La crise sociale en Grèce : Première partie

Je n’aurais jamais pu imaginer tant de gens sans-abri à Athènes

Depuis 2009, l'infrastructure sociale de la Grèce s'est effondrée sous l'impact des mesures d'austérité les plus brutales en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Trois millions de personnes n'ont pas accès aux soins.

Selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de mars 2014, 30 pour cent de la population grecque vit en dessous du seuil de pauvreté et 17 pour cent ne peuvent subvenir à leurs besoins alimentaires quotidiens.

300.000 ménages n’ont aucun revenu. L'année dernière, l'allocation familiale, une somme dérisoire fixée à € 98,64 par an pour une famille avec un enfant, a été réduite de moitié pour 300.000 familles.

Quatre-vingt pour cent des Grecs ont réduit leurs achats de produits de base. Le chômage touche plus d'un quart de la population et plus de la moitié des jeunes. Beaucoup doivent vivre d'allocations chômage maigres et limitées dans le temps, pour lesquelles ils doivent souvent attendre des mois. Les chômeurs en fin de droits sont laissés sans revenu et sans droit à l'assurance maladie.

Selon l'ONG FEANTSA, jusqu'à 15 000 personnes à Athènes sont sans abri. Ce chiffre comprend tous ceux qui dorment dans la rue, ceux dans les foyers du Samu social, et ceux qui vivent dans un logement temporaire, insalubre ou de fortune, avec des amis ou des parents, ou dans des bâtiments abandonnés. En 2009, 7.720 personnes ont été enregistrées comme sans-abri. Selon l'ONG Klimaka, jusqu’à 2013 le chiffre s’élevait à plus de 20.000.

La queue devant une soupe populaire dans un quartier ouvrier d'Athènes en janvier

Des soupes populaires ou des services gérés par des municipalités, des églises, des organisations caritatives ou des ONG s'occupent de centaines de milliers de personnes. La soupe populaire d'Athènes fournit 1 400 repas par jour. Les journalistes du World Socialist Web Site se sont rendus dans le siège administratif de l'ONG PRAKSIS à Athènes. PRAKSIS (Programmes de développement, soutien social et coopération médicale) travaille à « la conception, l'application et la mise en œuvre des programmes humanitaires et des interventions médicales. »

Dans le rapport sur l’activité du groupe en 2011/2012, son président, Tzanetos Antypas, décrit la situation après deux années de compressions budgétaires brutales: « Aujourd'hui, notre société a une nouvelle classe de personnes qui vivent sans emploi, sans maison, sans salaire, sans papiers, sans médecin, sans médicaments, sans famille, sans allocations sociales, sans aucune dignité, sans avenir! »

Marianella Kloka

Marianella Kloka travaille pour PRAKSIS depuis environ 18 mois comme conseillère du service d’assistance juridique.

PRAKSIS a commencé en 2004 comme extension de Médecins sans frontières, se concentrant sur une polyclinique, dit-elle. « Nous étions principalement confrontés à des questions d'immigration. Mais après 2008, nous avons commencé à voir une situation différente. Outre les demandeurs d'asile et migrants, surtout à partir de 2010, nous avons eu beaucoup de Grecs qui avaient perdu leur assurance maladie et n'avaient pas accès aux soins. Ils étaient sans abri ou sur le point de l'être ».

« Au lieu de traiter principalement des questions d'immigration et des victimes trafiquées, nous sommes devenus une organisation qui essaie de lier les groupes vulnérables au système de protection sociale ».

PRAKSIS compte à peu près 150 employés à Athènes, Le Pirée, Thessalonique et Patras. « Nos unités mobiles dispensent des soins de santé de base et nous offrons un dépistage gratuit du VIH. Nous offrons également des services dans les régions du sud de la Grèce et les zones frontalières. Nous avons des programmes spéciaux d'aide aux migrants arrivant sur les îles grecques, principalement de la Syrie, d’où nous avons de grands flux de personnes ».

En moyenne, cent personnes par jour visitent une unité médicale de PRAKSIS. Il y a un centre médical à Athènes et un centre pour les sans-abri ouvert le jour à proximité dans le quartier Omonia. « Nous avons cinq types de soins – dentistes, dermatologues, cardiologues, gynécologues et un médecin généraliste », a déclaré Kloka.

Des sans-abri à la station de métro Monastiraki

Le nombre de réfugiés qui traversent la Méditerranée augmente continuellement, dit-elle. « Nous avons démarré une nouvelle unité en face de la gare de Larissis [la gare principale d'Athènes], et nous estimons que nous aurons 40 000 visites par an à cette unité ».

« Le nombre de familles qui ne sont pas autosuffisantes augmente. Elles ne sont pas loin d'être sans-abri ... Pendant six mois, nous essayons de couvrir leurs besoins de base, comme l'électricité et l'eau et les provisions au supermarché ».

« Avoir un tiers de la population sans travail crée de très gros problèmes. Certaines familles n’ont pas même un seul salaire. Il y a dix ou 15 ans, les familles investissaient pour acheter leur propre maison. Les banques faisaient des prêts à des familles, remboursables sur 40 ans ».

« Mais avec cette crise, quand vous vous retrouvez sans emploi, que faire? L'Etat devrait dire aux banques qu'elles ne peuvent pas faire payer des intérêts. Ils devraient réglementer les banques. Mais nous savons que ce n’est nulle part le cas, y compris en Europe. Nous avons des Etats réglementés par les banques, pas l'inverse! »

L'accès aux soins est basé sur la possibilité de payer une assurance santé. En raison du chômage de masse, « plus de trois millions de personnes ont été dépouillées de leur couverture de soins de santé », a déclaré Kloka.

Elle a ajouté: « Avec toutes les compressions budgétaires et les réductions de personnel, il y a un gros problème avec les services. Dans les hôpitaux, on voit des manifestations tout le temps. J'en vois au moins une fois par semaine ».

« Avant, une famille avait un peu d'argent à la banque et peut-être deux maisons, et si les jeunes voulaient s’en aller vivre ailleurs mais étaient ensuite touchés par la crise, ils rentraient à la maison. Si un membre de la famille avait un problème grave de santé, la famille saurait comment trouver l'argent pour les médicaments. »

« Cela est terminé. La première chose que [le social-démocrate] Papandréou a faite fut de casser le niveau minimum des pensions de retraite. Si ma mère avait 450 euros par mois pour sa retraite et avait de l'argent à la banque sur lequel nous nous appuyions pour vivre, ceci aussi c’est terminé. »

PRAKSIS gère aussi des centres de jour pour les sans-abri à Athènes, Pirée et Thessalonique.

« Je n'aurais jamais imaginé qu'il y aurait autant de sans-abri en plein centre d'Athènes », a déclaré Kloka. « Il y avait un très petit nombre de personnes qui vivaient dans les rues toute leur vie. Maintenant, je vois des jeunes dans la rue, je vois des gens de mon âge, autour de 40 ans. Ils sont là pour mendier ou dormir ».

Elle a ajouté que la Grèce était « un Etat dans l'Union européenne qui n'est pas en mesure de fournir des médicaments aux gens. C’est une chose pour laquelle je me suis battue en Afrique. Maintenant, je fais la même chose ici ».

(Article original publié le 9 mars 2015)

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