La conférence sur la Syrie à Paris: les Etats-Unis et les alliés européens reprennent les efforts pour un changement de régime

Des diplomates américains et européens de haut rang se sont retrouvés dimanche à Paris pour une réunion deux jours du groupe des soi-disant Amis de la Syrie afin de reprendre les efforts en faveur d’un changement de régime à Damas.

Les entretiens se sont déroulés dans le contexte de rapports disant que les responsables américains étaient en train de planifier de nouveaux envois de fourniture aux forces de l’opposition islamiste syrienne. Quatre mois seulement après avoir failli entrer en guerre contre la Syrie et ses alliés au Liban et en Iran pour soutenir l’opposition syrienne liée à al Qaïda, les puissances de l’OTAN sont une nouvelle fois en train d’attiser des conflits sectaires qui embrasent la région.

La réunion dimanche à Paris s’est concentrée à faire pression sur les différentes milices islamistes au sein de l’opposition syrienne, appuyée par les Etats-Unis, pour qu’elles participent aux pourparlers « Genève-2 » du 22 janvier. Les pourparlers de Genève visent à négocier un accord transitionnel pour un partage de pouvoir des milices d'opposition avec le régime syrien, ouvrant ainsi la voie au départ du président syrien Bachar al-Assad.

Les pays du groupe Amis de la Syrie – les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Turquie, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Qatar, l’Egypte et la Jordanie – ont publié une déclaration après la réunion de dimanche. Estimant qu’« Assad et ses proches collaborateurs [ayant] du sang sur les mains n’auront aucun rôle à jouer en Syrie, » le communiqué destiné à l’opposition syrienne déclare : « Nous les invitons à former, dès que possible, une délégation des forces de l’opposition qui participera au processus politique. »

Le rôle de l’opposition en tant qu’instrument choisi pour le changement de régime appuyé par les Etats-Unis souligne le rôle réactionnaire joué par les groupes de pseudo-gauche tels l’International Socialist Organization (ISO) aux Etats-Unis, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) en France et le groupe Marx21 en Allemagne qui ont salué l’opposition syrienne comme menant à bien une « révolution. »

Après la réunion avec le dirigeant de la Coalition nationale syrienne (SNC), Ahmad Jarba, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a déclaré : « A titre personnel, je suis confiant dans le fait que l’opposition syrienne viendra à Genève. La réunion d’aujourd’hui a été très constructive [avec Jarba]. Je suis confiant que lui et les autres seront à Genève. Je compte sur les deux parties pour venir ensemble. »

Il a ajouté, « En ce qui concerne le régime d'Assad, on nous a dit dès le premier jour qu’ils seraient prêts à négocier. »

Vu que Jarba et la SNC qui est appuyée par les impérialistes n’entretiennent que des liens fragiles avec les groupes de l’opposition islamiste en Syrie et qui se sont farouchement opposés à un accord négocié, il n’y a aucune certitude que Jarba réussisse à convaincre l’opposition de rejoindre les pourparlers. La correspondante d’Al Jazeera à Paris, Jacky Rowland, a remarqué que les responsables de l’opposition syrienne n’avaient fait aucune déclaration soutenant les affirmations de Kerry et disant vouloir prendre part aux entretiens. « Il n’est absolument pas certain, » écrit Rowland, « que la Coalition soit prête à dire ‘oui’ à cette invitation. »

Jarba a toutefois indiqué qu’il était satisfait du ton de la discussion et de l’attention renouvelée accordée au changement de régime. « Nous sommes tous d’accord qu’il n’y a pas d’avenir pour Bachar al-Assad et pour sa famille en Syrie. Son départ est inévitable, » a-t-il dit.

Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a dit « C’est le régime de Bachar al-Assad qui nourrit le terrorisme. Nous devons mettre fin à ce régime. »

De telles déclarations émanant de Fabius sont une tentative cynique de couvrir les mesures politiquement criminelles prises par les principales puissances impérialistes qui attisent délibérément une guerre civile sectaire en Syrie dans laquelle l’OTAN et les émirats du golfe persique comptent sur des organisations terroristes sunnites islamistes liées à al Qaïda. Après avoir failli entrer en guerre pour sauver ces forces de la défaite en septembre dernier, les Etats-Unis et leurs co-instigateurs ont décidé de réorganiser l’opposition liée à al Qaïda de façon à l’aligner plus directement sur la politique étrangère américaine.

Des combats ont éclaté entre des factions rivales de l’opposition islamiste près des villes au nord d’Alep, d’Idlib et de Raqqa. L’Observatoire des droits de l’homme (OSDH) basé à Londres et proche de l’opposition syrienne a rapporté que les combats ont coûté la vie à 697 personnes, y compris une centaine de civils dont 21 ont été exécutés.

Il semblerait que les combats ont lieu entre des factions islamistes soutenues par les Etats-Unis et l’Etat islamique en Irak et al Sham (ISIS) qui est tombé en disgrâce auprès de Washington, tout spécialement après avoir rejoint un soulèvement sunnite contre le régime du premier ministre Nouri al-Malaki qui est soutenu par les Etats-Unis dans l'Irak voisin.

Ces combats ont jeté les bases pour que Washington reprenne son aide directe à l’opposition syrienne. Les Etats-Unis ont annoncé le 11 décembre avoir suspendu leurs expéditions d’aide officielle effectuées parallèlement à des livraisons secrètes d’armes supervisées par la CIA après qu’il est ressorti que l’aide américaine pour l’Armée syrienne libre (ASL) d'opposition était allée à des milices liées à al Qaïda, se nommant Front islamique. Suite aux attaques du Front contre des forces d’ISIS, Washington se prépare à présent à reprendre les livraisons à l’ASL.

Comme un haut responsable du gouvernement l’a dit au New York Times, Washington arme l’ASL alors même « qu’il n’est pas possible de dire à 100 pour cent qu’ils ne vont pas finir entre les mains du Front islamique. »

Alors que les Etats-Unis présentent leurs actions comme faisant parti d’un effort pour limiter l’influence d’al Qaïda au sein de l’opposition appuyée par les Etats-Unis, il semble que les principaux bénéficiaires seront les rivaux d’ISIS, le Front islamique et le Front Al-Nousra. Al-Nousra a lui-même proclamé ouvertement sa loyauté au dirigeant d’al Qaïda, Ayman al-Zawahiri.

Constatant que l’ASL ne profiterait pas de la reprise de l’aide américaine autant qu’Al-Nousra, le Nouvel Observateur cite Romain Caillet, chercheur à l’Institut Français de Proche-Orient de Beyrouth, qui a dit : « Al Nosra joue un jeu trouble : ils se sont interposés, ont pris momentanément les QG mais, majoritairement, sans violence, et attendent de voir comment ca tourne pour savoir s'ils les conservent ou les rendent. Beaucoup de combattants ont d'ores et déjà prêté allégeance a Jabat al-Nosra. »

Caillet a ajouté, « Et si vraiment l'EIIL venait a disparaître en Syrie, tous les combattants étrangers qui ne sont pas morts, emprisonnés, et qui n'ont pas fui le pays passeront a Jabat al-Nosra, ne serait-ce que pour protéger leur famille car beaucoup sont venus avec femmes et enfants. »

La stratégie de l’impérialisme américain de susciter un changement de régime de par le Moyen-Orient en manigançant des alliances avec des forces islamistes sunnites, et qu’il a entamé après que la classe ouvrière a renversé en 2011 le dictateur égyptien, Hosni Moubarak, a dévasté la région. Après avoir mis en lambeaux la Syrie, elle menace de plonger tout le Moyen-Orient dans une guerre généralisée.

Les combats entre le régime syrien et l’opposition soutenue par les Etats-Unis a dévasté la Syrie et la région, contraignant 2,3 millions de gens à se réfugier dans des camps situés en dehors de la Syrie et en déplaçant sur le plan intérieur quelque 6,5 millions de personnes. Au total, ceci représente plus d’un tiers de la population syrienne qui compte 22,4 millions d’habitants.

Parlant de la propagation de la catastrophe sociale en Syrie, la secrétaire générale de l’ONU aux Affaires humanitaires, la baronne Valerie Amos a dit à la BBC : « Les malades et les blessés ne sont pas en mesure de partir, nous n’avons pas pu faire entrer des vivres. On signale que des gens souffrent de la faim, y compris dans le camp de réfugiés palestiniens d’Al Yarmouk qui est proche du centre de Damas. »

Les combats continuent également à s’intensifier en Irak, notamment dans les régions majoritairement sunnites à l’ouest de l’Irak, près de la frontière avec la Syrie, et des responsables américains sont en train d’envisager une nouvelle invasion du pays qui a déjà été dévasté lors de l’invasion de 2003. Les combats en cours, a observé US Today sont « en train de soulever la possibilité d’une guerre majeure au Moyen-Orient qui résulterait en un nombre incalculable de morts, des chocs pétroliers à échelle mondiale et finalement une intervention militaire américaine.

Hier, 22 personnes ont été tuées et plus de 80 autres blessées dans une série d’attentats à la voiture piégée et de fusillades à Bagdad et à Tuz Khurmato, dans la province de Salaheddin dans le nord de l’Irak.

Le régime irakien est en train de rassembler ses forces hors de Fallouja où les forces islamistes sunnites ont pris le contrôle de la ville en s’affirmant contre le gouvernement Maliki au secours duquel le gouvernement Obama s’est empressé de faire parvenir des équipements militaires et de l’aide.

L’ancien officier de renseignement de l’armée américaine, Jessica Lewis, a dit à l’AFP, « Les Marines américains avaient eu des difficultés en 2004 pour prendre d’assaut Fallouja. L’armée irakienne n’est pas préparée à soutenir une lutte comparable. » Dans le cas d’un assaut, a-t-elle ajouté, « Les forces de sécurité irakiennes vont très certainement réduire à néant Fallouja par l’usage excessif de l’artillerie et d’armes guidées en vue de supprimer la menace. »

(Article original paru le 13 janvier 2014)

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