Washington dénonce la Russie et soutient l’escalade de la guerre en Syrie

Quelques heures seulement après que le secrétaire d'Etat américain John Kerry et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov eurent dévoilé un vague plan de « cessation des hostilités » en Syrie, le 12 février, les alliés des États-Unis ont poussé à une escalade majeure de la guerre à la Conférence sur la sécurité de Munich où étaient réunis les dirigeants de nombreux grands pays.

Samedi, les responsables turcs et saoudiens ont confirmé leur intention de commencer des bombardements et de lancer une invasion terrestre de la Syrie. « La Turquie et l'Arabie Saoudite peuvent lancer une opération terrestre », a déclaré le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu à Yeni Safak, ajoutant que l'Arabie Saoudite était « prête à envoyer avions de combats et troupes » à la base aérienne turque d’Incirlik.

Washington a donné sa bénédiction à ces opérations, bien qu’elles menacent de déclencher une guerre pouvant submerger l'ensemble du Moyen-Orient et dégénérer en guerre mondiale. Le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter avait déclaré le 12 février qu'il s’attendait à ce que des commandos d'Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis envahissent la Syrie. Carter a affirmé qu’ils attaqueraient l'Etat islamique (EI); mais la Turquie et l'Arabie Saoudite soutiennent les forces islamistes sunnites en Syrie comme l’EI et leur objectif y serait de détruire le régime du président syrien Bachar al-Assad.

Parlant au Süddeutsche Zeitung allemand le même jour, le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir a personnellement menacé le président syrien. « Il n'y aura pas de Bachar al-Assad à l'avenir, » a-t-il dit.

L'armée iranienne, dont les unités opèrent aux cotés des forces gouvernementales syriennes et russes contre les groupes islamistes sunnites soutenus par l'OTAN, a prévenu dimanche qu'ils riposteraient à l'escalade militaire turque et saoudienne. « Nous ne laisserons pas la situation en Syrie devenir incontrôlable pour que des Etats voyous puissent réaliser leur politique. Si nécessaire, nous prendrons des décisions appropriées », a déclaré le chef adjoint d'état-major, le brigadier-général Masoud Jazayeri.

Le Premier ministre russe Dmitri Medvedev a déjà averti que des opérations saoudiennes au sol pourraient provoquer une « nouvelle guerre mondiale. » Il a dit au Handelsblatt, « une opération terrestre entraînerait tous les participants dans une guerre. Par conséquent, les Américains et nos partenaires arabes doivent bien considérer s’ils veulent une guerre permanente. »

Alors que les bombardements russes et les offensives syriennes menacent de reprendre la ville d'Alep à l'opposition, l'OTAN et ses alliés signalent qu'ils sont prêts à se livrer à une escalade d’une stupéfiante irresponsabilité pour assurer la défaite d’Assad et de Moscou. La Conférence sur la sécurité a donné lieu samedi à une dispute sur la Syrie, Kerry et le premier ministre français Manuel Valls attaquant la Russie et avertissant que l'OTAN ne permettrait pas que ses mandataires islamistes soient battus.

Kerry a accusé Moscou « d’agressions répétées » en Syrie, et a déclaré: « À ce jour, la grande majorité, à notre avis, des attaques russes ont été menées contre des groupes d'opposition légitimes. »

« Assad et ses alliés, dont la Russie, croient peut-être qu’en défiant la volonté de la communauté internationale, ils peuvent gagner la guerre. Si tel est ce que pensent la Russie et Assad, alors je pense que les leçons des cinq dernières années leur ont échappé » a-t-il dit. Les forces de l'opposition soutenues par les Américains « peuvent être repoussées ici et là, mais elles ne vont pas se rendre, » ajouta Kerry.

Le premier ministre français s’est fait l’écho de la ligne dure de Kerry. «Nous savons que pour retrouver le chemin de la paix, le bombardement russe de civils doit cesser, » a-t-il déclaré.

Quel que soit le nombre de morts causé en Syrie par les frappes aériennes de l'oligarchie du Kremlin, les critiques de Kerry et Valls sont de l’hypocrisie et de la fausseté pures. La cause principale de la guerre, qui a fait 300.000 morts et forcé onze millions de Syriens à fuir leurs foyers, est la campagne de l'OTAN et de ses alliés au Moyen-Orient pour renverser Assad. Les milices islamistes sunnites comme Ahrar al-Sham ou les Brigades Farouq, qu'ils soutiennent comme forces « modérées d’opposition », préconisent en fait la création de théocraties sunnites et la violence sectaire contre les musulmans chiites.

Medvedev, qui était assis à côté de Valls dans la salle de conférence, a répondu en l'accusant de fabriquer ses accusations contre la Russie: « Il n'y a aucune preuve que nous bombardions des civils, même si tout le monde nous en accuse. »

Medvedev a ensuite attaqué la position de l'OTAN envers la Russie, la qualifiant d’hostile, et a comparé la situation à la crise des missiles cubains de 1962. « Nous sommes tombés dans une nouvelle guerre froide », a-t-il dit. « Presque chaque jour, on nous reproche d’être la plus terrible menace pour l'OTAN, pour l’Europe, pour l’Amérique et d'autres pays. Ils font des films d'horreur où la Russie commence une guerre nucléaire. Je me demande parfois: sommes-nous en 2016 ou en1962? »

L’allusion de Medvedev à la crise des missiles cubains, qui faillit conduire à une guerre nucléaire entre les Etats-Unis et l'Union soviétique, n’est pas une question futile. Au milieu de l'escalade des crises entre la Russie et l'OTAN – depuis l'Ukraine et la confrontation navale de la mer Noire et des républiques baltes, à la Syrie -- de plus en plus de responsables militaires et diplomatiques arrivent à la conclusion qu’une guerre totale entre puissances nucléaires est possible ou même inévitable.

Le Munich Security Report 2016, le document officiel de la conférence, montre clairement que la guerre mondiale est une possibilité. Il affirme: « pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, l'escalade de la violence entre grandes puissances ne peut être écarté comme un cauchemar irréaliste. »

Le fait que les dirigeants du monde se disputent vivement entre eux tout en sachant qu'ils conduisent le monde vers des guerres qui pourraient annihiler l'humanité, témoigne de la faillite de l'ordre social capitaliste. En proie aux inégalités sociales et aux tensions de classe, déchiré par la concurrence pour le profit et l’avantage stratégique entre grandes puissances, le capitalisme mondial a atteint une impasse.

Les dirigeants des principaux pouvoirs impérialistes, comme les États-Unis, l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, ne voient pas d'alternative à la guerre. Ainsi le président de la Conférence de Munich, Wolfgang Ischinger, a déclaré dans son discours de clôture, « Il y a un besoin d’utilisation de la force militaire pour faire et imposer la paix. Il est triste qu'il en soit ainsi, mais c’est le cas ».

Le rapport de la conférence énumère de nombreuses questions régionales comme autant de menaces graves. Il cite les crises du Brésil et de la Turquie, la dissolution de l'UE, une sortie britannique de l'UE, des « menaces nucléaires à peine voilées» en Europe de l'Est, la nécessité de trouver des centaines de millions d'emplois pour la population croissante de l'Afrique et le poids économique et géostratégique croissant de la Chine. Les responsables réunis sont aussi de plus en plus conscients et préoccupés du danger de lutte sociale, d’un soulèvement de la classe ouvrière par le bas.

Il est significatif que le rapport identifie la colère sociale de masse comme l'un des « 10 premiers risques pour 2016. » Il s’inquiète de ce que, « alors que le ralentissement de la croissance et la stagnation du niveau de vie attisent le mécontentement populaire, des citoyens en colère descendront dans la rue. »

La conférence a aussi discuté la crise des migrants alors que des centaines de milliers de refugiés syriens, irakiens, afghans fuient la guerre et vont en Europe où la plupart arrivent en Allemagne. Le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier s’en est servi pour promouvoir la remilitarisation allemande, une politique déjà annoncée à la Conférence de 2014.

« Je pense que beaucoup d'entre vous étaient ici il y a deux ans, lorsque nous avons discuté l'évolution du rôle de l'Allemagne et de ses responsabilités, » a-t-il observé. « Aujourd'hui, nous envisageons notre responsabilité d'une manière absolument différente: lorsque la crise de la migration a commencé, nous nous sommes rendu compte qu’il s’agissait plutôt de certaines actions que de devoirs abstraits. »

Cette question a provoqué une réplique réactionnaire du premier ministre français. Avertissant d'une éventuelle dissolution de l'Union européenne, Valls a déclaré que Paris n’était « pas favorable » à l'appel de Berlin à des quotas de refugiés à répartir dans l'UE et que la France ne serait d'accord que pour en prendre 30.000.

(Article paru en anglais le 15 février 2016)

 

Loading