Algérie: Bouteflika remporte un quatrième mandat de président

Le président algérien Abdelaziz Bouteflika du Front de libération nationale (FLN) a proclamé sa victoire aux élections présidentielles du jeudi 17 avril, en remportant, fait sans précédent, un quatrième mandat consécutif.

Selon les résultats officiels, Bouteflika, vieil homme gravement malade de 77 ans, a obtenu 81,53 pour cent des voix et son équipe a annoncé sa victoire avant même la publication des résultats officiels. Le second dans la course et principal rival de Bouteflika, Ali Benflis, 70 ans, dirigeant de longue date du FLN et ancien premier ministre sous Bouteflika et qui se présente actuellement comme un indépendant, a recueilli 12,18 pour cent des voix. Les autres candidats se sont partagé les 6,29 pour cent restant des suffrages exprimés.

Les élections, au cours desquelles Bouteflika a affronté une série de candidats de l’opposition qui sont étroitement associés à différentes faction du régime algérien, attestent du caractère sclérotique du système politique algérien. Le taux de participation au vote a été de 51,70 pour cent, soit un fort recul par rapport à celui de 74,11 pour cent établi lors des élections précédentes.

Tant pour ce qui est des résultats prévisible que des accusations symboliques de fraude, tout aussi prévisibles, brandies par les candidats de l’« opposition », les élections se sont déroulées comme sur des roulettes. Elles ont été totalement imperméables aux tensions de classe grandissantes qui règnent dans le pays et à l’escalade des guerres impérialistes à ses frontières.

Rendant compte des élections à partir de la France, ancienne puissance coloniale de l’Algérie, le quotidien Le Monde a concentré ses accusations de fraude électorale sur des allégations selon lesquelles les chiffres du taux de participation à l’élection dans le Sud agité de l’Algérie, allant de 82 pour cent à Relizane à 55,3 pour cent à Ghardaïa, étaient largement gonflés. Le fait que Bouteflika ait remporté haut la main ces circonscriptions alors que ses représentants étaient chahutés dans les réunions électorales qui s'étaient tenues dans la région, ont aussi suscité des soupçons.

Ali Benflis, largement considéré être le candidat soutenu par le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), services spéciaux de l’armée, a qualifié les élections de « répartition administrative de suffrages entre les candidats. » Il a ajouté, « Mon échec a été préparé, planifié et organisé par une coalition qui porte trois noms : la fraude, l’argent douteux et certains relais médiatiques inféodés aux puissances détentrices de cet argent douteux. »

Quant à Bouteflika, il n’a pas même participé à sa propre campagne de réélection. Il y a seulement trois mois, il était hospitalisé une fois de plus en France, après avoir déjà passé l’année dernière 80 jours dans des hôpitaux français suite à une attaque cérébrale qui l’avait cloué au lit. Depuis lors, il n’est apparu qu’une seule fois en public pour soumettre sa candidature, en se présentant en fauteuil roulant et en ne parlant qu’à voix basse. Il avait prononcé son dernier discours public en mai 2012.

Le fait que les différentes factions du régime algérien n'aient réussi à se mettre d'accord que pour remettre au pouvoir un tel personnage témoigne de la crise profonde à laquelle est confrontée l’élite dirigeante.

Trois des quatre candidats restant – Belaïd Abdelaziz, Moussa Touati et Ali Fawzi Rebaïne – s’étaient portés candidats pour des partis satellites nationalistes bourgeois regroupés autour du FLN. La quatrième candidate, Louisa Hanoune du Parti des Travailleurs (PT), organisation liée au Parti ouvrier indépendant (le POI français, l’ancien PT de Pierre Lambert). Hanoune, qui est une composante de la politique algérienne, sert de pilier et de défenseur du régime de Bouteflika

Dans la région de la Kabylie où se concentre la minorité ethnique berbère, le Front des Forces socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ont boycotté les élections par crainte d’être complètement discrédités aux yeux de la population. Ils ont publié une déclaration disant qu’à leur avis, la participation au vote dans les élections n’avait atteint que 20 pour cent.

Quand des membres du PT ont fait campagne et distribué des tracts en arabe près de Tizi Ouzou, l’une des principales villes de Kabylie, le journal francophone d’Algérie El Watan a relevé des réactions : « Ah, c’est pour Louisa, mais je ne lis pas l’arabe, » « Vous crédibilisez ces élections en y participant, » et enfin, « Depuis 1962, c’est tout le temps la fraude. On ne vote pas. Ce n’est qu’une mascarade qui se répète. »

Ces remarques donnent une idée du discrédit qui pèse sur le régime FLN, non seulement en Kabylie mais partout en Algérie. Plus d’un demi-siècle après l’indépendance, le régime bourgeois algérien s’est avéré incapable de bâtir un régime démocratique, de résoudre les tensions ethniques dans le pays, d’apporter la prospérité à la population ou de mettre fin à l’intensification de l’intervention de l’impérialisme. Ces tâches incombent à la classe ouvrière dans une lutte pour le socialisme et contre l’impérialisme et le régime algérien en faillite.

Le régime et ses alliés impérialistes suivent de près le mécontentement de la classe ouvrière algérienne. Avec 70 pour cent de la population algérienne ayant moins de 30 ans, ces forces sont tout particulièrement préoccupées par les implications du chômage des jeunes.

L’HIS, société d’analyse du risque politique, a souligné les craintes de l’élite dirigeante face aux protestations de jeunes chômeurs et de travailleurs de la compagnie pétrolière et gazière nationale Sonatrach, et aux appels en faveur de réformes constitutionnelles émanant des cercles dirigeants. Elle a écrit : « Le fait que de telles questions soient une fois de plus discutées ouvertement après une interruption depuis 2011, et qu’un nombre de figures reconnues et respectées s’interrogent publiquement sur la capacité de Bouteflika à diriger le pays, montre que de grands risques de protestation et d’instabilité persisteront même si Bouteflika a réussi à se faire réélire. »

L’« interruption » depuis 2011 du débat public sur les questions politiques reflète la terreur qui s’était emparée de l’ensemble de l’élite dirigeante algérienne face aux soulèvements de la classe ouvrière qui s'étaient produits cette même année en Tunisie et en Egypte. Alors que des protestations initiales éclataient en Tunisie après la mort de Mohamed Bouazizi, des protestations de masse secouaient l’Algérie au sujet de projets gouvernementaux de réduire considérablement les subventions aux produits de base et à l’énergie, ce qui aurait provoqué du jour au lendemain une flambée des prix de l’ordre de 30 pour cent.

Le régime du FLN, qui est maintenant au pouvoir depuis 52 ans, depuis que l’Algérie a réussi à vaincre l’impérialisme français dans la guerre d’indépendance, n’avait réussi à se maintenir au pouvoir à l’époque qu’en annulant ces projets de réductions de subvention et en levant officiellement l’état d’urgence qui avait été mis en place il y a 19 ans. Mais depuis lors, le DRS et les policiers anti-émeute travaillent de façon intensive pour contrôler et disperser toute protestation en formation.

Le régime algérien s’est aussi intégré de plus en plus profondément dans les guerres réactionnaires menées par l’impérialisme français et américain et leurs alliés de l’OTAN dans la région. Son envoyé spécial de l’ONU, Lakhdar Brahimi, qui faisait également fonction d’envoyé de l’ONU en Irak après l’invasion américaine de 2003, est devenu l’envoyé spécial en Syrie, fournissant ainsi un mince vernis diplomatique à la guerre impérialiste par procuration menée contre ce pays.

Le régime algérien est aussi complice de la guerre que Paris mène au Mali, voisin de l'Algérie au Sud, pour avoir largement ouvert son espace aérien aux avions de combat venant de France pour bombarder des cibles au Mali.

La complicité de l’Algérie dans l’offensive impérialiste occidentale pour la recolonisation de l’Afrique et du Moyen-Orient souligne le rôle criminel joué par le régime et le gouffre de classe qui le sépare du prolétariat.

Les remèdes qui sont proposés par les factions dissidentes du régime sont des palliatifs inefficaces qui se distinguent avant tout par leur souhait de laisser en l'état la collaboration qui existe entre l’armée et le FLN et qui ont instigué tous deux d’innombrables actes de répression contre les travailleurs.

C’est ainsi que Mouloud Hamrouche, ancien premier ministre FLN entre 1989 et 1991, a appelé à boycotter les élections. « La crise dépasse cette élection… qui ne sert à rien, » a-t-il dit. « Mon sentiment est que ce régime n’est pas bon pour l’Algérie. »

Les appels d’Hamrouche étaient toutefois fondés sur des appels explicites lancés à l’armée pour obtenir son soutien. « Ce régime s’est effrité et va tomber…je veux le faire tomber dans le calme et non dans une vague de violence, » a-t-il ajouté en soulignant qu’il « n’y a aucune chance d’élaborer la démocratie sans l’aval de l’armée. »

Niant l’évidence, il a ajouté : « Je ne réclame pas un coup d'Etat. Je n’appelle pas l’armée à empêcher Bouteflika de se représenter. Je l’appelle à sauver l’Algérie de l’impasse. »

(Article original paru le 23 avril 2014)

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