Le Canada augmente considérablement ses dépenses militaires

Le gouvernement conservateur du Canada a annoncé une augmentation considérable des dépenses militaires dans le dernier budget fédéral présenté à la fin du mois dernier.

À partir de 2017, les dépenses militaires prévues dans le budget augmenteront de 3%, au lieu du 2% actuel. Ce qui entraînera une hausse de 11,8 milliards $ des dépenses des Forces armées canadiennes sur une décennie. En additionnant ces hausses successives, le budget militaire de 2026 sera 2,3 milliards $ plus élevé qu'il l'est actuellement.

Le dernier budget fédéral a aussi annoncé des dépenses militaires supplémentaires de 390 millions $ pour l'année financière en cours qui commence le 1er avril. Le total des dépenses est donc bien au-delà des 18,941 milliards de dollars qui avaient été présentés par le gouvernement conservateur dans leurs prévisions au parlement en début mars.

De ce 390 millions $, 360 millions $ serviront à financer l'expansion et la prolongation de la mission canadienne dans la nouvelle guerre dirigée par les États-Unis au Moyen-Orient. Fin mars, le premier ministre Stephen Harper avait annoncé que l'intervention des Forces armées canadiennes en Irak allait être prolongée de 12 mois, jusqu'en avril 2016, et que les forces aériennes du Canada allaient bombarder des cibles en Irak et en Syrie.

Selon le ministre de la Défense Jason Kenney, le Canada aura dépensé en avril 2016 520 millions $ pour faire la guerre en Irak et en Syrie.

Dans le budget, 7,1 millions $ de plus ont été accordés aux Forces armées canadiennes pour financer le déploiement de 200 instructeurs militaires en Ukraine. Ces instructeurs seront responsables de l'entrainement de forces loyales au gouvernement pro-Occident qui a été installé à Kiev dans le coup d'État de février 2014 fomenté par les États-Unis et exécuté à l'aide de forces fascistes.

Les dernières hausses des conservateurs consacrées aux dépenses militaires ont été peu commentées dans les grands médias. Il est toutefois révélateur que les quelques commentaires qui ont été faits visaient surtout à critiquer le gouvernement pour en faire trop peu, trop tard: c'est-à-dire de ne pas augmenter radicalement les dépenses pour atteindre rapidement la cible fixée par l'OTAN de dépenses militaires équivalentes à au moins 2% du PIB.

Le quotidien Ottawa Citizen, par exemple, a publié un article intitulé «Budget fédéral: Malgré une hausse des dépenses, l'avenir de la défense demeure incertain» (Federal budget: Despite annual funding boost, defence faces uncertain times). L'article cite plusieurs analystes militaires qui se plaignent que les augmentations des conservateurs ne seront en vigueur qu'à partir de 2017 et qu'elles ne suffiront pas à compenser les coupes imposées par le gouvernement pour équilibrer le budget, tandis qu'il continue à réduire les impôts pour les grandes sociétés et les riches. Ce que l'article ne dit pas comme par hasard est que ces coupes n'avaient été effectuées qu'après que les conservateurs – continuant dans la voie qui avait été tracée par le gouvernement libéral Chrétien-Martin – eurent augmenté les dépenses militaires au point qu'elles soient en 2011, en termes réels, à leur plus haut niveau depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Il y a fort à parier que le gouvernement Harper conçoit cette récente hausse budgétaire des dépenses militaires comme un simple acompte. Des programmes importants de réarmement sont envisagés, y compris l'achat d'une nouvelle génération de chasseurs, probablement des F-35 américains, et une flotte entière de navires de guerre. Mais avec une élection prévue en octobre, le gouvernement se retrouve coincé dans une situation où la situation économique se détériore rapidement – ce qui l'a forcé à utiliser une série de subterfuges comptables et mesures exceptionnelles pour tenir la promesse qu'il fait depuis longtemps d'éliminer le déficit – et où la population canadienne s'oppose au programme militaire agressif de l'élite canadienne.

En septembre dernier, lorsque Harper avait été questionné par des journalistes sur la contradiction entre le fait qu'il demandait à l'OTAN d'appliquer encore plus de pression sur la Russie, mais qu'il tentait de minimiser l'appel de l'OTAN à ce que ses États membres consacrent 2% de leur PIB aux dépenses militaires, le premier ministre a admis que la population canadienne ne pourrait pas «comprendre» une telle hausse des dépenses militaires.

Les partis de l'opposition sont encore plus avares de paroles que les médias en ce qui concerne la tentative du gouvernement de consacrer encore plus de ressources à l'armée, au moment même où il dévaste les services publics et les programmes sociaux. Ce silence trahit le fait qu'ils sont d'accord avec ce programme et qu'ils l'appuient.

Toute l'élite politique – que ce soit les conservateurs, le NPD proche des syndicats ainsi que le Parti Québécois et le Bloc Québécois qui sont pro-indépendance du Québec – appuie la réorientation de la politique étrangère du Canada depuis le début du 21e siècle. Cette réorientation a pris la forme du rôle de premier plan que le Canada a joué dans toute une série de guerres et d'interventions militaires dirigées par les États-Unis: la guerre de l'OTAN contre la Yougoslavie en 1999, l'invasion et l'occupation de l'Afghanistan, l'expulsion en 2004 de Jean-Bertrand Aristide, président élu d'Haïti, et la guerre de l'OTAN en 2011 pour un «changement de régime» en Libye.

Le rôle du NPD, qui jusqu’en 2003 disait s’opposer à la participation du Canada dans l’OTAN, a été particulièrement important. Il a donné à maintes reprises son approbation aux tentatives de l’élite canadienne et de ses partenaires américains d’utiliser le prétexte d’une intervention humanitaire et la «responsabilité de protéger» pour couvrir leurs actions prédatrices.

L’affirmation voulant que le Canada, un important belligérant dans les deux guerres mondiales du siècle dernier, soit un «gardien de la paix» a toujours été frauduleuse. Cela faisait partie de la tentative de promouvoir un nationalisme canadien de «gauche» au cours des années 1950 et 1970 pour dompter politiquement la classe ouvrière. Tout au long de la Guerre froide, le Canada a été un allié dévoué de l’armée des États-Unis, un membre fondateur de l’OTAN et son partenaire au sein de NORAD. Pendant près d’un demi-siècle, les ressources militaires du Canada ont été majoritairement dédiées à la planification d’une Troisième Guerre mondiale contre l’Union soviétique. Ce genre d’opérations de maintien de la paix de l’ONU que le Canada a menées ou auxquelles il a participé étaient, il faut le souligner, toutes organisées avec l’approbation et le soutien de Washington.

Cela dit, la classe dirigeante canadienne est impatiente de participer à une résurgence de l’impérialisme. Guidées par les États-Unis, les grandes puissances capitalistes ravivent la guerre comme instrument politique, elles se réarment et transgressent régulièrement le droit international et la souveraineté des États.

Conformément à la nouvelle politique étrangère agressive du Canada, l’élite dirigeante tente de faire disparaitre la notion que le Canada serait un «gardien de la paix». Les médias célèbrent les prouesses de l’armée canadienne au cours des combats passés et actuels, tandis que Harper affirme fréquemment que le Canada est une «nation guerrière».

Bien que les Forces armées canadiennes n’aient pas mené de guerres pendant près de quatre décennies, de la fin de la Guerre de Corée à sa participation dans la guerre du Golfe en 1991, elles ont été presque constamment en guerre depuis le tournant du siècle: en Afghanistan (2001-2011), en Libye (2011), en Irak depuis l’automne dernier et maintenant en Syrie.

De plus, le Canada est profondément impliqué dans les trois grandes offensives stratégiques et militaires que les États-Unis mènent sur la scène mondiale.

#Il participe à la guerre contre l’État islamique – une guerre qui a émergé d’une série de guerres que les États-Unis ont menées au Moyen-Orient et qui a le même objectif, soit d’assurer l’hégémonie américaine dans la plus importante région exportatrice de pétrole au monde.

#Le Canada aide depuis longtemps les États-Unis dans leur tentative de transformer l’Ukraine en un satellite de l’Occident et d’étendre l’OTAN aux frontières de la Russie. Le gouvernement Harper, avec le plein soutien des partis d’opposition, a déployé des avions canadiens en Europe de l’Est et des navires de guerre dans la mer Noire afin d’intensifier les menaces de l’OTAN contre la Russie.

#En 2013, le Canada a signé une entente militaire secrète avec les États-Unis afin d’intégrer le Canada au «pivot vers l’Asie», la politique de Washington visant à encercler stratégiquement et isoler la Chine. Le Canada participe aussi au Partenariat transpacifique (PTP), à travers lequel Washington cherche à établir un vaste bloc économique dirigé par les États-Unis aux dépens de la Chine.

Le Centre de la sécurité des télécommunications (CST), il faut noter, est l’un des partenaires clés de l’Agence de sécurité nationale américaine (NSA). Le CST fait partie intégrante des deux opérations mondiales de la NSA: espionner les gouvernements et les citoyens à travers le monde puis aider le Pentagone et la CIA à faire la guerre et éliminer les «menaces à la sécurité».

Comme la classe dirigeante américaine, le Canada est secoué par le déclin de la puissance économique relative des États-Unis, son partenaire stratégique et économique de longue date, et par l’essor de nouvelles puissances. Le Canada calcule que la meilleure façon de défendre et affirmer ses propres intérêts prédateurs, ainsi que ses intérêts économiques et stratégiques de plus en plus importants sur la scène mondiale, est d’appuyer l’impérialisme américain dans sa tentative de consolider sa position mondiale par le déploiement de sa puissance militaire, le seul domaine où les États-Unis continuent de jouir d’une supériorité écrasante face à ses rivaux.

L’agression impérialiste à l’étranger va de pair avec l’assaut croissant de la bourgeoisie canadienne sur les droits démocratiques et sociaux de la classe ouvrière au pays – la criminalisation des grèves, l’expansion de l’appareil de sécurité nationale et le démantèlement systématique des services publics et des programmes sociaux.

C’est seulement à travers la mobilisation systématique de la classe ouvrière internationale sur la base d’un programme socialiste opposé à la guerre et aux inégalités sociales et en défense des droits démocratiques des travailleurs que peuvent être contrées la résurgence de l’impérialisme et la contre-révolution sociale. C’est seulement ainsi qu’il sera possible d’empêcher le capitalisme d’entraîner l’humanité dans une escalade de conflits militaires qui mènera ultimement à la guerre mondiale.

(Article paru d'abord en anglais le 2 mai 2015)

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