Le raid français à Rakka en Syrie était l'assassinat ciblé d'un citoyen français

Ce weekend, Le Monde a révélé que le raid aérien français à Rakka, dans la nuit du 8 au 9 octobre, était bien une tentative d'assassinat ciblé contre un ressortissant français, Salim Benghalem. 

Les faits annoncés par le quotidien contredisent directement les propos tenus à la suite du raid par le gouvernement PS, qui insistait pour dire que la frappe visait un bâtiment qui hébergeait des « combattants étrangers, dont probablement des Français et des francophones », de l'État islamique (EI). En fait, c'était une tentative d'exécution extrajudiciaire d'un ressortissant français. Si l'Etat a reconnu avoir tué six Français lors du raid, il n'a pas encore annoncé s'il estimait avoir également tué Benghalem. 

« Selon nos informations », écrit le journal, « l'ensemble de l'opération a pourtant été, en grande partie, pensé autour d'un Français, Salim Benghalem, 35 ans, originaire de Cachan (Val-de-Marne), présenté par les services de renseignement comme le responsable de l'accueil des Français et des francophones au sein de l'Etat islamique ». 

Cette opération marque un pas décisif dans la criminalisation de l'Etat et de la dégénérescence de la démocratie bourgeoise en France. La décision du PS de tenter l'exécution d'un Français sans aucune forme de procès, effectuée en violation patente de l'interdiction de la peine de mort inscrite dans la constitution, n'a aucun fondement légal. 

Sans surprise, Le Monde tente en tirant ses conclusions de ménager un gouvernement PS dont il partage la coloration politique social-démocrate. Cependant, ses révélations réduisent en miettes les divers prétextes par lesquels les hauts responsables français ont tenté de justifier une politique d'assassinat extrajudiciaire. 

Le PS a justifié l'opération en citant l'article 51 de la Charte de l'ONU, qui autorise la « légitime défense collective » entre Etats, à la demande d'un Etat agressé. Dans ce cas-ci, les autorités fantoches irakiennes, établies par l'occupant américain après l'invasion illégale de l'Irak par Washington en 2003, ont adressé une demande d'aide militaire aux puissances de l'OTAN pour combattre la progression de l'EI dans l'ouest de l'Irak.

Cependant, c'est en Syrie, non pas en Irak, que la France a selon les dires du PS lui-même exécuté six de ses citoyens, en tentant d'assassiner Benghalem par une frappe en Syrie. 

L'année dernière, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, avait bloqué la tentative du ministère de la défense d'étendre les frappes françaises contre l'EI de l’Irak à la Syrie, en affirmant que des frappes françaises en Syrie « n'avaient pas de bases légales ». 

A présent, sans autre fondement légal, les autorités françaises s'autorisent à mener en Syrie des frappes aériennes afin de liquider leurs propres citoyens. 

Le Monde relève que le recours à la « légitime défense collective » est particulièrement douteux comme moyen de justifier des frappes contre une organisation telle que l'EI. D'abord, le PS n'a présenté aucune preuve que Benghalem organisait une agression « imminente » qui aurait visé la France. 

Ensuite, selon Paul Laborde, directeur du Comité contre le terrorisme à l'ONU, « S'abriter derrière cet article pour mener cette frappe pose un problème juridique qui n'est pas réglé; ce sont des Etats qui peuvent arguer de cet article au titre de la légitime défense collective quand un autre Etat les attaque. Or, la frappe a visé une organisation terroriste, pas un Etat ». 

La tentative d'assassinat de Benghalem par Hollande s'inscrit dans le contexte d'une répudiation plus large par les gouvernements de l'OTAN de toute contrainte légale à leur capacité d'assassiner leurs propres citoyens. 

Déjà le 8 septembre, le gouvernement britannique avait annoncé l'exécution extrajudiciaire de deux citoyens britanniques, Reyaad Khan et Ruhul Amin, par la Royal Air Force le 21 août en Syrie. 

Quelques semaines avant l'attentat, les médias français ont soudain publié de nombreuses enquêtes sur Benghalem. Le Figaro, dans un article du 1er octobre écrit par Caroline Picquet, le dénonçait comme un « djihadiste français recherché par les États-Unis », alors que Le Monde avait écrit plusieurs articles à son sujet le 25 septembre, le traitant de « petit bandit français devenu geôlier de l'Etat islamique ». 

L'exécution extrajudiciaire de Benghalem par l'État français aurait été voulue, voire commanditée par Washington. Plusieurs publications affirment que le renseignement américain aurait transmis des éléments sur Benghalem à l'armée française avant la frappe, le département d'État américain l'ayant déjà inscrit sur une « liste noire » d'organisations et d'individus terroristes. Washington aurait craint Benghalem comme « figure montante » de l'EI, selon Le Monde

Une cabale militaire et du renseignement conspire activement contre les droits démocratiques des populations de part et d'autre de l'Atlantique. 

Ayant établi une doctrine d'assassinat extrajudiciaire en tuant le citoyen américain Anwar al-Awlaki lors d'une frappe de drone en 2011 – en violation du 5e amendement de la constitution américaine, selon lequel l'Etat ne peut ôter la vie à un citoyen américain sans procédure légale – des hauts responsables américains travaillent étroitement avec leurs homologues à Paris pour régulariser et légitimer publiquement le meurtre comme procédé politique. 

Le lien entre Benghalem et al-Awlaki n'est pas une affaire purement théorique, car Benghalem l'aurait croisé lors d'un parcours personnel qui soulève bien plus de questions qu'elle n’en résout. 

Il avait fait divers petits boulots avant de s'enfuir en Algérie, suite à une rixe mortelle à Paris en 2001. Jugé aux assises du Val-de-Marne en 2007, il a écopé de 11 ans de prison. 

Les autorités l'ont relâché en 2010, plusieurs années avant qu'il finisse de purger sa peine. Il a directement rejoint le « groupe des Buttes-Chaumont », un groupe d'islamistes parisiens dont faisaient également partie les auteurs des attentats de janvier contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, Amedy Coulibaly et les frères Chérif et Saïd Kouachi. 

Benghalem est parti s'entraîner trois semaines au Yémen en 2011, son voyage ayant été suivi de près par les services de renseignement de l'OTAN. Selon Le Point, il y « croise sans doute un gros poisson du radicalisme islamiste français, Peter Chérif, et raconte avoir rencontré des responsables d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), dont Anwar al-Awlaki, un Américain d'origine yéménite tué peu après par un drone américain ». 

Revenu en France sans être inquiété par les services français, Benghalem a décidé de se rendre en Tunisie en 2012 puis en Syrie en 2013, afin de rejoindre la guerre islamiste contre Assad soutenue par les puissances de l'OTAN. 

Après ce parcours, au cours duquel Benghalem évoluait sous la surveillance du renseignement, il est difficilement crédible que l'Etat français aurait ciblé par hasard le bâtiment où il aurait travaillé. 

Ceci discrédite également les déclarations officielles du début de l'année, selon lesquelles les auteurs de l'attentat contre Charlie Hebdo étaient des « loups solitaires » autoradicalisés et inconnus des services de renseignement. Comme le démontre la décision du ministère de l'Intérieur d'opposer le secret défense aux tentatives d'investiguer comment Coulibaly s'est armé, c'était des forces étroitement liées à l'État et dont le crime a servi de prétexte à de vastes attaques contre les droits démocratiques.

 

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