L’Allemagne enverra 1200 soldats en Syrie

Quelques jours seulement après que le gouvernement allemand a annoncé qu’il déployait des avions Tornado, un navire de guerre, un avion-citerne et de la technologie satellitaire pour les opérations de combat en Syrie, l’étendue et les coûts de la mission militaire deviennent de plus en plus clairs. 

Dimanche dernier, dans un entretien de deux pages avec Bild am Sonntag, sous le titre martial « le général le plus haut gradé de l’Allemagne déclare la guerre », le général Volker Wieker a révélé que l’Allemagne enverrait au moins 1200 soldats en Syrie. Wieker a déclaré que si « décision finale » sur le nombre de soldats pour être inclus dans le mandat n’a pas encore été prise, « d’un point de vue militaire […] environ 1200 militaires, hommes et femmes, seront nécessaires pour le fonctionnement des avions et des navires ». 

Le lundi, la chaîne allemande ARD News a indiqué qu’une présentation commune du ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier (Parti social-démocrate SPD) et la ministre de la Défense, Ursula Von der Leyen (Union chrétienne-démocrate CDU) a précisé « la zone d’opérations comme le golfe Persique, la mer Rouge et de la zone maritime adjacente, « tout en laissant la place à » une éventuelle extension de la mission » Le texte de 16 pages, qui devrait être approuvé aujourd’hui par le gouvernement, chiffre le coût de l’opération à 134 millions d’euros. 

Cela fait de l’opération en Syrie le déploiement à l’étranger le plus grand géographiquement et le deuxième par son coût de toute l’histoire de la Bundeswehr (les forces armées allemandes après la Deuxième Guerre mondiale). Sans même tenir compte des augmentations probables une fois que le déploiement commencera. Dans le cadre des missions de l’OTAN en Afghanistan et au Kosovo, 996 et 907 soldats allemands sont actuellement déployés dans ces pays, respectivement. 

Pour les missions de la Bundeswehr à l’étranger, le ministère de la Défense a estimé les coûts en 2015 à 460 millions d’euros, dont 263,2 millions pour l’Afghanistan. Presque du jour au lendemain, et sans aucun débat public, une intervention de combat a été mise en mouvement dont les conséquences et l’ampleur finale restent inconnues. 

Il y a un aspect sinistre supplémentaire à l’entretien accordé par Wieker. Soixante-dix ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le principe constitutionnel de la primauté des autorités civiles sur l’armée est bouleversé. Comme dans l’empire du Kaiser et sous les nazis, l’armée allemande joue à nouveau un rôle central dans l’élaboration de la politique étrangère et militaire de l’Allemagne. 

En présentant l’entrevue avec Wieker, le Bild am Sonntag a rapporté que « le plus haut gradé de l’Allemagne », dans « son bureau du ministère de la Défense », était en train de planifier « des missions de combat contre l’EI. » Dans l’interview, Wieker sur plusieurs questions s’est exprimé politiquement de façon explicite. Le journal écrit que le général, lorsqu’on lui a demandé « combien de temps la Bundeswehr serait impliquée dans l’opération en Syrie », a déclaré que si les politiciens décideront de « la durée », la Bundeswehr serait « militairement autonome. » 

Wieker a parlé explicitement en faveur du déploiement de forces terrestres en Syrie et a annoncé un réarmement massif de la Bundeswehr. Il a dit que l’EI ne pourrait « certainement pas » être battu tout simplement par des frappes aériennes et a ajouté que les « troupes les plus adaptées » pour la lutte sur le terrain sont celles qui ont une « grande motivation pour défendre leur propre pays. » D’un « point de vue militaire », a-t-il poursuivi, « tout ce qui attaque l’EI » est bénéfique. 

À la fin de l’entretien, le général a annoncé, « Employant environ 5,6 milliards d’euros, nous allons investir massivement dans les prochaines années dans l’amélioration de l’état de préparation opérationnelle de la Bundeswehr. » Quelque 650 mesures ont déjà été lancées et beaucoup d’entre elles montreraient un « effet durable en 2017 », a-t-il ajouté. 

Il a déclaré que la « capacité opérationnelle » des principaux chars de combat et des véhicules de transport blindés, des navires et des sous-marins, ainsi que des avions Tornado et Eurofigter ou des avions de transport a été améliorée, mais que la situation en ce qui concerne les hélicoptères n’était « toujours pas satisfaisante. » 

La décision du gouvernement lundi a été accompagnée d’une véritable hystérie guerrière de la part de personnalités politiques et des médias. Von der Leyen a publié un soi-disant « Plan en six points contre l’EI » dans le Bild. Dans ce document, elle déclare que l’Allemagne et « tout le monde dans l’Alliance » devaient montrer leur « force militaire » et « affaiblir l’EI, limiter sa gamme de mouvement, détruire ses centres d’entraînement, reprendre les villes, une par une, couper les recettes pétrolières de l’EI, et briser son aura d’invincibilité. » 

Pour atteindre ces objectifs, un « mariage de convenance politique temporaire » était nécessaire. « La lutte contre l’EI doit être une priorité absolue », écrit Von der Leyen, « pour la France ainsi que pour les États-Unis, la Chine, la Russie, la Turquie, l’Iran, les États arabes et nous. » Cela signifie que des « frappes aériennes doivent être clairement dirigées contre l’EI, pas contre les opposants au dictateur Assad, qui terrorise son peuple avec des bombes barils. » 

Au nom de la lutte contre l’EI, l’Allemagne poursuit une stratégie de rassembler toutes les puissances à la table des négociations pour installer un régime fantoche en Syrie, ce qui permettrait à Berlin d’avancer ses intérêts géostratégiques et économiques à travers le Moyen-Orient. 

Les généraux allemands, les politiciens et les journalistes véreux qui ont sonné le tocsin pour une intervention allemande massive en Syrie connaissent bien les crimes qu’ils préparent. Stefán Kornelius de la Süddeutsche Zeitung a déclaré dimanche au « Press Club », une émission de l’ARD, que l’intervention en Syrie « ne serait pas une histoire propre » qui produirait des « lauriers moraux. » 

Il a donné libre cours à ses rêves d’un nouveau cycle de la politique coloniale allemande. Kornelius a déclaré que le retrait des troupes occidentales d’Afghanistan était une erreur. Il dit que la réorganisation de la Syrie prendra « un temps incroyablement long » et sera « extrêmement coûteuse », notant que la construction nationale est « une question de décennies, et non pas quelques années. » 

Lundi, le rédacteur en chef de Die Welt, Stefán Aust, qui, après les attentats à Paris, a appelé à une « guerre mondiale contre le terrorisme », a publié un article apocalyptique sur l’issue probable de l’escalade de la guerre en Syrie. Il a écrit sur une nouvelle « guerre de Trente Ans dans le Moyen-Orient », et prophétisé, « Peut-être que l’an 2015 maintenant à sa fin restera dans l’histoire comme le dernier été de la paix en 1913, ou la tentative aussi désespérée et infructueuse l’apaisement avant que la [deuxième] grande conflagration n’éclate. »

(Article paru d’abord en anglais le 1er décembre 2015)

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