Nigeria: le rapt de Boko Haram utilisé pour justifier le renforcement du dispositif militaire des Etats-Unis en Afrique

Les Etats-Unis ont envoyé des « conseillers » militaires et de la sécurité au Nigeria pour aider le gouvernement du président Goodluck Jonathan à secourir plus de 200 lycéennes enlevées par le groupe islamiste Boko Haram.

La Grande-Bretagne a également envoyé des forces de sécurité. L’ancienne puissance coloniale a déclaré jeudi vouloir travailler en étroite collaboration avec Washington.

Vendredi, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a dit: « Notre équipe inter-agences est actuellement sur le terrain au Nigeria et va travailler de concert avec le gouvernement du président Goodluck Jonathan pour faire tout ce qui est possible pour rendre ces filles à leur famille et à leur communauté. »

Les enlèvements fournissent à Washington, dont les demandes de mise en place d’opérations militaires et de renseignement depuis le Nigeria ont subi à maintes reprises des rebuffades, une occasion en or pour prendre pied dans ce pays riche en pétrole et représentant actuellement la plus grande économie d’Afrique. Cette initiative fait partie des efforts entrepris pour établir une série de bases militaires dans toute la Corne de l’Afrique, le Sahel et l’Afrique occidentale.

Cette décision est dans la droite ligne d'un « pivot vers l’Afrique » plus large visant à s’assurer la mainmise sur les énormes ressources minérales et énergétiques du continent et à contenir, sinon exclure, la Chine de l’Afrique. La Chine a désormais dépassé les Etats-Unis en tant que principal partenaire commercial de l’Afrique et dispose d’importants investissements miniers, énergétiques et d’infrastructure sur le continent.

Les Etats-Unis ont utilisé la « guerre contre le terrorisme » pour justifier leurs interventions en Afrique du Nord, au Sahel et actuellement dans l’Etat d’Afrique occidentale du Nigeria. Mais, la réalité est que la guerre des Etats-Unis et de l’OTAN en vue d’un changement de régime en Libye, menée partiellement du moins parce que le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi avait des décennies durant bloqué les efforts de Washington pour dominer l’Afrique, a contribué à déstabiliser l’ensemble de la région.

Les divisions politiques de de l’Afrique

Les forces islamistes, cette fois-ci Boko Haram, précisément des forces que les Etats-Unis et l’OTAN avaient soutenues et armées en Libye comme force par procuration sur le terrain dans la guerre visant à faire tomber Kadhafi, sont utilisées comme bête noire pour justifier l’intervention des forces militaires américaines.

Les grandes puissances européennes, qui jadis régnaient sur une bonne partie de l’Afrique mais qui n’ont plus les ressources militaires pour reprendre le contrôle de leurs anciennes possessions coloniales, ont salué les interventions militaires américaines en Afrique, tout récemment en Libye, au Mali, au Niger et en République centraficaine, comme moyen de protéger leurs propres intérêts.

C’est en ayant à l’esprit les intérêts géostratégiques américains que le gouvernement Bush avait créé le commandement américain en Afrique (AFRICOM). Le gouvernement Obama a élargi AFRICOM pour totaliser quelque 5.000 hommes stationnés en Afrique avec une présence dans 38 pays. Les Etats-Unis ont présentement plus de troupes en Afrique qu’à n’importe quel autre moment depuis leur intervention en Somalie en 1993.

AFRICOM a aussi une composante civile lui fournissant un développement, une bonne « gouvernance » et une couverture « humanitaire » capable d’influencer la politique intérieure et étrangère des Etats africains dans une situation où il existe une opposition très répandue contre le stationnement de forces militaires américaines. Vu qu’aucun pays africain n’a voulu accueillir une base militaire américaine complète, AFRICOM est basé à Stuttgart en Allemagne.

L’ampleur de son activité est vaste. Le commandant d’AFRICOM, le général David Rodriguez, a dit que l’année dernière l’armée américaine avait réalisé 546 « activités » sur le continent, soit 172 de plus qu’en 2008, portant le total à un millier d’« activités » au cours des années.

Le site internet TomDispatch.com a obtenu l’accès à une réserve de documents d’information militaire non divulgués précédemment et préparés en 2013 pour de hauts commandants et des responsables civils. Il a révélé que les opérations militaires étaient bien plus vastes qu'on n'en avait précédemment fait état. L’armée américaine en Afrique a participé à près de 80 pour cent des activités de l’AFRICOM. Durant 2012 et 2013, ses activités, incluant au moins 49 des 54 pays africains (mis à part l’Egypte), comprenaient des opérations de commando spéciales tout comme l’entraînement des forces par procuration. L’année dernière, les Forces spéciales américaines ont procédé à Nzara, dans la banlieue de Yambio au Sud-Ouest du Soudan, à des exercices d’entraînement avec l’Armée populaire de libération du Soudan.

Un niveau d’activité semblable est prévu pour 2014 et qui comprendra des exercices complets avec les forces armées d’au moins 20 pays africains ainsi que des activités de « contre-terrorisme. »

Il y a quelques semaines encore, AFRICOM effectuait des manœuvres navales non loin du port nigérien de Lagos sous prétexte de renforcer la sécurité des Etats de l’Afrique occidentale. Selon la radio Deutsche Welle, « Plus de 30 navires de guerre de 20 pays participent à de grandes manœuvres le long de la côte de l’Afrique de l’Ouest. En plus de 11 pays d’Afrique occidentales, la France, l’Allemagne, le Portugal, l’Espagne et les Pays-Bas ainsi que le Danemark, la Turquie, le Brésil et les Etats-Unis ont déployé des navires, ce qui en fait les plus grandes manœuvres d’Afrique. » Parmi les participants non africains, la plus importante présence était celle de l’Allemagne.

En février de cette année, des troupes des opérations spéciales américaines formaient à la tactique contre-révolutionnaire des troupes tunisiennes dans une base éloignée de Tunisie occidentale.

Washington affirme n’avoir qu’une « présence légère » en Afrique avec seulement une seule base permanente pour AFRICOM dans le camp Lemonnier à Djibouti, minuscule Etat situé dans la Corne de l’Afrique et adjacent à l’Erythrée, l’Ethiopie et la Somalie. Cette base est utilisée pour le lancement d’attaques de missiles depuis des drones et des frappes aériennes au Yémen, en Somalie et en Afrique orientale. Son agrandissement est prévu pour un budget de 750 millions de dollars.

Mais, l’examen des documents officiels par TomDispatch montre qu’en fait les Etats-Unis opèrent à partir de sept sites coopératifs (CSLs) et d’un nombre de sites avancés (FOLs) au Gabon, au Kenya, au Mali, au Maroc, en Tunisie, en Namibie, au Sénégal, en Ouganda, en Ethiopie et en Zambie. Ils ont conclu un accord avec Sao Tome en vue d’une base navale sur place pour la sauvegarde des intérêts pétroliers américains dans le Golfe de Guinée.

Les forces spéciales du Joint Special Operations Task Force-Trans Sahara utilisent pour leurs « activités à haut risque » une base aérienne dans la capitale Ouagadougou du Burkina Faso tandis qu’une unité de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) opère depuis le Tchad. L’armée américaine compte 29 accords pour utiliser des aéroports internationaux en Afrique comme centres de ravitaillement.

En janvier 2013, le président Barack Obama avait annoncé avoir signé un accord avec le gouvernement nigérien pour le déploiement, dans un premier temps dans la capitale Niamey au Niger, de 250 à 300 militaires, dont des équipes de pilotes, de sécurité et d’entretien à distance. Il n’y aurait, dans cet accord, « aucune contrainte liée à la coopération militaire-militaire ».

L’armée de l'air des Etats-Unis a utilisé Niamey pour le lancement de drones Predator vers le Mali, faisant partie du soutien militaire des Etats-Unis à l’invasion française qui incluait le transport aérien de troupes françaises et africaines et le ravitaillement d’avions militaires français qui ont bombardé des villes contrôlées par des insurgés islamistes et des séparatistes touaregs. Dans le cadre de l’opération au Mali, les forces spéciales américaines ont été envoyées au Niger, au Nigeria, au Burkina Faso, au Sénégal, au Togo et au Ghana.

Dans les 15 mois depuis l’annonce de l’accord, les activités des Etats-Unis depuis Niamey ont considérablement augmenté. L’aéroport international est maintenant régulièrement utilisé pour le lancement de drones pour la surveillance aérienne de tous les pays d’Afrique du Nord et du Sahara et pour mener des frappes aériennes contre leurs adversaires. Un responsable du département d’Etat américain a prévenu que ceci était une campagne « ouverte » qui pourrait durer des années et n’était que la « première phase. »

Les Etats-Unis projettent de construire un nouveau complexe au Niger et d’autres bases de surveillance en Ethiopie et aux Seychelles, tandis que des indications laissent entendre qu'ils disposent d'un complexe près de Gao, au Mali Nord, précédemment inavoué. Les forces américaines avaient formé l’officier militaire qui avait renversé en 2012 le gouvernement élu du Mali.

En janvier, Washington avait reconnu avoir envoyé en décembre une équipe de conseillers en Somalie. C’est la première fois que des troupes américaines sont stationnées là depuis que des combattants de la milice de la capitale Mogadiscio avaient abattu deux hélicoptères et tué 18 militaires américains lors de l’incident « Black Hawk Down » de 1993. Le but prétendu est de « soutenir » les troupes de l’Union africaine qui combattent les islamistes d’al-Shabab en Somalie.

Les Etats-Unis ont aussi une force d’action rapide de 550 marines qui est stationnée à la base aérienne de Morón en Espagne. Avec six V-22 Osprey, appareil à rotor basculant qui décolle et atterrit comme un hélicoptère, et deux ravitailleurs en vol, les marines sont capables de voler des milliers de miles vers des endroits éloignés en Afrique. Le mois dernier, le gouvernement espagnol a approuvé l’augmentation du nombre de soldats jusque 850 et le nombre d’avions jusque 16.

(Article original paru le 10 mai 2014)

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