La police sud-africaine a dissimulé des preuves et menti pour couvrir le massacre de Marikana

La semaine dernière la police d'Afrique du Sud s'est vue confrontée à des accusations de la part de la Commission d'enquête sur Marikana selon lesquelles elle aurait manipulé et dissimulé des preuves afin de blanchir son rôle dans le massacre de mineurs en grève.

L'enquête a été mise en place par le président Jacob Zuma du Congrès national africain (ANC) après le meurtre de 34 mineurs et les blessures reçues par 78 autres au cours d'un assaut de la police à la mine de platine de Lonmin, le 16 août 2012. La commission a également enquêté sur la mort de 10 autres personnes, dont des policiers et deux membres de la sécurité, durant la semaine précédant le massacre.

La semaine dernière, il est apparu qu'un disque dur appartenant à un des policiers n'avait pas été confié à l'enquête dans sa totalité. Les responsables de la présentation des preuves ont demandé un report d'une semaine pour pouvoir examiner des fichiers représentant plusieurs milliers de pages et découverts sur des disques durs des services de police d'Afrique du Sud (SAPS). Ils ont accusé le SAPS de dissimulation de preuves et d'avoir retenu des documents dont certains officiers avaient dit qu'ils n'existaient pas.

Le lieutenant-colonel Duncan Scott, témoin pour la police, a été interrogé sur des enregistrements trouvés dans la corbeille de son ordinateur. Il a été demandé à Scott de dire parmi les pages du plan qui aurait été utilisé pour disperser et arrêter les mineurs sur le koppie [petite montagne isolée] près de Marikana, quelles sont celles qui ont été créées après l'événement. Les responsables des preuves pensent que les documents ont été en réalité écrits lors d'une rencontre sur neuf jours à Potchefstroom où le SAPS a préparé sa défense avant d'être convoqué par la commission. Parmi les mensonges concoctés, il y a eu une inversion de l'ordre d'apparition des orateurs dans une vidéo montrant des meneurs de la grève pour donner l'impression qu'ils appelaient à attaquer la police.

Le responsable en chef, l'avocat Geoff Budlender, a accusé le SAPS de dissimulation de documents qui auraient dû être révélés plus tôt et d'avoir manipulé des documents pour donner l'impression qu'ils suivaient l'ordre chronologique alors que ce n'était pas le cas. « Certains documents ont été ajoutés et il y a certains fichiers que nous n'avions pas vus jusqu'à présent, » a déclaré Budlender.

Une déclaration publiée le 19 septembre a indiqué que les documents montraient que la version des événements donnée par le SAPS « n'[était], matériellement, pas la vérité. »

« Nous ne disons pas cela à la légère, » poursuit la déclaration. « Nous reconnaissons qu'il est important que le SAPS doive avoir la possibilité d'expliquer les points qui ont soulevé notre inquiétude. Cependant, nous devons dire que […] le matériel que nous avons trouvé a des implications sérieuses pour la suite du travail de la commission. »

Parmi les policiers appelés à témoigner en plus de Scott, il y a le brigadier Adriaan Calitz, connu pour avoir donné l'ordre « engagez, engagez [le combat] » avant le massacre. Les preuves vidéo présentées à l'enquête le montrent en train de dire aux policiers le lendemain du massacre que le plan a été exécuté « à 110 pour cent. »

La réaction de la police pour le moment consiste à rester muette. Le commissaire de police Riah Phiyega a déclaré que la commission a publié une déclaration très mal venue et que, « Nos avocats se penchent sur cette question. »

L'avocat Ishmael Semenya, qui représente le SAPS, a demandé que les responsables des preuves indiquent sur quels documents ils s'appuient pour dire que la « version des événements de Marikana présentée par le SAPS, n'est matériellement pas la vérité. » Et il a annoncé que la police y répondrait par écrit à une date non-spécifiée.

Les allégations de manipulation des preuves par la police sont pour elle désastreuses. Le public a déjà exprimé son indignation.

Citizens4Marikana, une fédération d'organisations créée pour le premier anniversaire du massacre, qui lutte pour le droit des mineurs blessés et arrêtés durant le massacre, a dit sur ces révélations : « le fait que la police, au détriment des contribuables, ait jugé approprié de cacher des preuves à la commission pendant plus d'un an constitue une mise en cause claire des policiers concernés. »

Johan Burger, responsable de recherches à l'Institut pour les études de sécurité, a commenté, « l'image de la police est déjà en lambeaux, de plus en plus de gens considèrent que la police est malhonnête. »

Les médias ont fait des reportages indiquant que si ces allégations étaient confirmées, Budlender aurait le pouvoir de demander au président de la Commission, le juge Ian Farlam, d'envisager des accusations pénales. Mais il serait naïf de croire que l'enquête puisse jamais faire comparaître les coupables devant la justice. La Commission de Marikana n'est pas un tribunal pénal, elle ne peut qu'établir des faits et faire des recommandations sur la manière d'éviter des incidents semblables à l'avenir. Rien de ce qu'elle peut publier n'est légalement contraignant pour le président Zuma ou les procureurs d'Afrique du Sud.

Le lendemain, en réaction à cette situation très dommageable, une déclaration a été publiée par la commission, affirmant que les opinions sur les preuves de la police exprimées dans une déclaration, n'étaient pas celles de la Commission d'enquête Farlam, mais contenaient les propositions soumises à cette commission par Budlender.

Farlam a déclaré, « je pense qu'il convient d'indiquer publiquement que ce ne sont pour le moment que des inquiétudes. »

L'enquête Farlam a été conçue dès le départ comme un moyen de canaliser la colère populaire face à la pire atrocité policière commise depuis la fin de l'Apartheid vers une impasse.

Le massacre de Marikana a eu lieu parce que les mineurs de platine dégoûtés par les trahisons constantes du National Union of Mineworkers (NUM) ont décidé d'une grève sauvage, beaucoup d'entre-eux rejoignant le syndicat concurrent Association of Mineworkers ans Construction Union (AMCU). Le massacre était la réponse du NUM, de l'ANC et de ses partenaires au gouvernement, le Congrès des syndicats d'Afrique du Sud et le Parti communiste d'Afrique du Sud, face à ce qu'ils considéraient comme un défi lancé à leur rôle de représentants et de partenaires commerciaux des grands groupes miniers.

Cyril Ramaphosa siège au conseil des directeurs de la Lonmin, possède 9 pour cent de Marikana et est l'actionnaire majoritaire d'Incwala Resources, le partenaire de Lonmin dans le cadre du Programme de développement économique pour les noirs, il empoche 18 millions de dollars américains par an. Avant le massacre, il a envoyé des emails à la direction de Lonmin où il demandait une « action concertée » contre les manifestations qu'il décrivait comme « des actes criminels purement et simplement. » Quatre mois plus tard, il a été élu adjoint de Zuma à la direction de l'ANC.

Alors même qu'une enquête était en préparation, une vague de grèves a secoué les industries minières du pays et un régime digne d'une guerre civile a été imposé à Rustenberg, la grande ville dont Marikana est proche. Les 276 mineurs arrêtés par la police le jour du massacre et les jours suivants ont été frappés et torturés.

Depuis lors, l'enquête Farlam a entendu des témoignages, mois après mois, à la fin desquels rien ne se passera. En conséquence, les derniers mois ont vu des manifestations de colère répétées contre les auteurs des crimes de Marikana accompagnées de récriminations amères contre l'enquête.

À l'occasion de l'anniversaire de Marikana, l'ANC du Nord-Ouest a annoncé qu'elle ne participerait pas à la commémoration. Ce jour-là, les mineurs ont chanté, « Comment peut-on se débarrasser du NUM ? »

Le 11 septembre, Ramaphosa a été hué lorsqu'il s'est exprimé à l'Université de Witwatersrand, au moment où il s'est vanté de ce que les travailleurs pouvaient maintenant faire grève légalement au lieu d'être expulsé des lieux de grève. « Maintenant on les abats à la place, » a crié un manifestant.

Le refus par le gouvernement d'accorder l'aide juridictionnelle aux familles des 34 mineurs tués et aux mineurs arrêtés ou blessés a particulièrement provoqué la colère. Le principal avocat des mineurs, Dali Mpofu, s'est récemment retiré de l'enquête pour se consacrer à la recherche de financements. D'autres avocats de l'AMCU et de certaines familles se sont retirés également par solidarité. Cela a poussé Farlam à prendre une décision extraordinaire disant que l'enquête pouvait tout de même se poursuivre, l'absence de conseil juridique ne portant pas pour lui préjudice aux clients de Mpofu.

À Pretoria le 12 septembre, une marche de protestation devant le siège du gouvernement au Union Buildings, a été organisé par Citizens4Marikana et soutenue par les principaux partis d'opposition bourgeois.

Mais au même moment où la police témoignait devant l'enquête, les avocats de Zuma

et du ministre de la justice Jeff Radebe demandaient à la haute cour de North Gauteng à Pretoria de rejeter la demande d'aide juridictionnelle des mineurs.

L'avocat Marius Oosthuizen a donné une description claire du véritable caractère de la commission établie par ses clients. Il a présenté l'argument selon lequel le gouvernement n'était pas obligé d'accorder l'aide juridictionnelle puisque le président Zuma n'était pas lié par les conclusions de la commission d'enquête ou ses recommandations, étant donné que cette commission fonctionnait dans le cadre du pouvoir exécutif.

« Pour les demandeurs, c'est une simple comparaison entre "nous" les pauvres et "eux" les riches devant la Commission de Marikana, mais c'est trop simpliste », a-t-il déclaré, ajoutant, « leur propre perspective subjective et les tentatives évidentes de gagner la sympathie de la cour ne donnent pas accès à l'argent public, qui a été confié par la constitution aux détenteurs élus des hautes fonctions publiques. »

(Article original paru le 28 septembre 2013)

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