Une grève de masse pour protester contre l’austérité secoue le nouveau gouvernement belge

Des travailleurs venus des quatre coins de la Belgique ont convergé jeudi 6 novembre vers Bruxelles pour protester contre les mesures d’austérité du nouveau gouvernement de droite dirigé par Charles Michel.

Quelque 130.000 personnes (100.000 selon la police et 200.000 selon les participants) venus des deux régions flamande et francophone ont défilé pour participer à l’une des plus importantes protestations de masse en Belgique depuis la grève générale de 1960-1961. Des travailleurs de l’industrie chimique, pharmaceutique, du transport de marchandises et de personnes, des ports, de la sidérurgie et de l’aéronautique ont débrayé pour rejoindre les manifestations.

Les membres de plusieurs groupes de jeunesse et d’organisations de la pseudo-gauche ont pénétré dans le siège de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) à Bruxelles et l’ont brièvement occupé.

Les travailleurs ont protesté contre les projets du gouvernement Michel de relever à 67 ans l’âge de la retraite, de réduire de 10 pour cent le coût salarial du secteur public, de contraindre les chômeurs de longue durée à travailler pour les allocations chômage, de réduire les dépenses de santé et de faire passer de force des réductions de salaire s’élevant à 3 milliards d’euros en reportant l’indexation automatique des salaires sur les prix. Cette mesure coûterait à l’ouvrier moyen 336 euros (417,27 dollars) par an.

Cette attaque réactionnaire et provocatrice menée contre la classe ouvrière arrive au milieu de révélations selon lesquelles le Luxembourg voisin a accordé, sous l’égide de l’ancien premier ministre et actuel président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, de massifs allègements fiscaux aux multinationales en échange du transfert de leurs activités au Luxembourg.

La bureaucratie syndicale belge a appelé à une série de grèves reconductibles dans toutes les villes de Belgique et qui mèneront à une nouvelle grève nationale le 15 décembre.

De violents affrontements ont éclaté entre la police et des groupes de manifestants qui s’étaient détachés du corps principal de la manifestation aux alentours de la Porte du Hal. La police a déployé des canons à eau et a chargé à coups de matraque les manifestants dont la police a affirmé qu’il s’agissait de dockers d’Anvers. Plusieurs dizaines de personnes furent blessées dont deux policiers qui le seraient gravement. Au moins 30 manifestants furent interpellés.

Selon des articles parus dans La Libre, cependant, faisaient partie des forces combattant la police deux activistes hollandais néonazis, Eite Homan et Karl-Jan Walle. Ces derniers transportaient du matériel critiquant le Parti socialiste (PS), la plus importante force électorale de Belgique francophone qui avait appuyé les protestations de jeudi. Ils se seraient rendus à Bruxelles pour participer à une conférence nationaliste flamande qui a exprimé son soutien au parti néonazi Aube dorée en Grèce.

La grève de masse a été la première réaction de la classe ouvrière à l’entrée en fonction, le 11 octobre, du gouvernement Michel après des mois de négociations acharnées menées suite aux élections législatives de mai. Le nouveau gouvernement a porté à ébullition les tensions de classe explosives et les tensions nationales de la Belgique dont les gouvernements successifs s’étaient traditionnellement maintenus en équilibre sur la division linguistique franco-flamande.

Le nouveau gouvernement est une alliance instable de nationalistes flamands et de politiciens francophones partisans d’une politique de libre marché. Alors que le Mouvement réformateur libre-échangiste (MR) de Michel sert de figure de proue francophone au gouvernement, sa composante principale est une coalition de partis droitiers dirigée par le parti séparatiste flamand Alliance néo-flamande (Nieuw-Vlaamse Alliantie, N-VA), lié au Vlaams Blok (VB). Le MR n’avait obtenu qu’un quart des votes francophones.

C’est la première fois en 26 ans que le PS ne fait pas partie du gouvernement. Par contre c’est la première fois que le N-VA anti-Union européenne entre au gouvernement au niveau national.

La grève de masse témoigne de la profonde opposition au sein de la classe ouvrière à l’égard de la politique d’austérité poursuivie par l’ensemble de la classe capitaliste européenne. Cette grève survient dans le contexte d’une série de grèves menées partout en Europe contre les coupes sociales, notamment celle en ce moment des conducteurs de train allemands, et au moment où le gouvernement PS (Parti socialiste) organise en France la répression sanglante de manifestations contre le meurtre par la police d’un militant écologiste, Rémi Fraisse.

Le problème central auquel les travailleurs sont confrontés, est toutefois celui d’arracher leur combat des mains de la bureaucratie syndicale et de la mener sur la base d’une lutte contre le capitalisme, pour l’unification des travailleurs de toutes nationalités, en Belgique et en Europe.

Il faut mettre en garde de la façon la plus vive contre les organisations qui appellent actuellement aux manifestations en Belgique et qui les contrôlent: le PS belge francophone, ses alliés de la pseudo-gauche et la bureaucratie syndicale. Leur but est de garder leur mainmise sur la classe ouvrière afin d’empêcher une lutte révolutionnaire et d’imposer de cette manière les coupes exigées par le capital financier international.

Le dirigeant du PS et premier ministre sortant Elio Di Rupo a défilé avec les manifestants et a dit au quotidien britannique Daily Telegraph, « Je partage les craintes des gens et les mesures prises par le gouvernement sont injustes. » Mais le vice-premier ministre Alexander de Croo s’est moqué de Di Rupo en soulignant l’hypocrisie de sa soudaine conversion à une opposition aux coupes sociales. « Elio manifeste avec les gens qui manifestaient contre lui il y a deux ans, » a-t-il dit à L’Avenir, en faisant allusion au gouvernement Di Rupo (2011-2014) qui avait imposé des milliards d’euros de coupes sociales aux travailleurs. (Voir : « L'opposition contre l'austérité s'intensifie en Belgique »).

De Croo a ajouté, « Il faut admettre qu’il y avait beaucoup de monde [à la manifestation de jeudi]… Tous les ministres compétents vont commencer à mettre en marche la concertation sociale et comment articuler les mesures. »

Les syndicats, comme d’habitude, sont surpris et terrifiés par le succès de leur manifestation. « Si ce gouvernement ne fait pas marche arrière, nous risquons de ne plus pouvoir contrôler nos troupes, » a dit un dirigeant du syndicat chrétien au journal Le Soir.

Les syndicats s’activent pour essayer de négocier un accord leur permettant de sauver la face et que l’Etat puisse utiliser pour présenter sous un jour plus favorable ses mesures d’austérité aux travailleurs. Selon des articles parus dans De Morgen, le gouvernement avait eu, même avant les protestations, des pourparlers secrets avec les principaux syndicats belges – la Confédération des syndicats chrétiens (SCS), la Fédération générale du Travail de Belgique (FGTB) et la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB). Jeudi, à 17 heures, alors que les manifestations duraient encore, les syndicats ont rencontré les négociateurs du gouvernement pour tenter d’élaborer des plans pour un nouveau train de coupes sociales qu’il pourrait présenter comme plus « en équilibre » entre concessions du patronat et attaques contre les travailleurs.

« Nous avons formulé les critiques sur le programme gouvernemental totalement déséquilibré. Le gouvernement les a écoutées poliment et à la fin a dit que le ministre de l’Emploi allait être chargé de prendre des contacts discrets et informels avec tous les partenaires sociaux individuels pour préparer une éventuelle concertation ultérieure, » a dit le président de la CSC, Marc Leemans.

Ceci correspondrait à une trahison de toutes les grèves actuellement organisées par les travailleurs belges et qui sont la raison pour laquelle le gouvernement s’empare avidement de la proposition faite par les syndicats.

Jeudi, à l’issue de la réunion avec les syndicats, le ministre de l’Emploi Kris Peeters avait déclaré, « Le but, c’est de voir les éléments sur lesquels nous pouvons discuter. J’ai été chargé de prendre des contacts discrets avec les syndicats, mais aussi avec les organisations patronales…Nous montrons ainsi que nous sommes ouverts au dialogue social. »

Peeters a toutefois indiqué que plusieurs exigences du gouvernement étaient non négociables, y compris un gel des salaires.

Les syndicats ont néanmoins salué l’offre de Peeters de négocier dans ces conditions, la secrétaire générale de la CSC Marie-Hélène Ska vantant ses mérites pour être une « initiative[s] visant à rétablir la confiance… Le gouvernement a semblé être à l’écoute, nous espérons que cela débouchera sur de la confiance. »

(Article original paru le 8 novembre 2014)

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