Perspectives

L'attaque par la Turquie d’un avion de combat russe et le danger de guerre mondiale

1. L'attaque d'un chasseur-bombardier russe par des avions de chasse turcs mardi sur la frontière turco-syrienne est un acte flagrant de guerre. Les autorités turques se sont saisies d’une violation alléguée de leur espace aérien par la Russie pour lancer une escalade monumentale de la guerre par procuration en Syrie entre combattants d'opposition islamistes soutenus par l'OTAN et le régime du président Bachar al-Assad soutenu par la Russie. Cela menace de provoquer une guerre entre la Russie d'une part et la Turquie et le reste de l'OTAN d'autre part. 

Les responsables turcs ont affirmé que le SU-24 russe avait violé l'espace aérien turc pendant une minute alors que les responsables russes eux, ont dit qu'il n'avait jamais quitté l'espace aérien syrien. L'armée de l'air turque n'a pas envoyé de chasseurs pour avertir l'avion russe ou l'escorter vers l'espace aérien syrien; après lui avoir, affirme-t-elle, lancé des avertissement pendant cinq minutes, elle l'a abattu. 

Il est impensable que la Turquie prenne une décision aux conséquences incalculables contre un voisin puissant sans approbation directe préalable du gouvernement américain. 

2. Les responsables américains ont soutenu l'attaque de l'avion russe par la Turquie, ce qui indique clairement qu'ils sont prêts à accepter un affrontement militaire direct avec la Russie, une puissance nucléaire, afin d'écraser son intervention syrienne en défense du régime Assad.

Lors d'une conférence de presse à Washington mardi avec le président français François Hollande, Obama a approuvé l'attaque de l'avion russe, affirmant que la Turquie avait « le droit de défendre son territoire et son espace aérien ». Cela équivaut à donner carte blanche à l’armée turque pour de nouvelles attaques contre des avions russes dans des circonstances semblables.

Obama a averti sans ambages la Russie de ne pas attaquer les milices de l'opposition islamiste, soutenues par l'OTAN, dans l'ouest de la Syrie: « Je pense que cela indique un problème récurrent des opérations russes dans le sens où elles ont lieu très près de la frontière turque et attaquent une opposition modérée soutenue non seulement par la Turquie mais par un vaste éventail de pays. Et si la Russie concentre son énergie sur Daesh et l’EI, certains de ces conflits ou potentiels d’erreurs ou d'escalade, seront moins susceptibles de se produire ».

Après Obama c’est l'ancien ambassadeur américain auprès de l'OTAN Nicholas Burns qui a indiqué clairement que le gouvernement turc avait agi par procuration pour Washington en abattant l'avion russe. Il a dit à PBS News que les responsables américains envisageaient de déclarer une zone d'exclusion aérienne sur la frontière turco-syrienne. Cela signifierait abattre les chasseurs russes survolant cet espace dans le but de protéger les forces islamistes d'opposition; c’est exactement ce que la Turquie a fait.

3. Les commentaires d'Obama et de Burns soulignent la nature frauduleuse de l’assertion de Washington que les Etats-Unis mènent une «guerre contre le terrorisme » visant les milices de l'Etat islamique (EI). Tout en prétendant s'opposer au terrorisme islamiste, Washington protège en fait les milices islamistes dans les montagnes de Lattakia; celles-ci incluent le Front Al Nusra lié à Al Qaeda et les combattants islamistes tchétchènes. Sous prétexte de combattre l’EI, Washington poursuit en fait de façon irresponsable ses ambitions géopolitiques au Moyen-Orient, actuellement axées sur le renversement d'Assad.

Cela n’est qu’une étape dans l’affrontement avec tout pouvoir posant un obstacle militaire aux ambitions de l'impérialisme américain, comme les principaux alliés d'Assad, Russie, Iran et Chine. Au moment même où il se préparait à une escalade du conflit au Moyen-Orient, Obama exploitait la semaine dernière des sommets de haut niveau en Asie pour intensifier la confrontation des Etats-Unis avec la Chine à propos des revendications territoriales de celle-ci en mer de Chine du Sud. 

4. Il est de plus en plus évident que l’Etat islamique est apparu et a été présenté dans les médias internationaux avant tout comme un prétexte aux guerres des pouvoirs impérialistes et en accord avec leurs besoins changeants. Après que le gouvernement Obama a cherché à justifier le retrait d'Afghanistan en assassinant Oussama ben Laden en 2011 – il se cachait alors au Pakistan, allié clé des Etats-Unis – la « guerre contre le terrorisme » n’eut pas de cible évidente. Washington et les autres pouvoirs de l'OTAN ont collaboré directement avec les milices islamistes, mandataires dans la guerre de Libye en 2011 et au début du conflit syrien.

La situation a changé cependant quand Washington et Paris ont été contraints de renoncer à une guerre en Syrie préparée en 2013, en raison de son impopularité et de profondes divergences au sein de l’establishment de la politique étrangère. Comme les pouvoirs de l'OTAN cherchaient un moyen de justifier une guerre, l'affirmation qu’ils se battaient contre le terrorisme islamiste – quoique entièrement démentie par le fait qu’ils s’appuient en permanence sur ces forces – leur paraissait de nouveau intéressant comme marketing pour la guerre.

Bien que ses activités se distinguent peu des attaques à la bombe et des atrocités commises par d'autres milices islamistes en Syrie, on a choisi d’attaquer l’EI dans les médias, alors que d'autres groupes islamistes similaires continuaient de bénéficier du soutien tacite et même explicite des États-Unis.

Les événements de mardi renforcent encore l'ombre de suspicion qui pèse sur les attaques du 13 novembre à Paris et sur la capacité stupéfiante des terroristes à réaliser une opération sous le nez des services de renseignement. Il existe en fait des liens étroits entre les groupes terroristes islamistes et les pouvoirs de l'OTAN. La panique sécuritaire créée après les attentats par les cercles dirigeants en Europe et la confusion répandue sur la guerre fantôme contre l’EI aident ces pouvoirs à engendrer le climat politique permettant de poursuivre leurs ambitions par des guerres généralisées, catastrophiques.

5. Le moment choisi pour abattre l’avion est très significatif; l’attaque s’est produite sur fond de conflit entre Washington et les pouvoirs impérialistes européens, notamment l’Allemagne et la France, au sujet du degré d'implication de la Russie dans un règlement néo-colonial projeté de la guerre syrienne. Washington a agi résolument pour saboter les tentatives européennes de négocier un accord avec la Russie.

Après les attaques de l’EI à Paris et les pourparlers de Vienne du 14 novembre, Hollande avait annoncé le projet de forger une coalition unie des Etats-Unis, de la Russie et des pouvoirs européens pour combattre l’EI en Syrie et négocier l'éviction d’Assad dans des conditions acceptables à toutes les principales puissances.

Mais alors que Hollande arrivait à Washington pour des entretiens avec Obama, l’attaque de l'avion russe l’a mis devant un fait accompli, interrompant ses ouvertures diplomatiques en direction de la Russie. L'attaque, a noté USA Today, « a gravement nui à l’effort de la France à construire une alliance avec les Etats-Unis et la Russie en vue de battre l'Etat islamique en représailles des attentats de Paris ».

6. Depuis le coup d’Etat en Ukraine soutenu par les Etats-Unis et l’Allemagne l'an dernier, le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) a maintes fois averti du danger d'une guerre mondiale. Ces avertissements se concrétisent avec une extraordinaire rapidité.

Aujourd'hui, les médias et les politiciens de premier plan parlent ouvertement du danger de guerre entre des puissances nucléaires comme la Russie et l'OTAN. Ce danger ne freine cependant pas l’imposition irresponsable d’intérêts impérialistes, surtout de la part des États-Unis. Ceux-ci intensifient au contraire la marche à la guerre.

7. Les régimes russe et chinois ne représentent en rien des contrepoids à la politique de plus en plus détraquée des puissances impérialistes.

Les événements de Syrie soulignent à nouveau les conséquences géopolitiques catastrophiques de la dissolution de l'URSS il y a un quart de siècle. Moscou veut défendre coûte que coûte l’influence qui lui reste au Moyen-Orient et empêcher les combattants islamistes de Tchétchénie et d'autres régions de Russie de renverser Assad et de retourner se battre en Russie, où ils peuvent facilement exploiter la colère provoquée par les conditions sociales désastreuses et la politique de chauvinisme russe du Kremlin.

L'avertissement de Trotsky se réalise que la restauration du capitalisme en Russie serait suivie de sa transformation en une semi-colonie. L'illusion de Poutine que l'offensive de l'impérialisme peut être contrecarrée en utilisant la puissance militaire russe est non seulement sans espoir, elle entraîne des conséquences catastrophiques. La politique du Kremlin oscille entre la capitulation à l'impérialisme et des mesures militaires irresponsables qui posent le danger d’une guerre mondiale avec les puissances impérialistes.

8. Une guerre mondiale est non seulement possible, elle est inévitable à moins qu'elle ne soit arrêtée par l'émergence d'un mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière internationale.

La guerre syrienne a commencé et s’est développée en une guerre par procuration explosive détruisant la vie de millions de gens et entraînant tous les principaux pouvoirs de la région alors que les puissances impérialistes cherchaient à écraser la révolution égyptienne ayant renversé Hosni Moubarak. La prochaine offensive politique de la classe ouvrière internationale doit se fonder sur la lutte pour le socialisme contre le danger imminent d’une guerre impérialiste mondiale.

(Article paru en anglais le 25 novembre 2015)

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