réparations, mais le gouvernement est passé par la porte d’en arrière et est allé conclure une entente avec eux, et on ne nous a jamais dit c’était quoi cette entente.»

Un autre travailleur qui ne veut pas être nommé a parlé de l’intégration croissante des syndicats dans la gestion et la croissance du pouvoir des entreprises.

«Dans certaines usines d’automobiles aux États-Unis, les syndicats ont conclu des accords pour réunir les membres non syndiqués dans leur organisation, mais dans le cadre d’un groupe distinct, non pas pour améliorer leurs salaires, leurs avantages sociaux ou quoi que ce soit, mais uniquement pour prélever des cotisations syndicales. Ainsi, ces travailleurs étaient mieux quand ils n’étaient pas représentés, alors qu’ils étaient de simples employés ou entrepreneurs indépendants de quelque chose comme Ford ou General Motors.

«Je pense juste que les entreprises et les puissances du mal qui se cachent derrière le gouvernement de l’élite sont trop fort pour que nous puissions faire quelque chose même à petite échelle. Ça augure mal pour l’avenir. N’importe qui se renseignant sur les problèmes et les défis des personnes qui travaillent et comment le gouvernement a rendu la vie plus difficile pour les gens peut voir que les puissants sont devenus plus puissants, plus riches et encore plus contrôleurs. Et ça rend la vie plus difficile pour tous les autres comme nous qui essayons de gagner notre vie pour nos familles.»

(Article original anglais paru le 11 juin 2013)

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