Le président français soutient la révolte des généraux contre la réduction du budget de la défense

Le 2 juin, lors d’une réunion du Conseil de défense et de sécurité nationale, le président François Hollande (PS, Parti socialiste) a mis fin à un bras de fer de trois semaines entre lui-même et le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, soutenu par des généraux haut gradés de l’armée au sujet de coupes dans le budget de la Défense et qui avait culminé avec la menace de démission de l’ensemble de l’état-major français.

Hollande a dit qu’il n’y aurait pas de coupes dans la loi de programmation militaire (LPM) pour 2014-2019, adoptée en décembre dernier. Il a souligné « le caractère primordial de notre effort de défense afin de renforcer notre influence internationale, protéger nos intérêts vitaux et assurer la sécurité de la France. »

Selon des reportages de presse, Le Drian avait mobilisé les huiles militaires contre des coupes exigées par le ministre des Finances et soutenues par le premier ministre Manuel Valls. D’après La Tribune, « Au-delà de son budget, il en va de l’emploi, d’une industrie duale performante, des capacités opérationnelles des armées, notamment de l’armée de terre, et de la place de la France dans le monde. C’est ce qu’il [Le Drian] écrit au premier ministre, Manuel Valls, » dans une lettre datée du 9 mai.

Le 13 mai, fait absolument inhabituel d'ingérence de militaires dans la politique du pays, quatre généraux cinq étoiles, dirigeant les trois corps d’armée, de terre, de l’air et de la marine, ainsi que le chef d’état-major des armées, le général Pierre de Villiers, avaient présenté leur démission pour protester contre la divulgation de propositions de coupes supplémentaires de 6 milliards d’euros dans le budget de la Défense au cours des trois prochaines années.

Frappée par la crise économique, la France a réduit ses dépenses militaires de 47,7 milliards d’euros (2,4 pour cent de son produit intérieur brut en 2006 et en 2007) à 31,4 milliards d’euros (1,5 pour cent de son PIB) dans l’actuelle loi de programmation militaire.

Lorsque, le 23 mai, l’affaire a été rendue publique par le quotidien de droite Le Figaro, la réaction immédiate de Valls a été de capituler devant les généraux. « La LPM sera totalement préservée, » a-t-il promis. « Les armées ont déjà fait beaucoup d’efforts depuis des années. »

La décision de Valls, puis celle de Hollande, est conforme à l’appel lancé le 4 mai par le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen pour un réarmement des puissances de l’OTAN dans un contexte d’intensification des tensions militaires avec la Russie, après que les pays de l’OTAN ont soutenu le coup d’Etat fasciste du 22 février en Ukraine. Rasmussen avait exigé, « Arrêtez de réduire vos dépenses pour la défense, inversez la tendance et investissez progressivement plus d’argent dans la défense. » (Voir : « Le 11-Septembre de l’Europe »

Cette menace publique de démission collective des généraux représente une ingérence extraordinaire et réactionnaire dans la vie publique. Le fait que Valls et Hollande se soient rangés aussi aisément derrière la politique exigée par l’armée témoigne en soi de la profonde intégration du gouvernement PS et de ses partisans de la pseudo-gauche, comme le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), dans la politique de militarisme français.

Il n’y a eu que quelques remarques inoffensives dans la presse bourgeoise soulignant l’intervention directe des chefs d’armée dans la vie politique. Le Monde a écrit, « Tradition républicaine oblige, l’institution militaire sait mijoter sans rider la surface de l’eau. Mais, cette fois, les trois chefs d’armée (air, terre, marine) ont laissé filtrer qu’ils pourraient démissionner en bloc, du jamais vu sous la Ve République. »

Les intrusions de l’armée dans la politique française à des moments de crise profonde ne sont en fait pas du « jamais vu. » Le Monde oublie le fait que la Ve République elle-même est née d’un coup d’Etat militaire, mené par des partisans du général Charles de Gaulle durant la guerre d’Algérie en 1958, pour prévenir un coup d’Etat de la part des adversaires de l’indépendance de l’Algérie. Ce coup d’Etat avait mis fin à la Quatrième République qui avait été mise en place après l’effondrement du régime de collaboration avec les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Un autre coup d’Etat manqué contre de Gaulle par les partisans de l’Algérie française avait suivi en 1961.

Mais ce que cette récente ingérence des généraux montre clairement c’est le danger que pose le poids grandissant de l’armée et des services de sécurité dans la vie politique.

Ces derniers temps, des gouvernements de droite et de la « gauche » bourgeoise ont à maintes reprises lancé des guerres à l'étranger ou des opérations de police à l'intérieur de la France. Ces gouvernements s'appuient toujours plus directement sur les forces armées en cherchant à faire basculer le climat politique nettement à droite. Rien qu'au cours de ces trois dernières années, les forces armées françaises ont lancé des interventions en Libye, en Côte d’Ivoire, au Mali et en Centrafrique. La plupart de ces interventions avaient le soutien explicite des forces petites bourgeoises et de la pseudo-gauche comme le Nouveau Parti anticapitaliste.

La police est devenue une force de plus en plus importante en France. En 2005, le président de droite, Jacques Chirac, avait même décrété l’état d’urgence, en suspendant officiellement les droits civils et démocratiques durant les émeutes des jeunes de banlieue dans les cités ouvrières. Ceci n’avait provoqué aucune opposition au sein de l’establishment politique, y compris la bureaucratie syndicale et la pseudo-gauche. (Voir : « France: état d'urgence ­Sarkozy annonce des expulsions collectives »)

Par conséquent, les forces armées se sentent de plus en plus en position de force et capables d’imposer leurs conditions et d'insister pour que les coupes budgétaires affectent les services sociaux et la classe ouvrière et non pas l’armée. Elles disposent pour cela de l’appui du Monde qui, quelles que soient ses légères critiques à l’égard des généraux, est un ardent partisan de l’impérialisme français.

Le Monde a dénoncé les coupes dans les budgets militaires proposées par le ministère des Finances comme étant « de l’arithmétique de boutiquier. Il ne tient pas compte des retombées… du budget de la défense sur l’aéronautique et d’autres secteurs de pointe. Préoccupés, les sept patrons des plus grands groupes français de ces secteurs viennent de demander à être entendus par François Hollande. Du Mali à la Centrafrique, s’il y a un service public dont les performances sont unanimement saluées, c’est bien l’armée. »

Avec le sentiment militariste qui se répand parmi les cercles de la classe dirigeante et de la petite bourgeoisie de pseudo-gauche, la classe ouvrière apparaît comme l’unique force sociale capable de défendre les droits démocratiques et de s'opposer au militarisme impérialiste.

En cela, la classe ouvrière se retrouve ainsi en opposition directe à l’ensemble de l’establishment politique qui fait tout son possible pour canaliser le mécontentement social en direction de l'extrême-droite. La menace de démission en bloc des généraux n’a été révélée par Le Figaro que trois jours avant les élections du 25 mai lors desquelles le Front national (FN) néofasciste a battu le PS en obtenant 25 pour cent des suffrages, soit le plus grand nombre de voix de tous les partis politiques.

La respectabilité accrue du FN dans les médias bourgeois et dans la vie politique, tout comme l’ingérence ouverte de l’armée en vue d'imposer le budget de la France, sont les signes de l'état de décrépitude avancé de la démocratie en France.

(Article original paru le 18 juin 2014)

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