Le gouvernement japonais du Premier ministre Shinzo Abe fait monter les tensions avec Pékin, en insistant pour que le livre blanc annuel du ministère de la Défense, publié mardi, comprenne des critiques plus stridentes de la Chine, en particulier de ses activités en mers de Chine méridionale et orientale. Le document a été retardé de plus d'une semaine après que les parlementaires du gouvernement l'ont condamné comme trop mou sur la Chine et ont insisté qu'il soit modifié.
La publication du rapport modifié est intervenue quelques jours après que le gouvernement a fait voter par la chambre basse japonaise une nouvelle loi controversée sur la sécurité. En nourrissant les craintes sur la supposée menace chinoise, Abe tente clairement d'émousser la large opposition à ces lois.
Le livre blanc de 429 pages consacre un tiers de son chapitre sur les questions mondiales de défense à la Chine, déclarant que le Japon était «fortement préoccupé» par Pékin. « La Chine, en particulier sur les questions maritimes contradictoires, continue d'agir d'une manière autoritaire, avec des tentatives coercitives pour changer le statu quo, et est prête à imposer ses exigences unilatérales de façon cavalière sans compromis », a-t-il déclaré.
Le document exige l'arrêt de la construction de la Chine de plates-formes d'exploration pétrolières et gazières en mer de Chine orientale. « Nous avons confirmé que la Chine a lancé la construction de nouvelles plates-formes océaniques et nous réaffirmons notre opposition au développement unilatéral par la Chine », a-t-il déclaré.
Le ministère des Affaires étrangères japonais a ensuite publié des photos de l'exploration sur son site web, assorties d'une nouvelle déclaration. Tout en reconnaissant que toutes les plates-formes étaient du côté chinois d'une ligne médiane délimitant les zones économiques exclusives des deux pays, la déclaration a de nouveau critiqué « le développement unilatéral » de la Chine et a appelé Pékin à reprendre les pourparlers de 2008 sur le développement conjoint des ressources maritimes.
Au parlement japonais, le ministre de la Défense Nakatani a affirmé que l'une des plates-formes pourrait servir à « déployer un système radar » ou « de base d'opérations pour des hélicoptères ou des drones afin d'effectuer des patrouilles aériennes ». Dans un commentaire intitulé «Une nouvelle menace chinoise dans la mer de Chine orientale? Pas si vite », le site web Diplomat a rejeté la prétendue menace, soulignant que la Chine n'obtiendrait aucun avantage en déplaçant ses opérations de surveillance actuelles vers ces plates-formes.
En exigeant l'arrêt des plates-formes d'exploration, le gouvernement Abe crée une nouvelle poudrière deplus dans son conflit avec la Chine. Les tensions entre les deux pays sont déjà élevées après la « nationalisation » unilatérale de plusieurs îlots en mer de Chine orientale, appelés Senkaku au Japon et Diaoyu en Chine, par le gouvernement japonais précent. Selon le livre blanc, l'armée japonaise a fait décoller d'urgence des avions de chasse 464 fois au cours de 2014 pour intercepter des avions militaires chinois à proximité de l'espace aérien revendiqué par le Japon.
Le livre blanc a répété la litanie d'accusations contre la Chine qui est devenue monnaie courante pour les États-Unis et ses proches alliés, dont le Japon. En particulier, il traite les activités chinoises de construction d'îlots en Mer de Chine méridionale comme une menace pour la sécurité régionale et critique « l’opacité » du budget militaire chinois.
Le ministère chinois de la Défense a riposté en déclarant que le livre blanc « mettait malicieusement en avnt les questions de la Mer de Chine orientale, de la Mer de Chine méridionale, de la sécurité de l'Internet et de la transparence militaire ». Le porte-parole chinois du ministère des Affaires étrangères Lu Kang a sommé le Japon « d'arrêter d’attiser les tensions » et « d'entreprendre plus d'activités propices à la paix et la stabilité régionale ».
En exacerbant les tensions avec la Chine, Abe espère détourner l'opposition généralisée du public à sa législation de défense, qui autorise l'armée à se livrer à « l’autodéfense collective », en clair, à accroître la participation du Japon à des guerres d'agression menées par les USA autour du monde.
De nombreux experts juridiques japonais ont critiqué les lois comme étant inconstitutionnelles. L’Article 9 de la constitution japonaise d'après-guerre renonce à la guerre pour toujours et déclare que Tokyo ne maintiendra pas de forces armées terrestres, aériennes, ou navales.
La législation, qui doit encore être adoptée par la chambre haute, a provoqué des manifestations et un effondrement de soutien au gouvernement. Un sondage Kyodo publié samedi établit la cote de désapprobation d’Abe à plus de 50 pour cent pour la première fois depuis l'élection de son gouvernement en 2012.
L'administration Obama a constamment poussé Tokyo à adopter une position plus agressive envers Pékin. En avril 2014, Obama a affirmé publiquement que les Etats-Unis soutiendraient le Japon dans une guerre contre la Chine sur les îles Senkaku / Diaoyu. Washington, qui encourage Tokyo à jouer un plus grand rôle militaire en Asie, a félicité Abe pour sa nouvelle législation.
Ces derniers mois, le Pentagone attise les tensions avec Pékin en Mer de Chine méridionale, en faisant voler des avions militaires à proximité des atolls et des récifs contrôlés par la Chine. Samedi, l'amiral Scott Swift, le commandant de la flotte américaine du Pacifique, a rejoint un vol de surveillance de sept heures à bord d’un avion de surveillance Boeing P-8 en la Mer de Chine méridionale.
Swift fait une tournée en Asie, pour visiter les Philippines, la Corée du Sud et le Japon. A Manille, vendredi dernier, il a déclaré qu'il était «très intéressé» par la possibilité de transformer les exercices militaires bilatéraux actuels dans la région en exercices multinationaux. Il a salué les efforts des Philippines pour tenir des exercices militaires avec d'autres alliés des États-Unis, dont le Japon. Pour la première fois, le Japon a tenu des exercices le mois dernier avec le personnel de la marine des Philippines à bord d'un vol de surveillance japonaise au-dessus de la Mer de Chine méridionale.
La Chine a annoncé avant hier son propre exercice militaire et naval en mer de Chine méridionale près de l'île de Hainan, en avertissant d’autres navires militaires d’éviter la zone. Le général Zhu Chenghu a minimisé tout rapport avec le livre blanc japonais, en disant qu’il faut des mois pour préparer un exercice militaire de cette envergure.
Toutefois, en exacerbant les tensions avec la Chine, Washington et Tokyo créent une poudrière dangereuse, où un incident ou accident impliquant un avion ou un navire militaires en Mer de Chine méridionale ou orientale menace de déclencher une escalade de conflit entre des puissances nucléaires qui pourraient échapper à tout contrôle.
(Article paru en anglais le 23 juillet 2015)