Perspectives

La démocratie et la débâcle en Irak

Au cours des deux dernières semaines, le gouvernement Obama et les hautes sphères de la politique étrangère aux États-Unis ont agi rapidement pour exploiter la crise en Irak et intensifier les opérations militaires dans tout le Moyen-Orient. Des centaines de « conseillers » militaires américains sont de retour en Irak et la classe dirigeante américaine prévoit des frappes aériennes contre la Syrie et des manœuvres pour saper la position de l'Iran. 

La propagande émanant de l'élite politique, reprise sans aucune critique par les médias, est à vomir de cynisme et d'hypocrisie. Si elles sont divisées sur les tactiques pour parvenir à la domination mondiale, les différentes factions de l'Etat et de l'appareil militaire sont unies sur au moins une chose : elles ne se reconnaissent de responsabilité pour rien du tout. 

Le ministre des Affaires étrangères d'Obama, John Kerry, envoyé au Moyen-Orient pour comploter avec les alliés des États-Unis et menacer leurs adversaires, a résumé le sentiment général quand il a déclaré dans une conférence de presse au Caire (où il a rencontré le dictateur Égyptien Abdel Fattah al-Sisi que les Etats-Unis soutiennent) : « Les États-Unis d'Amérique ne sont pas responsables de ce qui s'est passé en Libye, ni ne sont responsables de ce qui se passe maintenant en Irak. »

D'après l'interprétation de l'histoire par Kerry, l'armée américaine « a versé son sang et travaillé dur pendant des années pour que les irakiens aient leur propre gouvernance. » Pendant que les États-Unis promouvaient la démocratie de manière désintéressée, l'État islamique d'Irak et du levant (EIIL) aurait « passé la frontière depuis la Syrie. »

L'EIIL, toujours d'après Kerry, « a attaqué des communautés et ce sont eux qui sont passés à l'action pour bloquer la capacité de l'Irak à avoir la gouvernance qu'il veut. »

Comme toujours, les responsables du gouvernement américain parlent comme si personne ne savait rien et comme s'ils pouvaient lancer des mensonges éhontés sans conséquences. Mais la version des faits présentée par Kerry est contredite par des faits qui sont même parvenus jusque dans la couverture médiatique des événements. 

Premièrement, si les États-Unis ont peut-être été pris par surprise par la rapidité avec laquelle l'État irakien s'est désintégré au cours des semaines passées, l'EIIL ne leur est pas du tout étrangère. Ce groupe fondamentaliste islamique a reçu des financements de la part des États-Unis et de leurs alliés autocratiques du Golfe persique dans le cadre de la rébellion aidée par les impérialistes contre le président Bashar el-Assad en Syrie. Une fois de plus, les États-Unis récoltent ce qu'ils ont semé. 

De plus, l'avancée de l'EIIL en Irak est certainement vue par une partie de la classe dirigeante américaine (et israélienne) comme un développement positif dans la mesure où elle sape l'influence que l'Iran exerce sur le gouvernement de l'Irak et sur son Premier ministre actuel, Nouri al-Maliki. 

En dépit des protestations de Kerry, il est bien compris dans le monde entier que les États-Unis sont les principaux responsables de cette catastrophe qui menace de plonger toute la région dans une guerre civile généralisée.

L'absence complète de toute responsabilité quant aux crimes de l'impérialisme américain a été particulièrement mise en évidence la semaine dernière avec le retour en politique de l'ex-vice président Dick Cheney, le cerveau criminel qui était derrière la politique étrangère du gouvernement Bush. 

Cheney est apparu dimanche dans l'émission de la chaîne ABC This Week with George Stephanopoulos pour faire de l'agitation en faveur d'une nouvelle invasion de l'Irak. Critiquant le gouvernement Obama qui n'agissait pas assez rapidement à son goût, Cheney a déclaré, « quand on se dispute à propos de 300 consultants alors que la demande était de 20 000 pour faire le boulot correctement, je ne suis pas sûr que nous ayons réellement réglé le problème. » 

Cheney a ajouté qu'une « stratégie d'ensemble » est nécessaire, qui comprendrait « l'aide à la résistance en Syrie, dans l'arrière-cour [de l'EIIL], avec de l'entraînement, des armes et ainsi de suite, » ainsi que l'intensification de la campagne militaire au Pakistan et en Afghanistan. Cherchant à écarter toute idée qu'il aurait quelque chose à voir avec la crise actuelle, Cheney a déclaré, « si nous passons notre temps à débattre de ce qu'il s'est passé il y a 11 ou 12 ans, nous allons rater la menace qui monte. » 

Rien ne témoigne aussi clairement de l'état dysfonctionnel de la démocratie américaine que le fait que Cheney soit encore présenté au public comme une autorité distinguée en matière de politique internationale. Il est l'exemple par excellence de l'absence de toute responsabilité judiciaire ou politique pour les crimes commis par l'oligarchie dirigeante. En plein milieu d'un désastre de la politique étrangère, il n'y a eu aucun appel pour même la simple formalité que seraient des audiences au Congrès sur l'histoire de l'intervention en Irak et de la prétendue « guerre contre le terrorisme. » 

Il faut se rappeler qu'en plein milieu de la guerre du Vietnam, la Commission des relations étrangères du sénat américain a organisé une série d'audiences entre 1966 et 1971, connues sous le nom d'audiences Fullbright. Ces audiences ont reçu les témoignages d'un grand nombre d'experts de tous domaines, dont des opposants importants à la guerre. Kerry lui-même y a participé, en tant que vétéran favorable à une fin de la guerre. À ce point-là de l'histoire américaine, il existait encore une certaine idée du droit du public à connaître la manière dont étaient prises les décisions de politique étrangère. 

Rien de tout cela ne subsiste aujourd'hui. La politique étrangère est menée exclusivement dans le dos des gens. Elle est décidée par une cabale criminelle qui opère en sachant pertinemment qu'il n'y aura – du moins au sein de l'élite dirigeante – aucune conséquence à ses actions. Ce sont les caractéristiques d'un système politique complètement corrompu par un militarisme sans limites et une inégalité sociale extrême. 

Il y a un besoin urgent de créer un nouveau mouvement de masse contre l'impérialisme et la guerre. Un tel mouvement ne peut se développer que sur la base de la mobilisation politique de la classe ouvrière. La lutte contre les nouvelles catastrophes que la classe dirigeante prépare doit se développer en dehors de et contre le gouvernement Obama, les partis démocrate comme républicain, et les agences et institutions de l'Etat capitaliste. 

Un mouvement anti-guerre renouvelé ne peut réussir que dans la mesure où il est ancré dans les intérêts indépendants de la classe ouvrière internationale, armé d'un programme socialiste ayant pour objectif de retirer le pouvoir des mains de l'oligarchie financière et de sa caste de conspirateurs politiques. 

(Article original paru le 23 juin 2014)

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