L’origine de la crise politique en Corée du Nord

Le procès sommaire et l’exécution le 12 décembre du numéro deux nord coréen, Jan Song-thaek, signale une profonde crise interne au sein du régime de Pyongyang. Depuis la mort du dirigeant Kim Jong-il il y a deux ans, son fils et successeur, Kim Jong-un a limogé une centaine des 218 hauts fonctionnaires du pays, dont tous ceux, sauf deux, qui avaient suivi le corbillard de son père.

L'existence d'une crise interne en Corée du nord est mise en évidence par la présumée «confession» de Jang où il dit avoir l’intention de prendre le pouvoir «lorsque l’économie aura fait faillite et que l’État sera sur le point de s’écrouler». Jang a été présenté comme le bouc émissaire pour une économie stagnante, vulnérable à des crises et qui est en train de générer de profondes tensions sociales et une instabilité au sein de l'État policier.

Quelles que soient les raisons immédiates des luttes intestines en cours, la principale responsabilité des troubles politiques incombe non pas à Pyongyang mais à Washington. Dans le cadre de son «pivot vers l’Asie» qui vise à saper la Chine, l’allié de la Corée du nord, le gouvernement Obama a intensifié le blocus américain prolongé contre le pays en faisant de Pyongyang une poudrière politique.

Durant plus de six décennies, Washington adopte une attitude d’hostilité sans retenue à l’égard de la Corée du Nord. De 1950 à 1953, l’impérialisme américain et ses alliés avaient mené une guerre dévastatrice pour soutenir le régime droitier sud-coréen de l’homme fort Syngman Rhee, mis en place par les États-Unis, une guerre qui a tué des millions de soldats et de civils en laissant la péninsule coréenne en ruines. Un armistice a mis fin aux combats mais un traité de paix ne fut jamais signé, ce qui signifie que les deux parties sont toujours en situation de guerre.

Pour les États-Unis, la cible de la guerre coréenne n'était pas simplement la Corée du nord, mais la Chine où le Kuomintang appuyé par les États-Unis fut renversé par la Révolution chinoise en 1949. Le commandant des forces menées par les États-Unis, le général Douglas MacArthur, avait préconisé le recours aux armes atomiques contre la Chine au moment où ses forces repoussaient les troupes américaines à l’approche de la frontière chinoise. Tout au long de la Guerre froide, l’armée américaine avait stationné des dizaines de milliers de soldats ainsi que des navires et des avions de guerre en Corée du sud, et elle continue de le faire à ce jour.

L’effondrement de l’Union soviétique en 1991 et la fin de la Guerre froide eurent pour conséquence d’intensifier la pression américaine sur la Corée du nord. Bien qu'ils aient maintenu des armes nucléaires tactiques en Corée du sud des décennies durant, les États-Unis se sont servis du prétexte des installations nucléaires limitées de la Corée du nord pour maintenir leurs bases militaires en Corée du sud et au Japon. Après que la Corée du nord se soit retirée du traité de non-prolifération nucléaire, le gouvernement Clinton a entraîné la péninsule au bord de la guerre en 1994 avant de se rétracter et de signer l’accord connu comme l’accord-cadre de dénucléarisation de la Corée du nord.

La difficile impasse et les tentatives de mise en oeuvre entreprises en faveur d’un rapprochement entre la Corée du nord et celle du sud sous la soi-disant «politique du rayon de soleil» (Sunshine policy) a rapidement tourné court avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement Bush. En 2002, Bush afficha sa volonté d’intensifier la confrontation avec la Corée du nord en l’accusant de faire partie de «l’axe du mal» aux côtés de l’Irak et de l’Iran. Dès le début, Bush avait explicitement dit ce qu’était la stratégie essentielle des États-Unis de paralyser économiquement le pays dans le but de produire une implosion politique à Pyongyang.

Alors que l’occupation menée par les États-Unis en Irak se transformait en bourbier militaire, Bush fut contraint de se tourner vers la Chine pour réduire les tensions à l’égard de la péninsule coréenne. Le gouvernement Bush participa aux pourparlers à six parrainés par Pékin mais, tout comme dans le cas de l’accord-cadre, il n’eut jamais la moindre intention de faire des concessions à Pyongyang.

L’arrêt de l’aide soviétique après 1991 rendit la Corée du nord dépendante de la Chine en la laissant dans une situation de crise économique. Comme dans le cas de tous les régimes staliniens de par le monde, Pyongyang a réagi en décidant de restaurer le capitalisme. Ses projets furent cependant sapés par le refus des États-Unis de lui permettre d’accéder à l’économie mondiale et aux investissements étrangers. Les essais nucléaires effectués par Pyongyang depuis 2006 sont une tentative désespérée de tirer le meilleur parti des négociations.

Le gouvernement Obama a accru la pression sur la Corée du nord alors qu'il change sa politique étrangère pour l'éloigner des guerres en Irak et en Afghanistan et la réorienter vers l’Asie. Le soi-disant «pivot» est une stratégie générale extrêmement rigide qui vise à miner diplomatiquement et à encercler militairement la Chine. À son arrivée au pouvoir, Obama n’avait nullement tenté de relancer les pourparlers à six mais avait au contraire accru systématiquement les tensions contre la péninsule coréenne – en utilisant les essais nucléaires et les tirs de roquettes effectués par la Corée du nord pour imposer de nouvelles sanctions et exercer des pressions sur la Chine pour en faire de même. Lorsque Pyongyang avait répliqué par des menaces exagérées mais néanmoins creuses aux récentes sanctions imposées en mars par l’ONU, les États-Unis ont envoyé de manière provocatrice au-dessus de la Corée du sud des bombardiers B-52 et B-2 capables de transporter des charges nucléaires, en profitant de l’occasion pour renforcer leurs systèmes de missiles anti-balistiques en Asie.

Tout comme le «pivot» d’Obama a envenimé les conflits territoriaux en mers de Chine méridionale et orientale, il a engendré une situation hautement instable sur la péninsule coréenne. Pékin a certes soutenu le régime de Pyongyang en tant qu’important butoir stratégique contre les forces américaines dans la région mais ne peut guère se permettre un soulèvement politique à sa frontière septentrionale. Depuis avril, la Chine fait pression sur la Corée du nord pour qu’elle fasse des concessions aux États-Unis. L’exécution de Jang, qui était largement considéré comme étant étroitement aligné sur Pékin, semble en être la réponse.

Sous une façade d'unité, le régime de la Corée du nord se trouve manifestement en situation de stress et de grande précarité. Un effondrement politique à Pyongyang soulèverait immédiatement le danger d’un conflit car les États-Unis et leurs alliés chercheraient à exploiter la crise en vue de mettre en place un régime plus aligné sur Washington – des décisions que la Chine tenterait très certainement de contrer.

La péninsule coréenne ne représente qu’un des dangereux points chauds dans la région indo-pacifique que l’impérialisme américain a attisé alors qu’il cherche à utiliser sa puissance militaire pour maintenir sa domination sur la région. La seule force sociale capable de mettre un terme au danger croissant d’une guerre catastrophique est la classe ouvrière internationale, par une lutte unifiée pour l’abolition du capitalisme et la restructuration de la société sur la base d’une économie socialiste planifiée à l’échelle mondiale.

(Article original paru le 23 décembre 2013)

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