Les élections québécoises et la débâcle du PQ

Après à peine 18 mois dans l'opposition, le Parti libéral du Québec est revenu au pouvoir avec une majorité parlementaire en profitant de la désaffection populaire provoquée par les mesures d'austérité du gouvernement minoritaire du Parti Québécois (PQ) de Pauline Marois et son programme identitaire antidémocratique.

Même les grands médias canadiens qui ont fortement appuyé une victoire libérale par opposition à l'indépendantisme du PQ admettent que les résultats des élections provinciales de lundi dernier représentaient avant tout un rejet du PQ et non pas un appui aux libéraux.

Marois avait déclenché les élections misant sur une victoire majoritaire basée sur une campagne autour de la Charte des valeurs québécoises (loi 60), un projet de loi qui porte atteinte aux droits démocratiques et à l'emploi des minorités religieuses. Mise en avant comme une mesure pour la défense de la laïcité et le droit des femmes, la charte visait à détourner l'attention populaire des mesures d'austérité du PQ et à canaliser la frustration et l'anxiété liées au déclin des revenus et à l'insécurité économique montante contre les immigrants et les minorités, en particulier contre les musulmans.

Cette ruse cynique a échoué. Au vote de lundi dernier, le PQ a essuyé un échec qui remet sérieusement en question son avenir en tant que force politique sérieuse et parti d'alternance du gouvernement de l'élite dirigeante du Québec

Le PQ a perdu 320.000 votes ou 23 pour cent par rapport aux élections de 2012. Avec seulement 25,4 pour cent du vote populaire, le PQ en est à son pire résultat depuis 1970, la première élection à laquelle il avait participé.

N'ayant remporté que 30 des 125 sièges de l'assemblée nationale, le PQ a souffert d'une perte de plus de 20 sièges. La majorité des membres de l'assemblée nationale du PQ proviennent à présent de régions rurales ou éloignées, telles que l'est du Québec et le Lac Saint-Jean. Sur l'île de Montréal, le PQ a récolté seulement quatre sièges et à Laval, qui est la plus grande banlieue de Montréal et la troisième plus grande ville du Québec, aucun. À Québec, l'autre grande région métropolitaine de la province, le PQ n'a remporté qu'un seul siège.

Marois, qui se trouve parmi les candidats péquistes vaincus avec cinq autres membres du conseil des ministres, a annoncé qu'elle quittait la vie politique. Martine Desjardins, l'ex-dirigeante de la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec) qui participait à sa première élection, ainsi que Léo Bureau-Blouin, l'ancien président de la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec) qui avait été élu en tant que membre de l'assemblée nationale du PQ en septembre 2012, n'ont pas non plus échappé à la défaite.

Travaillant sous l'aile et la direction politique des syndicats, la FEUQ et la FECQ ont joué un rôle clé dans la campagne pour mettre fin à la grève étudiante de 2012 qui, à son point culminant, risquait de provoquer un mouvement de masse de la classe ouvrière, et pour détourner l'opposition aux mesures d'austérités du gouvernement libéral de Charest derrière le PQ pro-patronat.

Après être entré au pouvoir en septembre 2012, le PQ a annulé la hausse des frais universitaires imposée par Charest et suspendu l'application de la loi 12 (loi 78), la législation anti-grève draconienne des libéraux. Une fois la crise politique provoquée par la grève étudiante désamorcée, le gouvernement Marois s'est rapidement chargé de mettre en œuvre le programme d'austérité de la grande entreprise. En novembre 2012, il a présenté un budget qui imposait les plus grandes coupes budgétaires depuis une génération. Trois mois plus tard, il introduisait son propre régime d'augmentation annuelle des frais universitaires et en juillet, avec l'aide des libéraux et de la CAQ, il criminalisait une grève de 75.000 travailleurs de la construction.

Peu de temps avant de déclencher les élections du 7 avril, le PQ avait mis de l'avant un autre budget d'austérité contenant encore plus de coupes dans les services publics et des augmentations importantes des tarifs d'électricité et de garderies. Dans une manœuvre visant à prouver une fois de plus que le PQ était prêt à imposer le programme de la grande entreprise, Marois est entrée en campagne électorale en introduisant son nouveau candidat vedette, le milliardaire et magnat de la presse et des télécommunications, Pierre-Karl-Péladeau. Péladeau est très à droite et fait depuis longtemps usage de son empire afin de demander d'avantages des baisses d'impôts pour la grande entreprise et les riches, la privatisation des soins de la santé et de nouvelles attaques contre les droits des travailleurs.

D'après des commentateurs dans les médias, c'est le moment où Péladeau annonçait le poing en l'air qu'il entrait en politique pour rendre le Québec indépendant qui a été le point tournant de la campagne.

Les libéraux et tout l'establishment fédéraliste canadien a réagi avec un barrage d'avertissements et de menaces selon lesquels un troisième référendum pour la souveraineté du Québec déclencherait l'incertitude, ferait fuir les investisseurs et endommagerait l'économie. Il n'y a aucun doute sur le fait que cette campagne a coûté cher en appui populaire au PQ, surtout parmi les couches conservatrices de classe moyenne (dont beaucoup ont voté pour la CAQ à l'élection précédente) que le PQ courtisait avec sa campagne chauvine autour de la charte.

Reconnaissant le manque d'enthousiasme pour un référendum autant au sein de l'élite patronale que de la population, le PQ a défendu une position délibérément ambiguë sur son introduction lors du prochain mandat. En réponse aux attaques fédéralistes, il a mis l'accent sur le caractère de droite et pro-impérialiste du projet d'indépendance québécois: une république du Québec serait partenaire de l'ALÉNA, de l'OTAN et de NORAD, conserverait le dollar canadien comme monnaie et ferait lieu de refuge pour des entrepreneurs comme Péladeau. Mais dans des conditions d'instabilité économique internationale où l'économie québécoise est de plus en plus globalement intégrée et dépendante, les paroles insouciantes de Marois selon lesquelles l'indépendance ne comportait aucun risque ou incertitude avaient bien peu de crédibilité.

Il faut ajouter aussi que de nombreux québécois sont fatigués de la querelle réactionnaire et stérile entre politiciens fédéralistes et indépendantistes concernant la constitution. La charte du PQ, qui souligne le caractère d'exclusivisme du mouvement souverainiste québécois, a fait en sorte, en l'absence d'une alternative politique socialiste ouvrière, d'inciter les minorités anglophones et allophones du Québec à appuyer les libéraux.

Ce que les commentaires dans la presse obscurcissent, c'est que l'entrée de Péladeau dans la direction du PQ a eu un impact viscéral sur de nombreux travailleurs qui le voient avec raison comme la personnification de l'assaut sur la classe ouvrière. Ce sentiment a indubitablement contribué à l’hémorragie d'appui pour le PQ et sa perte de votes le 7 avril. À 71,4 pour cent, le taux de participation était inférieur de 3 pour cent à celui de l'élection de 2012, mais dans de nombreuses circonscriptions ouvrières à majorité francophone, la baisse du taux de participation a été encore plus marquée.

Avec une augmentation de 10,3 pour cent du vote populaire, les libéraux ont récolté 70 sièges lundi. En concentrant l'attention sur la menace du référendum, Philippe Couillard et ses libéraux ont su éviter des discussions de fond sur leur propre programme et bilan socio-économique de droite.

Couillard s'est opposé à la charte du PQ, présentant les libéraux comme de fervents défenseurs des droits démocratiques et d'un Québec inclusif. En réalité, la charte chauvine du PQ a plongé les libéraux en crise. Après six mois de débat interne, ils ont mis de l'avant leur propre proposition d'une interdiction plus limitée des couvre-chefs religieux, mais qui visait plus explicitement les musulmans. Les libéraux ont également continué à défendre la loi 12 et la campagne de violence policière sans précédent contre la grève étudiante de 2012.

En tant que ministre de la santé de 2003 à 2008, Couillard a supervisé une énorme expansion des soins de santé privés au Québec, a appuyé le gouvernement Charest dans son élimination des restrictions imposées à la sous-traitance et a voté pour des lois imposant un contrat de concessions de sept ans pour un demi-million d'employés du secteur public.

Il est fort probable que les libéraux, dont la plate forme électorale est basée sur la projection fantaisiste d'une augmentation de 4 pour cent par an de l'économie québécoise au cours des cinq prochaines années, vont à présent prétendre que la situation est bien pire que le PQ le laissait savoir afin d'avoir un prétexte pour l’imposition de mesures impopulaires.

La grande entreprise, pour sa part, fait déjà pression sur le gouvernement libéral de Couillard pour continuer à développer les politiques d'austérité du PQ.

«Des ajustements douloureux doivent être apportés pour sortir l'État québécois du déficit structurel qui le condamne à l'endettement et aux compressions arbitraires», déclare La Presse dans son éditorial de mardi matin qui célèbre la victoire libérale. «M. Couillard n'a pas fait campagne sur ce thème – c'était le cheval de bataille de la CAQ.»

Cette référence à la CAQ indique que les grands médias, qui n'ont cessé de faire des éloges à la CAQ durant les dernières étapes de la campagne alors que la défaite du PQ semblait inévitable, ont l'intention de pousser la politique encore plus à droite. Menée par l'ancien ministre du PQ et patron d'Air Transat, François Legault, la CAQ a vu sa part du vote chuter de 4 pour cent, pour s'établir à 23 pour cent. Néanmoins, elle a su augmenter sa représentation à l'Assemblée nationale de 19 à 23 sièges, compensant largement ses sièges perdus contre les libéraux dans la région de la ville de Québec, avec des gains dans les banlieues de Montréal aux dépens du PQ.

Le parti de la pseudo-gauche, Québec solidaire, a augmenté sa part du vote populaire de 6 à 7,6 pour cent et a récolté un siège de plus, pour un total de trois, tous du centre-est de Montréal.

Avec les syndicats, QS a joué un rôle important dans la promotion du PQ en tant qu'alternative «progressiste» aux libéraux durant la grève de 2012. Quand la grève était à son plus fort en juin 2012, QS a offert une alliance électorale au PQ. À la veille de l'élection du 4 septembre, QS a annoncé que s'il détenait la balance du pouvoir, il maintiendrait un gouvernement minoritaire du PQ au pouvoir pendant au moins un an, sans conditions.

Tandis que le PQ évoluait vers la droite durant ses 18 mois au pouvoir, QS a cherché à prendre ses distances du gouvernement Marois. Inévitablement, QS s'est alors plaint que le PQ défendait des mesures «libérales». Mené par des sections privilégiées de la classe moyenne et orienté vers celles-ci, incluant la bureaucratie syndicale, QS cherche à ressusciter le mouvement souverainiste dirigé par le PQ afin d'empêcher les jeunes et travailleurs québécois de se joindre aux travailleurs du Canada anglais et à l'échelle internationale dans une lutte commune contre le système du profit capitaliste. Dans son discours des chefs télévisé lundi soir, la chef de QS, Françoise David, a parlé en tant que compatriote du PQ, déclarant que le mouvement souverainiste devait réfléchir aux résultats électoraux et l'incitant à retourner à ses racines apparemment «progressistes».

En fait, le nationalisme québécois indépendantiste et son défenseur principal, le PQ, ont été l'instrument utilisé afin d'isoler et neutraliser un mouvement explosif de la classe ouvrière québécoise dans les années 1960 et 1970. Le gouvernement mené par le fondateur du PQ, René Lévesque, dont David fait constamment l'éloge, a fait des concessions mineures à la classe ouvrière durant son premier mandat, pour ensuite déclencher une contre-offensive bourgeoise, en imposant des coupes dans les salaires pour les travailleurs du secteur public par décret gouvernemental et en menaçant des enseignants en grève de licenciements de masse.

(Article original paru le 9 avril 2014)

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