Perspectives

L’intervention allemande en Irak

L’intervention allemande en Irak marque une nouvelle étape dans l’orientation du pays vers une agressive politique de grande puissance.

Dans l’interview accordée dimanche dernier à la chaîne publique ARD, la chancelière Angela Merkel, a mis sur un pied d’égalité la décision du gouvernement de fournir des armes à l’Irak, la toute première livraison du genre dans une zone de guerre, avec une série d’autres «décisions significatives» prises par les gouvernements allemands depuis la réunification en 1990. Merkel y a inclus la «participation à la mission de l’OTAN en Yougoslavie» et «l’envoi de troupes de combat en Afghanistan après le 11 septembre».

Le gouvernement a décidé d’expédier des armes ainsi que de l’équipement non létal à la milice kurde des peshmerga dans le Nord de l’Irak. Les détails restent imprécis mais l’on pense que l’Allemagne enverra des missiles anti-char «Milan». Les fusils d’assaut modernes G36 de la firme Hecker & Koch font également l’objet de discussions. Lors de l’interview, Merkel n’a pas exclu l’envoi de conseillers militaires pour entraîner les combattants kurdes.

L’envoi d’armes allemandes et éventuellement de troupes en Irak est à ce jour le point culminant du changement d’orientation de la politique étrangère annoncée lors de la conférence sur la sécurité de Munich début 2014 par le président Joachim Gauck, le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier et la ministre de la Défense, Ursula von der Leyen. Dans une interview parue dans la dernière édition de l’hebdomadaire politique Die Zeit, von der Leyen avait réitéré son appel pour que l’Allemagne intervienne «plus tôt, plus fermement et plus substantiellement» partout dans le monde.

«La diplomatie du chéquier est révolue depuis bien longtemps», a dit la ministre de la Défense. «Nous ne vivons pas sur une île. Les choses nous concernent. Si nous agissons mondialement en matière de politique et d’économie, alors il y a des défis à relever partout dans le monde en matière de politique de sécurité», a-t-elle poursuivi en ajoutant que «quiconque s’abstient n’a pas d’influence».

L’on pourrait difficilement le formuler plus clairement. Après s’être relativement retenue pendant des années, l’Allemagne s’implique de nouveau pour faire valoir ses intérêts économiques et géostratégiques mondiaux par des moyens militaires. La rapidité du retour de l’agressif impérialisme allemand est époustouflante.

En 2003, le gouvernement social-démocrate (SPD)-Vert n’avait pas participé officiellement à la guerre d’agression des Etats-Unis contre l’Irak qui fut menée en violation du droit international. Il y a trois ans encore, sous le ministre des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, le gouvernement de coalition entre l’Union démocrate-chrétienne (CDU), l’Union chrétienne sociale (CSU) et le Parti libéral démocrate (FDP), s’était abstenu sur l’attaque de l’OTAN contre la Libye.

Puis, les choses ont très rapidement évolué. Westerwelle fut remplacé par Steinmeier et Gauck devint président. Quelques semaines seulement après les discours prononcés à la conférence sur la sécurité de Munich, Berlin organisait, en étroite collaboration avec Washington, un coup d’Etat mené par les fascistes en Ukraine dans le but de mettre au pouvoir à Kiev un régime fantoche pro-occidental et de saper la Russie.

Maintenant, la bourgeoisie allemande a décidé de ne plus se tenir à l’écart au sujet du repartage et du contrôle du Moyen-Orient, une région d’importance stratégique et riche en matières premières.

La nouvelle politique militariste de l’Allemagne relève d’une conspiration de la part de l’élite dirigeante contre la population. Bien que tous les sondages d’opinion montrent que deux tiers des Allemands sont contre des livraisons d’armes en Irak, cette politique est défendue avec véhémence par tous les partis parlementaires et des sections substantielles des médias. Les partisans les plus agressifs des envois d’armes sont le parti des Verts et le parti allemand Die Linke (La Gauche) qui sont tous deux pleinement intégrés, en tant que partis d’opposition, à la conspiration de guerre.

Dans un langage qui rappelle la propagande nazie, le journal taz, qui est proche des Verts, a publié une chronique intitulée «Des armes pour le Kurdistan» en déclarant: «L’on ne peut que répondre à cette bande de lyncheurs dans une langue qu’ils comprennent. Le seul moyen de les stopper est d’abréger leur chemin vers les 72 vierges.»

En avril déjà, aux côtés d’autres partis, les représentants de Die Linke avaient voté en faveur d’une intervention de l’armée allemande en Syrie. Actuellement, le président du groupe parlementaire de Die Linke, Gregor Gysi, est le premier à exiger l’exportation d’armes à l’Irak.

Le rôle joué par Die Linke a été tellement décisif dans l’intervention de l’Allemagne en Irak que le journal conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung a publié une tribune sous le titre «Le conflit en Irak : des exportations d’armes grâce à Die Linke».

Qu’est-ce qui se cache derrière la nouvelle politique militariste de l’Allemagne ? Et comment expliquer qu’après les crimes commis au siècle précédent, la bourgeoisie allemande passe aussi impunément à l’offensive ?

Comme elle l’avait fait il y a 100 ans, avant la Première Guerre mondiale, et il y a 75 ans avant l’éclatement de la Deuxième Guerre mondiale, la classe dirigeante allemande réagit à une profonde crise du système capitalisme par la guerre et le militarisme. Vingt-cinq ans après la restauration du capitalisme en Allemagne de l’Est et six ans après l’éclatement de la crise économique et financière mondiale, l’ordre international est tout aussi instable qu’au cours des premières années du 20me siècle et que durant les années 1930.

L’Allemagne a tenté par deux fois – en 1914 et en 1939 – à asseoir ses intérêts impérialistes en assujettissant brutalement le monde à la domination allemande. Les terribles conséquences sont bien connues.

Aujourd’hui, une fois de plus, la classe dirigeante allemande exige que l’Allemagne agisse comme chef de file. Ce faisant, la bourgeoisie allemande réagit au déclin relatif que connaissent les Etats-Unis depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Von der Leyen a déclaré dans une interview donnée au journal Die Zeit : «Le rôle décroissant des Etats-Unis n’est certainement pas la cause des conflits actuels. Mais il a permis l’émergence d’un vide de pouvoir. Les membres de l’UE doivent accorder entre eux beaucoup plus efficacement leur politique étrangère et sécuritaire afin de combler les lacunes qui sont apparues.»

Die Welt a même été encore plus direct dimanche en publiant une déclaration intitulée «L’Allemagne le gendarme du monde». On peut y lire : «Les Américains n’ont actuellement qu’une envie limitée de jouer le rôle de gendarme du monde, partiellement parce que les nouvelles ressources énergétiques sur leur sol ont rendu le pétrole du Moyen-Orient moins important. Et l’Allemagne ? L’habitude de se limiter au niveau local a déraillé tout comme les événements mondiaux. La situation internationale impose des décisions aux politiciens que ceux-ci préféreraient éviter en raison des conséquences imprévisibles. Malgré ceci, le gouvernement allemand envisage de fournir des armes aux Kurdes en Irak – un virement brutal dans la politique allemande qui fait suite à l’appel à prendre plus de responsabilités.»

En réalité, la politique de la bourgeoisie allemande n’est pas «en train de dérailler». Au contraire, l’impérialisme allemand montre une fois de plus son vrai visage : militarisme, dictature et guerre.

Depuis le début de l’année, des discussions intenses ont lieu au sujet de la culpabilité de guerre durant la Première Guerre mondiale. En posant la question de la culpabilité de guerre en 2014, il ne devrait pas y avoir le moindre doute que l’élite dirigeante, confrontée à des problèmes économiques et sociaux pour lesquels elle ne dispose d’aucune solution progressiste, planifie une fois de plus la guerre.

Ceux qui pensent que les politiciens, les journalistes et les universitaires impliqués dans l’actuel complot de guerre n’iraient pas aussi loin que leurs ancêtres en 1914, se mentent à eux-mêmes. La réalité est que Gauck, Merkel, Steinmeier, von der Leyen et leurs laquais dans les bureaux de rédaction et les universités ne s’imposent pas plus de retenue que dans le passé.

La seule force sociale capable de stopper le retour du militarisme allemande et d’empêcher une troisième guerre mondiale est la classe ouvrière internationale. La lutte du Parti für Soziale Gleichheit (Parti de l’Egalité sociale) pour la construction d’un mouvement anti-guerre mondial de la classe ouvrière contre l’impérialisme et le capitalisme est la tâche la plus urgente.

(Article original paru le 28 août 2014)

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