Le gouvernement chinois se prépare à licencier des millions de travailleurs

Dans le cadre des préparatifs de l'ouverture de l'Assemblée populaire nationale (APN), samedi, le gouvernement chinois a annoncé des licenciements massifs dans les entreprises publiques du charbon et de l'acier. D'autres licenciements dans d'autres industries de base sont préfigurés dans des décisions qui se traduiront par la perte d'emploi de millions de travailleurs et des tensions politiques et sociales accrues. 

La direction du Parti communiste chinois (PCC) a retardé la prise de mesures pour faire face à d'énormes surcapacités dans l'industrie lourde et les fameuses sociétés zombies – des entreprises publiques maintenues en vie par l'intermédiaire de prêts bancaires à faible taux d'intérêt – de peur de déclencher des troubles sociaux généralisés. Cependant, avec une économie qui ralentit et des préoccupations au sujet de l'essor de la dette, le régime a annoncé une série importante de licenciements. 

Le premier ministre Li Keqiang a déclaré aux principaux conseillers économiques en décembre: «Nous devons nous armer de détermination et nous mettre au travail. Quant à ces “entreprises zombies” qui une surcapacité absolue, nous devons impitoyablement faire les coupes qui s'imposent.» Li présentera son rapport de travail annuel à l'APN qui délibérera également sur le13e plan quinquennal qui définit les orientations économiques du gouvernement. 

Lundi, le ministre de l'Emploi et du Bien-être Yin Weimin a annoncé que la capacité dans les industries du charbon et de l'acier serait radicalement réduite:1,8 million de travailleurs perdront leur emploi, soit 1,3 million de mineurs de charbon et 500.000 travailleurs de l'acier. Le chiffre était une forte augmentation par rapport à seulement quelques jours avant quand le ministre de l'Industrie Miao Wei a déclaré qu'un million d'emplois seraient perdus dans le charbon et l'acier.

Un rapport de Reuters mardi basé sur des sources gouvernementales anonymes a indiqué que le gouvernement envisage de réduire la capacité dans jusqu'à sept secteurs, y compris le ciment, la verrerie et la construction navale, ce qui entraînera la destruction d'environ six millions d'emplois au cours des trois prochaines années.

L'émergence d'énormes surcapacités de production dans les industries de base de la Chine est intimement liée à la crise économique mondiale continue suite à la crise financière mondiale de 2008-09. La direction du PCC a réagi à l'effondrement des exportations et la perte de 20 millions d'emplois par des plans de relance et un flot de crédit pas cher qui a alimenté une bulle immobilière spéculative.

Comme les gouvernements à travers le monde, Beijing a calculé que la crise était temporaire et que la croissance des exportations devrait reprendre une fois les grandes économies capitalistes rétablies. L'industrie de base s'est élargie, stimulée par des projets d'infrastructure et de construction et un approvisionnement continu du crédit pas cher. Toutefois, les marchés d'exportation stagnent, les investissements dans l'immobilier et l'infrastructure ralentissent et la tant vantée «transition» vers une économie de service n'a pas réussi à soutenir les taux de croissance.

Le ralentissement de l'économie chinoise, maintenant la deuxième plus grande du monde, résonne déjà à l'échelle internationale. La baisse de la demande chinoise pour les matières premières industrielles de base contribue à l'effondrement des prix mondiaux des matières premières, ce qui a maintenant une sérieuse incidence sur les pays exportateurs de matières premières tels que le Brésil, la Russie, l'Afrique du Sud, l'Australie et le Canada.

Les capacités excédentaires en Chine sont énormes. On évalue que la surcapacité d'acier est passée de 132 millions de tonnes par an en 2008 à 327 millions de tonnes en 2014, chiffre qui est plus de trois fois supérieur à la production totale du Japon, deuxième plus grand producteur mondial. Au cours de la même période, la surcapacité du ciment a presque doublé, passant de 450 à 850 millions de tonnes, et celle du raffinage du pétrole a bondi de 77 à 230 millions de tonnes et celle du verre plat est passée de 3,8 millions à 10,8 millions de tonnes.

Selon le Financial Times, 42 pour cent de toutes les entreprises publiques ont perdu de l'argent en 2013. Les profits totaux pour ces groupes sont tombés en termes absolus l'année dernière pour la première fois depuis 2001. L'écart de rendement des actifs entre les entreprises publiques et les entreprises privées est maintenant au plus haut depuis deux décennies. L’intervention du gouvernement pour réduire considérablement la surcapacité pourrait exacerber davantage les contraintes sur le système financier et bancaire puisque les entreprises publiques représentent environ 50 pour cent de toute la dette commerciale.

Déjà il y a des inquiétudes profondes sur la quantité de mauvaises créances. Un rapport du mois dernier de la Chambre de commerce européenne en Chine a déclaré que les prêts à risque ont augmenté de 76 milliards $ au cours des dix premiers mois de 2015 à environ 291 milliards $, soit une augmentation de 35 pour cent.

Les plans du gouvernement chinois pour réduire les surcapacités et les emplois vont toucher certaines régions du pays beaucoup plus sévèrement que d'autres, exacerbant les tensions régionales. Les gouvernements provinciaux et locaux ont souvent maintenu les entreprises publiques «zombies» à flot grâce à l'octroi de prêts afin d'éviter des licenciements massifs et la montée de l'agitation sociale. La région du nord-est où le chômage est déjà très élevé va être particulièrement touchée.

Le PCC cherche à prévenir la résistance largement répandue dans la classe ouvrière en fournissant des fonds pour le recyclage et la recherche d'emploi. Le ministre de l'Industrie Miao Wei a annoncé la semaine dernière que 100 milliards de yuans (15.3 milliards $) seraient fournis pour soutenir les travailleurs de l'acier et du charbon déplacés. Cependant, un travailleur de l'acier Gao Jianqiang a déclaré au China Daily la semaine dernière: «Il y a juste trop d'usines qui ne s’en sortent pas. Cent milliards de yuans ont l’air d’être une somme énorme, mais je ne pense pas que cela va résoudre les problèmes pour tout le monde.»

Beaucoup de ceux qui perdent leur emploi ne pourront tout simplement pas trouver du travail ailleurs. En janvier, la plus grande banque d’investissement chinoise China International Capital Corp (CIIC) a prédit que 30 pour cent des 10 millions de personnes employées dans les industries du charbon, de l'acier, de l'aluminium électrolytique, du ciment et du verre perdraient leur emploi au cours des deux prochaines années.

Le rapport de la CIIC a conclu qu’un million de ces travailleurs ne trouveront pas un nouvel emploi. Cette estimation a été basée sur les résultats de la dernière série de pertes d'emplois massives dans les entreprises publiques à la fin des années 1990, lorsque 21 millions de travailleurs ont été licenciés. Seuls les deux tiers ont retrouvé du travail ou ont été transférés à d'autres emplois.

Le taux de croissance de la Chine dans les années 2000, cependant, avait atteint en moyenne 10 pour cent et atteint un pic de plus de 14 pour cent en 2007. Maintenant, cependant, il est officiellement à 6,9 pour cent et en décélération. Des emplois sont détruits non seulement dans l'industrie lourde, mais aussi dans les secteurs manufacturiers à l'exportation. Le taux de chômage officiel est de 4 pour cent, mais certaines estimations, telles que la recherche menée par le National Bureau of Economic Research (Bureau national de recherche économique), a situé le taux réel à près de 10 pour cent.

Le Business Insider a rapporté la semaine dernière que des millions de travailleurs migrants rentraient après la pause du Nouvel An avec un avenir incertain, «alors que les petites usines, en particulier, luttent pour s’en sortir en raison des commandes anémiques et de l'augmentation des stocks». Il est prévu que les exportations de la province de Guangdong, l'un des principaux centres manufacturiers de la Chine, seront en hausse de seulement 1 pour cent cette année.

Il y a déjà de plus en plus de signes d'opposition chez les travailleurs aux plans de licenciements de masse. Les chiffres produits par le China Labour Bulletin basé à Hong Kong ont montré une forte augmentation du nombre de grèves pour 2015 à 2 774, deux fois plus que pour 2014. En janvier, 504 grèves ont été enregistrées. Les statistiques ne sont qu'un aperçu partiel, car elles reposent sur les informations des médias et des médias sociaux ainsi que des contacts locaux.

De manière significative, mardi, le lendemain de l'annonce que 1,3 million d'emplois miniers seraient détruits, des centaines de mineurs de charbon à Anyuan, au sud-est de la Chine, ont défilé dans la ville de Pingxiang. La société minière locale qui appartient à l'état a réduit la production, licencié les travailleurs et mis d’autres en chômage technique avec un salaire radicalement réduit. Selon le reportage du Washington Post, jusqu'à 1000 travailleurs de trois mines portaient des banderoles déclarant: «Les travailleurs veulent survivre, les travailleurs ont besoin de manger.»

(Article paru en anglais le 3 mars 2016)

 

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