Le parti travailliste britannique ouvre la voie à une intervention en Syrie

Le premier ministre David Cameron a dit qu'il n'organiserait un vote sur une guerre en Syrie que s'il y avait un « consensus » au Parlement. Le parti travailliste a répondu en donnant son assentiment. 

Cette formule prudente de Cameron lui était dictée par la défaite cuisante au parlement, en août 2013, du gouvernement conservateur-libéral démocrate sur la question des frappes aériennes en Syrie. Les travaillistes du Labour Party, alors dirigés par Ed Miliband, avaient voté « non », comme d'autres partis d'opposition et une fraction du parti conservateur. 

Le Labour se sentait obligé de faire connaître son opposition vu l'hostilité écrasante de la population à une guerre en Syrie et les craintes au sein de l'armée que la victoire n'était pas assurée. 

Après ce vote, les travaillistes ont tout fait pour se racheter, notamment en votant des frappes aérieinnes en Irak en septembre l’an dernier. Mais les Conservateurs, qui ne disposent que d'une faible majorité au parlement et ayant souffert une rébellion de 30 de leurs parlementaires en 2013, doivent s'assurer du soutien de 35 parlementaires travaillistes pour être sûrs d'emporter le vote. 

Cameron pouvait se sentir en confiance vu que 50 parlementaires travaillistes lui avaient promis leur soutien. Cependant, l'élection de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste en septembre risquait de changer la donne, car il avait annoncé qu'il mènerait une politique anti-austérité et anti-guerre. Il a même dit qu'il ne pourrait envisager « aucune circonstance » qui l’amènerait à soutenir un déploiement de troupes britanniques à l'étranger. 

Toutefois, au lieu de lutter pour sa position, Corbyn a cédé l'initiative aux forces pro-guerre à l'intérieur du parti travailliste. Il a nommé une majorité de parlementaires de droite, pro-guerre, à son ‘cabinet fantôme’, dont Hilary Benn en tant que ministre fantôme des Affaires étrangères et Maria Eagle à la Défense. 

A la conférence du Labour en septembre, on n'a accordé à un débat sur une éventuelle guerre en Syrie que 20 minutes, le dernier jour. Les délégués ont voté une résolution non contraignante contre un bombardement britannique de la Syrie sans l’aval de l'ONU; mais la permission de l'ONU est peut-être moins critique maintenant que Washington et Moscou bombardent la Syrie sans elle. En plus, la conférence du Labour a proposé de créer des « zones tampon » protégées par des zones d'exclusion aérienne et des troupes prêtes à intervenir par la force. 

Peu après la conférence, Corbyn et son ministre fantôme des Finances, John McDonnell, ont promis que les parlementaires travaillistes auraient droit à un « libre vote selon leurs consciences » sur une intervention militaire en Syrie si les conservateurs la proposaient. 

Même ceci n'a pas suffi à appaiser la droite du parti. 

Le 11 octobre, l'Observer a publié une lettre coécrite par le dirigeant conservateur Andrew Mitchel et la parlementaire travailliste Jo Cox, intitulé « Les forces britanniques pourraient aider à trouver une solution éthique en Syrie ». Ils ont proposé une intervention militaire afin de « mettre fin à la plus grande crise humanitaire au monde ». Cox a proposé de lancer un groupe parlementaire bipartite qui agiterait pour que Londres impose une zone d'exclusion aérienne en Syrie, même face à un véto russe et chinois à l'ONU. Hilary Benn a applaudi sa décision de travailler ouvertement avec la droite. 

Deux jours plus tard, plusieurs hauts responsables du cabinet fantôme ont rencontré Corbyn dont Benn, Eagle et le Lord chancelier fantôme Lord Falconer. Une déclaration écrite par Benn et approuvée par Corbyn qui « clarifiait » la position du parti sur la Syrie fut publiée dans le Guardian. Elle insiste sur le fait que les travaillistes pourraient soutenir une guerre sans autorisation de l'ONU. 

Ils déclarent : « On devrait à présent pouvoir obtenir un accord sur une résolution en vertu du Chapitre VII de la Charte de l'ONU au Conseil de sécurité, car quatre des cinq membres permanents—les USA, la France, le Royaume-Uni et la Russie—interviennent déjà contre EI/Daesh en Irak ou en Syrie ou dans les deux pays ». Cependant, puisque « nous savons que toute résolution pourrait se voir opposer un véto... dans ce cas, il faudrait ré-examiner notre position ». 

Cox a dit que Corbyn était « courageux et audacieux » et qu'il faisait « ce qui est juste ». 

Cela reprend la « politique extérieure éthique » de l’ex-premier ministre travailliste Tony Blair lui ayant servi à justifier sa participation à de nombreuses guerres, y compris en Afghanistan et en Irak. En plus, l’exigence de « zones tampon » crée non seulement la base d’un dépeçage officiel de la Syrie, mais encore la menace d'un conflit militaire direct avec la Russie, qui soutient le régime d'Assad. Benn écrit carrément que l'intervention russe « change la situation sur le terrain », et que « le besoin d'agir pour mettre fin à la guerre civile en Syrie est beaucoup plus pressant ». 

Une fois de plus, les événements donnent tort aux groupes de la pseudo gauche selon lesquels l'élection de Corbyn signalait une renaissance politique du Labour. Le groupe pabliste Unité de Gauche a écrit qu'après « La victoire du peuple ... Tout est possible ». 

Le remplacement d'un chef ou même l'afflux de nouveaux membres ne change en rien le caractère du parti travailliste. Celui-ci est déterminé par son programme politique et sa longue défense des intérêts de l'impérialisme britannique depuis plus d'un siècle. 

Corbyn votera peut-être quand même contre la guerre si sa « conscience » lui dit de le faire. Mais il a donné une victoire à la droite travailliste sans combattre—au nom de « l'unité du parti » et d'une « nouvelle politique » de « leadership collectif ». On estime à présent que Cameron pourrait obtenir le soutien de 100 parlementaires travaillistes (sur 232) en présentant l'intervention militaire comme une mission humanitaire. 

Ce weekend, Corbyn est devenu vice-président de la Campagne pour le désarmement nucléaire, mais son parti votera pour garder une force de frappe nucléaire. La semaine dernière, il a obtenu un vote au sein du Labour pour s'opposer à la « Charte de responsabilité fiscale » du gouvernement qui ferait de l'austérité la loi du pays, mais les municipalités travaillistes à travers le pays continueront à imposer toutes les coupes sociales dictées par les conservateurs. 

Un vrai mouvement anti-guerre doit se fonder sur la mobilisation des travailleurs britanniques et internationaux contre le système capitaliste, qui est la cause fondamentale de la guerre. 

Le rôle de Corbyn est d'empêcher que la montée de l'hostilité à l'austérité, au militarisme, et à la guerre—sentiments qui ont entrainé son élection—ne conduisent à la nécessaire révolte politique contre le Labour et à la construction d'un parti réellement socialiste de la classe ouvrière. 

(Article original publié le 19 octobre 2015)

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