La guerre menée par la France en République centrafricaine intensifie la crise humanitaire

Vendredi 13 décembre, dans le contexte de l’intervention française en cours et d’une escalade de la violence dans le pays, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, s’est rendu en Centrafrique pour avoir des discussions avec les dirigeants intérimaires du pays. Il s’est entretenu avec des soldats français ainsi qu’avec le président de Centrafrique, Michel Djotodia, qui soutient la milice de la Séléka.

L’opération militaire française Sangaris a débuté après le vote, le 5 décembre par le Conseil de sécurité de l’ONU, d’une résolution parrainée par la France autorisant une intervention française et africaine soi-disant pour empêcher des crises humanitaires et arrêter les violences sectaires. Quelque 2.500 hommes de l’Union africaine (UA) opérant en tant que mandataires français ont été déployés – un nombre qui devrait passer à 6.000.

En parlant aux militaires français dans la capitale centrafricaine, Bangui, Le Drian a dit que « La spirale de l’affrontement s’[était] brutalement aggravée » et produisait « une crise humanitaire » et des risques « d’anarchie » dans la région si des groupes criminels et terroristes étaient attirés.

La déclaration de Le Drian était la reconnaissance tacite que la base de l’intervention française en Centrafrique est une escroquerie politique. Soi-disant lancée pour mettre un terme aux violences entre une majorité chrétienne et une minorité musulmane, la guerre menée par la France dans son ancienne colonie riche en ressources et stratégiquement située, est en train d’attiser des violences entre les milices chrétiennes et les forces musulmanes de la Séléka, qui est soutenue par Paris.

La visite de Le Drian a eu lieu suite à la visite du 10 décembre du président français François Hollande et la mort de deux soldats français le 9 décembre dans le contexte de lourds affrontements avec les milices à Bangui.

Le porte-parole de l’armée française, le colonel Gilles Jaron, a précisé que, lundi aux environs de minuit et précédant les opérations de désarmement, les deux soldats avaient fait partie d’un groupe d’inspection dans une zone située à l’est de l’aéroport de Bangui. Selon Jaron, les tireurs ont ouvert le feu sur la patrouille française qui répliqua. Les deux soldats étaient ensuite décédés à l’hôpital.

S’exprimant en Centrafrique, Hollande a affirmé que la politique de son gouvernement de désarmer les groupes en guerre et de restaurer la stabilité était essentielle pour éviter un plus grand bain de sang et dit que la mission de la France était dangereuse mais qu’« elle est nécessaire si on veut éviter qu’il se produise ici un carnage. »

En dissimulant les intérêts prédateurs de l’impérialisme français dans la région, Hollande a ajouté avec cynisme : « La France, ici en Centrafrique, ne recherche aucun intérêt pour elle-même… La France vient défendre la dignité humaine. »

Le commentaire de Hollande symbolise la propagande orwellienne de son parti, le PS (Parti socialiste). L’impérialisme français est au contraire – après être intervenu en Syrie pour soutenir des forces criminelles et terroristes liées à al Qaïda, et que Le Drian dit combattre présentement en Centrafrique – en train d’intervenir dans une ancienne colonie appauvrie où il a à son actif une longue histoire d’intrigues.

Cette histoire comprend le soutien français de la dictature de Jean-Bédel Bokassa, que l’impérialisme français a renversé en 1979 dans un coup d’Etat nommé opération Barracuda; la mise en place, avec l’opération Boali, de Bozizé, qu’elle a défendu en 2006 par des bombardements qui ciblaient les forces de Djotodia ; et enfin, le récent revirement de la France et son soutien aux forces de la Séléka.

Alors que Hollande tente de parer ses guerres du prétexte véreux des « droits humains, » d’autres représentants politiques de l’impérialisme français ne mâchent pas leurs mots quant aux intérêts stratégiques que Paris promeut. Christian Jacob, le président du groupe parlementaire de la droitière Union pour un Mouvement populaire (UMP) à l’Assemblée nationale, a dit mercredi dans un entretien radiophonique que l’opération militaire en Centrafrique était essentielle compte tenu de la position stratégique du pays au cœur de l’Afrique.

La crise humanitaire et les violences sectaires en train de dévaster la Centrafrique sont avant tout la conséquence de la poursuite sanglante par Paris de ses intérêts impérialistes dans son ancienne colonie et de son soutien en mars de l’éviction du président de la Centrafrique, François Bozizé par la Séléka. Paris vise à s’emparer du pays qui est stratégiquement situé au cœur du continent africain et à détruire l’influence exercée par la Chine à Bangui. La Chine a conclu, sous Bozizé, plusieurs accords clé avec la Centrafrique, des contrats pétroliers et une coopération militaire.

L’intervention directe de la France en Centrafrique a intensifié les violences. Selon des rapports de l’ONU, plus de 600 personnes ont été tuées au cours de la semaine passée et plus de 160.000 personnes ont fui leurs maisons, rien qu’à Bangui.

Le premier ministre centrafricain, Nicolas Tiangaye, a dit que les communautés religieuses qui avaient toujours vécu ensemble en parfaite harmonie étaient actuellement en train de se massacrer et a ajouté qu’il fallait y mettre fin le plus tôt possible.

Le porte-parole du Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR), Adrian Edwards, a dit : « De nombreuses informations font part d’attaques aveugles contre les civils, de recrutement d’enfants soldats, de violences sexuelles et à l’encontre des femmes, de pillage et de destruction de biens. » Il a ajouté que 160 personnes auraient également été tuées dans d’autres parties de la Centrafrique.

Des affrontements sectaires ont également été observés dans plusieurs villes, dont Bouca, Bossangoa et Bozoum, et 28 musulmans auraient été tués le 12 décembre dans le village de Bohong par des milices chrétiennes d’auto-défense, appelées anti-balaka.

Des contacts auraient débuté entre Djotodia et les milices « anti-balaka » dans un effort de négocier une certaine trêve. Djotodia a dit au micro de RFI qu’il était prêt à tendre la main aux forces chrétiennes rivales.

L’intervention de la France est appuyée par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. La Royal Air Force britannique a offert deux avions de transport C-17 pour aider au déploiement de troupes françaises et de véhicules blindés vers la Centrafrique.

Washington est en train d’envoyer dans l’Ouganda voisin deux avions de guerre et une équipe de commandement pour soutenir les opérations françaises en Centrafrique. Le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, a autorisé le transport aérien de troupes du Burundi en Centrafrique.

Le 9 décembre, un responsable américain a dit à Reuters que le Pentagone avait été saisi de demandes relatives à un soutien logistique pour le renforcement des troupes de la France et de l’UA. S’exprimant sous le couvert de l’anonymat, il a dit que le soutien militaire américain ressemblerait à l’assistance que le Pentagone avait fourni à la France durant sa guerre au Mali. Ceci incluait une assistance en matière de transport aérien et de partage de renseignement.

Le 15 décembre, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a dit que la France demanderait davantage l’aide des Etats membres de l’Union européenne (UE) pour l’aider à mener la guerre en Centrafrique. « C’est un vrai gros problème, » a dit Fabius au micro d’Europe1. « Demain, j’irai au Conseil des ministres des Affaires étrangères et je demanderai qu’il y ait un concours plus solide, plus fort, y compris sur le terrain. »

Lorsqu’il avait lancé y a une semaine, son intervention militaire en Centrafrique, le gouvernement Hollande avait affirmé qu’elle ne durerait qu’environ six mois. Les spécialistes soulignent toutefois qu’elle pourrait durer bien plus longtemps.

Roland Marchal, un spécialiste de l’Afrique au CNRS, a dit que c’était une illusion – comme c’était une illusion de déclarer que la guerre était finie au Mali, que les soldats français seraient rapidement rentrés chez eux… qu’il y avait plus de 2.000 soldats [encore au Mali] bien que François Hollande ait promis qu’un millier seulement y seraient d’ici la fin de l’année.

(Article original paru le 16 décembre 2013)

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