Perspectives

Egypte: Un an depuis le coup d'Etat militaire

Cette semaine marque le premier anniversaire du coup d'Etat militaire, soutenu par les Etats-Unis, qui a mis au pouvoir la junte du général Abdel Fatah al-Sisi, président du pays et dictateur de fait.

En lançant ce coup d'Etat, l'armée cherchait à anticiper un mouvement de masse qui s'était développé contre Mohamed Morsi, président issu du parti des Frères musulmans. La lutte des classes avait éclaté durant les six premiers mois de 2013, où les travailleurs avaient organisé plus de 5 544 grèves et manifestations contre le gouvernement de Morsi. Lorsque des manifestations avaient été organisées à la fin du mois de juin, des dizaines de millions de travailleurs étaient descendus dans la rue pour exprimer leur colère face au libéralisme économique de Morsi et à son soutien à l'attaque d'Israël contre Gaza et à la guerre par procuration en Syrie conduite par les Etats-Unis.

Si les manifestations ont démontré le pouvoir immense de la classe ouvrière, leur résultat a révélé le problème essentiel de la révolution égyptienne: le gouffre entre la colère profonde de la population égyptienne et l'absence de direction politique.

En l'absence d'un parti révolutionnaire qui combatte pour rassembler la classe ouvrière dans une lutte pour la prise de pouvoir sur la base d'un programme socialiste et internationaliste, les forces qui ont émergé et pris le contrôle du mouvement, principalement le mouvement Tamarod (« Rebelle »), ont oeuvré pour canaliser l'opposition populaire derrière l'armée.

Lorsque al-Sisi a lancé un coup d'Etat et renversé Morsi, en étroite collaboration avec l'armée américaine et le gouvernement Obama, les jeunes militants libéraux et les forces politiques de pseudo-gauche opérant à l'intérieur et autour de Tamarod ont salué le coup d'Etat comme étant une « seconde révolution. » Sameh Naguib, dirigeant des Socialistes révolutionnaires (SR) de pseudo-gauche s'est enthousiasmé: « Ce n'est pas la fin de la démocratie, ni un simple coup d'Etat militaire... Avec les événements de ces derniers jours, les gens se sentent responsabilisés et sentent qu'ils ont des droits. » 

Par contre, le lendemain du coup d'Etat, le World Socialist Web Site a mis en garde la classe ouvrière sur le rôle réactionnaire que jouerait l'armée. Nous avions écrit, « L’armée cherchera à imposer la politique exigée par le capital financier. En dernière analyse, le conflit entre l’armée d’une part et les Frères musulmans évincés de l’autre est un combat entre factions conflictuelles de la classe dirigeante. La principale cible de la répression que l’armée est en train de planifier sera la classe ouvrière. Le décor est maintenant planté pour dénoncer de nouvelles protestations de la classe ouvrière comme étant préjudiciables aux ' intérêts nationaux ' et illégitimes. »

Cet avertissement a été confirmé de façon spectaculaire au cours de l'année dernière. Après avoir pris le pouvoir, la junte d'al-Sisi a déchaîné le règne de la terreur contre ses opposants politiques, cherchant à restaurer l'Etat militaro-policier tel qu'il existait sous Hosni Moubarak, avant le début de la révolution égyptienne en 2011.

Le gouvernement militaire a dispersé violemment les manifestations et les grèves, tirant de sang-froid sur des milliers de personnes dans les rues des villes égyptiennes. Il a interdit les Frères musulmans et condamné à mort plus de 2 000 d'entre eux et de leurs partisans. Selon des chiffres récents du Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux, 41 163 personnes ont été emprisonnées durant la période allant du coup d'Etat au 15 mai de cette année.

L'année qui a suivi le coup d'Etat a été indiscutablement un revers majeur pour la révolution égyptienne. Mais elle n'est pas terminée. Depuis le début, la révolution égyptienne a été motivée par des processus objectifs profonds: l'appauvrissement et l'exploitation de la classe ouvrière à l'échelle internationale et la crise grandissante de l'impérialisme au Moyen-Orient. Une nouvelle étape de la révolution va commencer et la tâche primordiale est de tirer les leçons politiques nécessaires pour s'y préparer.

Le coup d'Etat de al-Sisi a été le point fort de trois ans et demi de luttes révolutionnaires âpres qui ont confirmé la Théorie de la révolution permanente mise en avant par Trotsky. Aucune des factions bourgeoises égyptiennes, que ce soit l'armée, les Frères musulmans ou les groupes petits-bourgeois de pseudo-gauche qui oscillent entre eux, n'avait de perspective progressiste pour résoudre les revendications démocratiques et sociales des masses.

La Théorie de la révolution permanente explique que la tâche consistant à construire une société véritablement démocratique, débarrassée de la pauvreté et de l'oppression impérialiste, revient à la classe ouvrière dans une lutte pour la révolution socialiste mondiale. C'est avec cette perspective que le WSWS s'est opposé au coup d'Etat de al-Sisi.

Le WSWS n'a eu de cesse de défendre cette position dès le début de la révolution égyptienne, en expliquant, un jour avant que la classe ouvrière renverse Moubarak: « Les marxistes révolutionnaires doivent mettre en garde les travailleurs contre toutes les illusions selon lesquelles leurs aspirations démocratiques peuvent se réaliser sous l’égide de partis bourgeois. Ils doivent impitoyablement révéler au grand jour les fausses promesses des représentants politiques de la classe capitaliste. Ils doivent encourager la création d’organes indépendants du pouvoir ouvrier qui, avec l’intensification de la lutte politique, peuvent devenir la base pour le transfert du pouvoir à la classe ouvrière. Ils doivent expliquer que la réalisation des revendications démocratiques essentielles des travailleurs est étroitement liée à l’application d’une politique socialiste...

« Les révolutionnaires marxistes doivent avant tout élargir l’horizon politique des travailleurs égyptiens au-delà des frontières de leur propre pays. Ils doivent expliquer que les luttes qui se développent actuellement en Egypte sont indissolublement liées à un processus mondial naissant de la révolution socialiste mondiale et que la victoire de la révolution en Egypte requiert non pas une stratégie nationale mais internationale. »

En Egypte, tous les prérequis nécessaires à une révolution étaient là, sauf un: un parti révolutionnaire qui lutte pour cette perspective. La question centrale qui se pose en Egypte et dans le monde entier est la construction d'un tel parti, c'est à dire une section du Comité international de la Quatrième Internationale, qui se batte pour raviver les luttes de la révolution, renverser le gouvernement al-Sisi et s'engager dans le combat pour le socialisme.

(Article original paru le 5 juillet 2014)

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