Perspectives

L'affrontement russo-américain en Syrie et le risque d'une guerre mondiale

Le lancement de frappes aériennes russes contre des milices islamistes en Syrie, dénoncées de manière belliqueuse par Washington, fait peser la menace non seulement de nouveaux massacres en Syrie, mais d'une confrontation militaire même plus dangereuse entre les deux plus grandes puissances nucléaires du monde. 

Obama et Poutine prétendent tout deux qu'ils envoient leurs armées en Syrie pour faire la guerre à l’État islamique (EI) dans le cadre d'un combat plus large contre le terrorisme. Tout deux mentent.

Washington, qui a engendré l'EI, est intervenu en Syrie pour promouvoir les objectifs de l'impérialisme américain et de ses principaux alliés régionaux : l'Arabie saoudite, la Turquie, les monarchies pétrolières du Golfe persique et Israël. Ils cherchent à renverser le président syrien Bachar al-Assad et à le remplacer par un gouvernement fantoche soumis à leurs intérêts.

L'objectif principal de Moscou en Syrie n'est pas d'éliminer le terrorisme, mais de maintenir le régime d'Assad au pouvoir, avec ou sans Assad comme président, et conserver ainsi son seul allié et point d'appui au Moyen-Orient. La Syrie est le site de l'unique base navale russe à l'extérieur de l’ancienne Union soviétique.

Deux grandes forces militaires étrangères, chacune prétendant lutter contre le même ennemi, luttent en fait pour des objectifs diamétralement opposés. Des dizaines d'avions de combat de puissances mutuellement hostiles mènent des opérations militaires dans un pays à peine plus grand que l’État américain du Missouri. Le potentiel d’affrontements armés entre eux est indéniable.

Les raisons de l'intervention du gouvernement Poutine en Syrie sont claires. Il craint que si Washington réussit à renverser Assad, cela intensifiera la politique américaine d’encerclement, d’affaiblissement et finalement de démembrement de la Russie elle-même. Des milliers de combattants islamistes qui se sont déversés dans la Syrie de Tchétchénie et d'autres régions du Caucase seront renvoyés chez eux pour mener des soulèvements séparatistes contre Moscou, sans aucun doute avec le soutien des États-Unis, de l’Arabie Saoudite, du Qatar, etc.

La répression brutale par Moscou de la population tchétchène au cours de deux guerres a créé un terreau fertile pour une telle opération.

La destruction du régime Assad, en outre, favoriserait la poussée de Washington pour affirmer son hégémonie sur l'ensemble du Moyen-Orient. Cela ouvrirait la voie à un nouveau gazoduc qui fournirait au Qatar un accès plus direct au marché d’Europe occidentale, portant atteinte aux intérêts des conglomérats énergétiques russes.

Si l'intervention militaire de la Russie en Syrie a un caractère défensif, elle est néanmoins totalement réactionnaire. Son but n'est pas de défendre le peuple syrien, ni d’ailleurs de protéger les travailleurs en Russie elle-même. Au contraire, elle vise à défendre les intérêts de l'élite dirigeante russe, que représente le régime de Poutine.

Cette classe d'oligarques criminels qui se sont enrichis grâce à la dissolution de l'Union soviétique, au vol des biens de l’État, et à l'appauvrissement de la classe ouvrière soviétique, est organiquement incapable de mener une action progressiste sur la scène mondiale. C'est un régime comprador, qui ne peut maintenir de véritable indépendance par rapport à l'impérialisme.

L’Église orthodoxe russe a bien résumé le caractère réactionnaire de l'intervention de Moscou mercredi, en la qualifiant de « guerre sainte. »

Ceci dit, les dénonciations par Washington des actions de la Russie sont plus qu’hypocrites. Le Secrétaire à la Défense américain Ashton Carter a dénonce la Russie mercredi, affirmant que ses frappes aériennes revenaient à « jeter de l'huile sur le feu. »

L'incendie a été déclenché par Washington, ses alliés européens dont la France, et la monarchie saoudienne ainsi que les autres émirats pétroliers réactionnaires qui constituent les principaux alliés de l’impérialisme américain au Moyen orient. Les milices islamistes que les États-Unis prétendent combattre sont leurs propres créations, armées, financées et soutenues pour servir de troupes au sol dans une guerre pour renverser le régime en Syrie, comme elles l’ont fait en Libye.

Carter et d'autres responsables américains ont accusé la Russie de frapper non seulement l'EI, mais aussi d'autres milices qui luttent contre le régime d'Assad. « Ils ont attaqué les endroits où [l'EI] n'est pas présent », a-t-il déclaré. Cette expression dissimulait le lien entre Washington et les forces qui était « présentes », c'est à dire au Front al Nosra, la filiale d'Al Qaïda en Syrie. Les soi-disant rebelles « sélectionnés » par l'armée américaine, que celle-ci a formés, armés et renvoyés en Syrie, ont à plusieurs reprises remis leurs armes à al Nosra et l'ont rejoint peu après leur arrivée. Voilà pour la « guerre contre le terrorisme ».

Les États-Unis mènent une guerre sans fin à l’échelle mondiale qui détruit un pays après l'autre, un fait souligné cette semaine par la prise de la ville afghane de Kunduz par les talibans et l'annonce que 10.000 soldats américains resteront dans le pays, 14 ans après l’invasion américaine initiale.

Le risque que cette politique militariste provoque une confrontation directe avec la Russie et un embrasement général est réel. En avril dernier, le Pentagone a annoncé qu'il avait modifié les règles d'engagement américaines en Syrie pour permettre une action militaire contre toute force qui attaquerait des « rebelles » soutenus par les États-Unis. Le régime saoudien menace de lancer une intervention militaire directe. De plus, la France a commencé ses propres bombardements cette semaine, en déclarant que ses frappes ne viseraient pas seulement l'EI, mais aussi le régime syrien, aux côtes duquel se battent les Russes.

Entretemps, les États-Unis et l'OTAN ont considérablement renforcé leur présence et leurs préparatifs militaires à travers l’Europe de l'Est, suite au coup d’État soutenu par l'OTAN l’année dernière en Ukraine. La Russie a également renforcé ses forces près de ses frontières occidentales.

La classe ouvrière internationale doit s'opposer au carnage en Syrie et à la menace d’une guerre mondiale par ses propres moyens. Elle ne peut pas accorder le moindre soutien à l'intervention de la Russie, ni à tout autre pouvoir capitaliste. Il est nécessaire, selon l'expression de Trotsky, de « suivre la carte, non de la guerre, mais de la lutte des classes. »

Les travailleurs doivent se battre pour le retrait de toutes les forces militaires étrangères d’Irak, de Syrie et de l’ensemble du Moyen-Orient. La défaite des interventions impérialistes comme celles menées par les États-Unis en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie ne peut être assurée que par l'union de la classe ouvrière à travers les frontières religieuses, ethniques et nationales dans une lutte commune pour la révolution socialiste internationale.

(Article paru en anglais le 1er octobre 2015)

 

 

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