L’opposition tunisienne saisit l’occasion du meurtre de Brahmi pour inciter à un coup d’Etat de style égyptien

La « gauche » bourgeoise et les partis de pseudo-gauche ont saisi l’occasion de l’assassinat jeudi du dirigeant de l’opposition, Mohamed Brahmi pour inciter à un coup d’Etat contre le gouvernement tunisien contrôlé par les islamistes, sur le modèle du coup militaire du 3 juillet mené contre le régime des Frères musulmans (FM) en Egypte.

Brahmi est mort devant son domicile à Tunis, capitale tunisienne, après avoir reçu onze balles tirées par des assaillants inconnus. Sa fille a assisté à son meurtre et a rapporté que deux meurtriers s’étaient enfuis sur une moto. Personne n’a revendiqué cet assassinat.

L’assassinat a suscité des protestations dans tout le pays contre le gouvernement impopulaire, mené par les islamistes, du parti Ennahda . Tous les vols depuis et vers la Tunisie ont été annulés.

Brahmi, âgé de 58 ans, était l’ancien secrétaire général du Mouvement populaire tunisien et membre de l’Assemblée nationale constituante. Il était connu pour ses critiques à l’encontre du parti Ennahda au pouvoir. Son parti avait aussi rejoint la coalition réunissant plusieurs partis de pseudo-gauche du Front populaire qui est dirigé par Hamma Hammami, dirigeant du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), devenu maintenant le Parti des Travailleurs tunisiens.

L’assassinat de Brahmi survient presque six mois après le meurtre similaire, le 6 février dernier, d’un autre dirigeant de l’opposition, Chokri Belaïd. Le meurtre de Belaïd avait provoqué des protestations et contraint le premier ministre Hamadi Jebali à démissionner après qu’il avait échoué à former un nouveau gouvernement. L’on ignore toujours qui a assassiné Belaïd bien qu’un groupe de salafistes lié à Ennahda ait été accusé d’en être responsable.

Des sources du ministère de l’Intérieur ont indiqué hier que la même arme avait été utilisée pour les meurtres de Brahmi et de Belaïd.

Aussitôt après que la nouvelle de l’assassinat de Brahmi s'est propagée, des protestations ont éclaté à Tunis et dans d’autres villes accusant Ennahda d’être derrière ce meurtre. Des milliers de personnes ont protesté devant le ministère de l’Intérieur à Tunis et devant l’hôpital d’Ariana où le corps de Brahmi avait été transporté. La foule scandait « A bas le régime des islamistes » en exigeant la démission du gouvernement.

Des manifestations similaires ont également éclaté dans d’autres villes, dont Sfax et Sidi Bouzid dans le Sud du pays, la ville natale défavorisée de Brahmi, d'où était parti le soulèvement tunisien de 2010-2011 contre l’ancien dictateur Ben Ali. A Sidi Bouzid, les manifestants ont mis le feu au siège local d’Ennahda.

Le premier ministre Ali Larayedh d’Ennahda a condamné l’assassinat et ajouté : « Nous sommes contre tous les appels à la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale constituante pour créer un vide [de pouvoir]. » Le dirigeant du parti Ennahda, Rached Ghannouchi, a dit que l’attaque perpétrée contre Brahmi visait à « stopper le processus démocratique en Tunisie et à tuer le seul modèle réussi dans la région, particulièrement après les violences en Egypte, en Syrie et en Libye. »

Les partis bourgeois tunisiens d’opposition et les groupes de pseudo-gauche ont réagi à l’assassinat de Brahmi en exigeant la démission du gouvernement. Le syndicat UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) a appelé à une grève générale d'une journée le 26 juillet.

Hier, plusieurs groupes et associations de pseudo-gauche ont annoncé la création d’un Front de Salut national visant à former une «plus haute autorité nationale pour le salut national » en vue de l’élaboration d’une nouvelle constitution. Parmi ces groupe on compte le Parti des Travailleurs de Hammami, le mouvement Ettakatol, le Parti socialiste et le Parti d’avant-garde arabe démocratique. Leur déclaration a aussi accusé Ennahda pour les assassinats de Belaïd et de Brahmi.

Avant même l’identification d’un suspect dans le meurtre de Brahmi, l’opposition laïque tunisienne, comprenant des groupes de pseudo-gauche comme le Front populaire, a saisi l’occasion du meurtre pour réclamer la dissolution de l’Assemblée nationale constituante (ANC) conduite par les islamistes ainsi que le renversement d’Ennahda. Suite au meurtre, un certain nombre de députés ont démissionné de l’ANC.

Hamma Hammami a dit, « J’appelle les Tunisiens de toutes les régions à la désobéissance civile pacifique jusqu’à la chute de la coalition au pouvoir et à dissolution de l’Assemblée nationale constituante et à la formation d’un gouvernement de salut national. »

Sur sa page Facebook, le Front populaire a annoncé un sit-in devant le siège de l’Assemblée nationale constituante au Bardo pour rassembler des gens et exiger la dissolution de l’ANC.

Le meurtre de Brahmi survient à un moment explosif, après un coup d’Etat militaire qui a renversé le régime des FM du président Mohamed Morsi en Egypte. Un mouvement tunisien Tamarod (« rebelle »), soutenu par les partis de pseudo-gauche et organisé selon le modèle du mouvement égyptien Tamarod qui a fourni un appui politique au coup d’Etat égyptien, réclame le renversement d’Ennahda.

Bien que le coup d’Etat militaire égyptien, appuyé par les Etats-Unis, ait ciblé Morsi, son objectif ultime est la répression de l’opposition de la classe ouvrière contre les mesures d’austérité, dont la suppression des subventions pour les produits alimentaires desquelles dépendent des millions d’Egyptiens, et l’imposition d’un régime dictatorial esquissé dans une « feuille de route » de l’armée.

Alors que le mécontentement populaire croît contre Ennahda, qui a dernièrement conclu un accord sur un prêt de 1,8 milliards de dollars avec le FMI, les forces d’opposition de pseudo-gauche redoutent une opposition sociale de la classe ouvrière. Selon le sondage mené par le Pew Research Center’s Global Attitudes Project, environ 78 pour cent des Tunisiens sont insatisfaits de la direction générale que prend leur pays et 83 pour cent pensent que la situation économique actuelle est mauvaise.

Le 7 juillet, quatre jours après le coup d’Etat en Egypte, Hamma Hammani appelait à un développement identique en Tunisie : « La répétition du scénario égyptien est fort probable. » Annonçant que le Front populaire contribuerait à mettre en place une « feuille de route » pour « corriger le processus de la révolution, » a-t-il dit. « La dissolution de l’Assemblée nationale constituante et du gouvernement provisoire ne créeront aucun vide constitutionnel. »

L’appel de Hammami à reproduire le coup d’Etat égyptien en Tunisie montre clairement le caractère réactionnaire du programme des forces petites bourgeoises tunisiennes de « gauche ». Depuis le coup d’Etat en Egypte, l’armée a tué des centaines de manifestants et est en train de planifier des mesures d’austérité drastiques, telle la suppression des subventions pour les produits alimentaires et l’énergie dont dépendent des masses de gens, dans le but d’équilibrer le budget.

Des analystes financiers signalent la possibilité d’une guerre civile en Tunisie. Anna Boyd, chef analyste sur le Moyen-Orient chez HIS (sur les risques par pays) basé à Londres, a dit : « Il est probable que nous assisterons à des protestations de masse et à des contre-protestations entre les laïcs et les islamistes, ce qui implique des combats dans le centre de Tunis et d’autres centres urbains. »

Depuis le soulèvement de masse contre le régime de Ben Ali après l’immolation par le feu du travailleur appauvri Mohamed Bouazizi, les groupes tunisiens de pseudo-gauche, dont le PCOT, jouent un rôle réactionnaire en subordonnant la classe ouvrière au régime bourgeois. Ils ont soutenu l’Assemblée nationale constituante qui était chargée d’élaborer une constitution pour le régime bourgeois, ouvrant ainsi la voie à la victoire d’Ennahda lors des élections d’octobre 2011.

Les forces de pseudo-gauche cherchent maintenant à contenir l’opposition avec l'aide de l’UGTT, pilier de longue date de la dictature de Ben Ali. Alors que tout coup d’Etat viserait tout d’abord Ennahda, son but final serait d’écraser l’opposition de la classe ouvrière afin d’appliquer l’austérité au nom de la classe dirigeante tunisienne et de ses partisans impérialistes.

(Article original paru le 27 juillet 2013)

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