Canada: L’opposition et les médias complices de la dissimulation de l’espionnage étatique

Le Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC), l’équivalent canadien de la National Security Agency (NSA) des États-Unis, espionne les Canadiens. Depuis au moins 2005, l’organisme extrait les métadonnées de leurs communications téléphoniques et électroniques, y compris des appels de téléphones cellulaires, des courriels et des messages texte.

Cette violation flagrante des libertés civiles des Canadiens a été révélée dans un rapport du Globe and Mail publié il y a plus de deux mois. Pourtant, peu de Canadiens savent qu’ils sont la cible de l’espionnage du CSTC, sans parler des décennies de partenariat étroit entre l’appareil de sécurité national du Canada et la NSA.

La raison en est que le gouvernement conservateur du Canada et l’appareil de sécurité national dissimulé du pays ont monté une campagne de désinformation concertée. Mais aussi parce que les partis d’opposition, à commencer par l’opposition officielle formée par le NPD, de même que les médias de la grande entreprise, ont encouragé cette dissimulation, refusant de contester les mensonges officiels, demi-vérités et faux-fuyants.

Immédiatement après la publication du rapport du Globe and Mail, le NPD, par la voix de plusieurs de ses députés d’arrière-ban, a lancé un timide appel pour plus de contrôle parlementaire sur le CSTC. Mais au bout de quelques jours, les sociaux-démocrates du Canada ont abandonné toute discussion sur le CSTC et ses activités, préférant se concentrer sur l’attisement de la colère du public dans un autre scandale politique à propos de réclamations frauduleuses d’allocations pour hébergement et de frais faites par un trio de sénateurs conservateurs. En effet, hormis un laconique communiqué de presse de six phrases publié sur son site officiel la fin de semaine dernière, le NPD a été entièrement muet quant à la possibilité que le CSTC puisse violer les droits des Canadiens.

Les partis d’opposition et les médias de la grande entreprise n’ont toutefois pas réussi à réfuter même les mensonges officiels les plus flagrants. Les porte-paroles du gouvernement, y compris les ministres de la Défense responsables de superviser les opérations du CSTC, ont rejeté toute suggestion que le CSTC puisse espionner les Canadiens, affirmant à maintes reprises que l’agence ne s’intéresse qu’aux «menaces étrangères». Pourtant, la Loi antiterroriste de 2002 qui accroit les pouvoirs du CSTC et ouvre la voie à de vastes augmentations de ses budgets et de ses capacités stipule que l’une des trois fonctions de base du CSTC est de «fournir une assistance technique et opérationnelle aux agences d’application de la loi et de sécurité fédérales».

La relation de travail entre le CSTC et la principale agence canadienne d’espionnage, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), est tellement importante que le gouvernement est en train de construire un nouveau siège social au CSTC, à un coût de près de 1 milliard de dollars, tout juste à côté de celui du SCRS. Une passerelle reliera les deux bâtiments afin que le personnel du CSTC et du SCRS puissent collaborer plus facilement dans leur travail au quotidien.

L’opposition et les médias de la grande entreprise n’ont pas alerté les Canadiens à propos de l’importance de la révélation que le CSTC fouille dans les métadonnées de leurs communications et n’ont pas exposé les arguments juridiques fallacieux du gouvernement et de l’appareil de sécurité national utilisés pour contourner l’interdiction d’espionner sur les communications électroniques des Canadiens.

Le CSTC, le SCRS et le gouvernement affirment tous que les métadonnées ne constituent pas des «communications», mais seulement «l’enveloppe» les accompagnant, et que partant, elles ne sont donc pas soumises à l’interdiction constitutionnelle pour l’État d’effectuer de la surveillance des communications sans mandat.

Ce faisant, ils se sont illégalement arrogé le droit de fouiller systématiquement à travers les métadonnées produites par chaque appel téléphonique, courriel, achat en ligne ou visite de site sur l’Internet.

Grâce à une telle extraction de métadonnées, il est possible pour l’État de développer rapidement le portrait détaillé d’un individu – comprenant son lieu de travail, ses opinions politiques, les personnes avec qui il s’associe et ses allées et venues – ou des membres et sympathisants de tout groupe considéré par l’État comme étant une menace potentielle à la sécurité nationale.

De par leur silence apparent, les médias et l’opposition secondent ainsi de façon efficace la déclaration du gouvernement selon laquelle le CSTC n’a pas accès aux renseignements obtenus par la NSA au moyen de Prism et d’autres programmes donnant accès par la porte d’en arrière aux opérations des plus importantes entreprises informatiques et de télécommunications des États-Unis, et qui lui permettent d’ espionner une grande partie des communications dans le monde. Pourtant, le CSTC et la NSA ont un partenariat de travail remontant à plus de six décennies – une relation les impliquant avec les agences de renseignements sur les communications de Grande-Bretagne, d’Australie et de Nouvelle-Zélande, dans une division des responsabilités en matière d’espionnage des télécommunications du monde entier.

Quelles que soient les modalités précises de la collaboration entre l’appareil de sécurité national du Canada et la NSA, il est incontestable que l’agence américaine partage des informations sur les communications des Canadiens avec l’appareil de sécurité national canadien. Selon Wayne Easter, solliciteur général du Canada et ministre responsable du SCRS et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en 2002-2003, il était «courant» pour la NSA «de transmettre des informations sur les Canadiens».

Les médias et l’opposition ont également refusé d’alerter les Canadiens à propos de l’importance du rapport du Manchester Guardian, un rapport basé sur des documents fournis par l’informateur Edward Snowden, et selon lequel le CSTC a aidé la NSA et le GCHQ (l’organisme britannique de renseignement d’origine électromagnétique), lors de l’espionnage effectué dans le cadre du sommet du G-20 à Londres en 2009. Cette révélation est très importante pour deux raisons. D’abord, elle souligne combien étroite est la relation entre le CSTC et la NSA, puisque les opérations lors du G-20 ont impliqué l’espionnage de pays comme la France et l’Allemagne, ostensiblement parmi les partenaires les plus proches des États-Unis et du Canada. Ensuite parce qu’elle révèle le mensonge que le gouvernement et les médias ont cherché à diffuser dans la population canadienne, à savoir qu’à l’ère de l’après-guerre froide, la raison d’être du CSTC est de lutter contre le terrorisme.

Une autre contribution essentielle de l’opposition et des médias de la grande entreprise en matière de dissimulation des activités d’espionnage du CSTC est leur réaction face aux révélations de Snowden que la NSA espionne illégalement les Américains et des gens de partout dans le monde. L’opposition a maintenu un silence assidu suite aux révélations de Snowden. Les médias de la grande entreprise, qui ne pouvaient faire autrement qu’en parler, se sont empressés d’informer leurs lecteurs que, même si la NSA était peut-être allée trop loin dans sa surveillance sur le plan intérieur, au Canada, il n’y avait pas de surveillance étatique comparable. Invariablement, ces critiques tièdes et malhonnêtes ont été couplées avec un soutien aux plans de l’administration Obama de poursuivre Snowden pour le crime d’avoir alerté les gens à propos de l’échafaudage d’un État policier par le gouvernement américain.

La semaine dernière, les médias et l’opposition ont été brièvement obligés de sortir de leur silence sur les activités du CSTC après que le gouvernement ait déposé le rapport annuel du commissaire du CSTC, Robert Décary.

Le commissaire – dont la mission officielle est de s’assurer que le CSTC n’outrepasse pas son autorité et ne viole pas les droits des Canadiens – a joué un rôle important dans la dissimulation des activités d’espionnage du CSTC. Main dans la main avec le gouvernement et le CSTC, lui et son bureau ont tenté de diminuer l’importance des questions soulevées par son prédécesseur à propos du fait que par le biais du programme d’extraction de métadonnées du CSTC, l’appareil de sécurité national du Canada a cherché à contourner les interdictions légales d’espionner les Canadiens.

Le rapport Décary pour l’exercice financier 2012-2013 n’est qu’un exercice de désinformation de plus. Il y fait l’éloge de l’engagement du CSTC à respecter les droits des Canadiens, ajoutant que les chefs du CSTC avec qui il a travaillé «n’ont ménagé aucun effort pour inculquer au sein du CSTC une culture du respect de la loi et de la vie privée des Canadiens».

Bien qu’il loue à maintes reprises le CSTC, le rapport Décary dit néanmoins qu’«un petit nombre de dossiers [qu’il a examinés] suggère que certaines activités pourraient avoir été menées contre des Canadiens, contrairement à la loi». Décary déclare avoir ensuite procédé à un «examen interne approfondi et de longue haleine», mais qu’en fin de compte, il était «incapable de parvenir à une conclusion définitive» quant à savoir si le CSTC avait violé la loi en raison de la mauvaise tenue des livres par l’agence.

Décary ne fournit pas le moindre détail que ce soit au sujet de cette possible violation des droits, mais le CSTC s’est précipité pour informer le public qu’il s’agissait de mesures prises en 2002, soulignant du coup que le commissaire n’est pas parvenu à la conclusion que l’agence avait violé les droits des Canadiens.

La demande de Décary a toutes les caractéristiques d’une divulgation de diversion ou préventive. C’est une admission limitée de la possibilité que des actes répréhensibles puissent avoir été commis afin de tenter de rétablir la confiance du public dans l’ appareil de sécurité national et d’apporter de la crédibilité à la déclaration faite à la fin de son rapport : «Je peux dire avec fierté et confiance que le CSTC est bien surveillé.»

En réponse au rapport Décary, les politiciens de l’opposition ont réitéré leurs appels à une plus grande transparence dans les activités du CSTC, tout en omettant de soulever la moindre question essentielle quant au partenariat entre le CSTC et la NSA et l’extraction de métadonnées. En moins d’une journée, ils avaient de nouveau laissé tomber la question.

Formant le gouvernement du Canada en 1994 et en 2006, les libéraux ont supervisé une vaste expansion des pouvoirs répressifs de l’État, y compris la publication par le ministre de la Défense Bill Graham d’une directive ministérielle en 2005 autorisant l’extraction des métadonnées des communications électroniques des Canadiens.

Plus que jamais, le rôle du NPD dans la dissimulation des activités du CSTC est directement lié à ses efforts pour convaincre la classe dirigeante canadienne qu’elle peut lui faire confiance pour remplacer les libéraux en tant que parti gouvernemental supposément «à gauche». Le NPD comprend également que toute remise en question sérieuse du rôle du CSTC minerait ses efforts pour courtiser l’administration Obama.

Plus fondamentalement encore, la complicité du NPD témoigne de l’effondrement au sein de la classe dirigeante et de son establishment politique de tout engagement important en matière de défense des droits démocratiques.

Dans des conditions où la société est de plus en plus socialement polarisée et où l’élite dirigeante cherche à s’extirper de la plus profonde crise du capitalisme depuis la Grande Dépression en détruisant les services publics, les services sociaux et les droits des travailleurs, la bourgeoisie se montre de plus en plus insensible et opposée aux droits démocratiques.

Ce n’est que par le développement d’un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière dirigée contre l’ordre social capitaliste que les droits démocratiques fondamentaux peuvent être défendus.

(Article original paru le 28 août 2013)

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