Pourparlers de crise du vice-président américain Joe Biden en Irak

Le vice-président américain Joseph Biden s’est rendu en Irak jeudi pour une réunion de crise avec des responsables à Bagdad puis dans la capitale régionale kurde d’Irbil. Son voyage n'avait pas été annoncé pour des raisons de sécurité, une indication de la situation précaire, tant militaire que politique, du régime fantoche des États Unis.

Biden s’est entretenu une heure et demie avec le premier ministre irakien Haider al-Abadi, dont le gouvernement chiite est de plus en plus fragilisé. Il a également rencontré des dirigeants chiites et sunnites dans la capitale avant de prendre l’avion pour Irbil où il s’est entretenu avec Massoud Barzani, président de la région kurde.

C’était la première visite de Biden en Irak depuis le retrait officiel des troupes américaines fin 2011. Celles-ci sont revenues en force dans le pays après que l'Etat islamique (EI) a envahi Mossoul, la troisième ville d'Irak, en juin 2014, s’emparant de grandes quantités de matériel militaire abandonné par les soldats irakiens dans leur fuite.

Avec l’assistance aérienne et logistique des États-Unis, les forces gouvernementales irakiennes et les peshmergas kurdes ont repris une partie du territoire tombé à l’EI, dont Ramadi, la capitale de la province d'Anbar, et Tikrit, capitale de la province de Salahuddin.

Les combattants de l’EI contrôlent toujours Fallujah, située à 40 km à peine de Bagdad, et la plus grande partie de la province d'Anbar, ainsi que Mossoul, qui comptait autrefois deux millions d’habitants. Les troupes irakiennes, les milices chiites et les peshmergas kurdes ont progressivement avancé sur Mossoul, préparant un assaut de ​​cette ville, qui devrait débuter en mai ou juin, avant le début de la canicule estivale.

Le but principal du voyage de Biden, selon des responsables américains parlant à titre officieux à la presse, est de déterminer si l’actuel gouvernement irakien est capable de mener l'offensive sur Mossoul. Un « haut responsable » non identifié de l’entourage de Biden a dit au Los Angeles Times: « notre appréciation de la situation est que si la dynamique est perdue dans cette campagne, il est plus probable que cela se produise du côté politique que du côté militaire. »

Le gouvernement Abadi a été précipité dans une crise par l’indignation populaire généralisée sur la corruption et la baisse du niveau de vie, alors que les partis au pouvoir principalement chiites se partagent les sinécures, les postes d’influence et volent les revenus pétroliers du pays. La baisse du prix mondial du pétrole, qui a réduit considérablement la principale source de revenus du gouvernement, a rendu les luttes intestines encore plus féroces.

Le religieux chiite Moqtada al-Sadr, dont les partisans avaient combattu le régime d'occupation des États-Unis pendant plusieurs années, a réapparu comme une force politique importante avec des manifestations de masse contre la corruption et pour un remaniement du gouvernement Abadi. Abadi a lui-même cherché à balancer entre les dizaines de milliers de manifestants mobilisés par al-Sadr et la vieille garde de son propre parti, fidèle à l'ancien premier ministre Nouri al-Maliki, prédécesseur d’Abadi.

Mardi, des manifestants ont menacé de prendre d'assaut le bâtiment du parlement irakien dans la ‘zone verte’ protégée si celui-ci refusait de mettre en œuvre un plan de remplacement du gouvernement Abadi, composé des partis chiites, sunnites et kurdes, par un groupe de « technocrates » sans étiquette politiques. Le parlement a finalement ratifié le remplacement de six des 22 ministres avant de s'ajourner.

Il y avait d'autres signes d'instabilité dans la capitale. Lundi, un kamikaze a tué quatorze et blessé trente-huit personnes sur un marché du quartier de New Bagdad, majoritairement chiite. L’EI a souvent ciblé les zones chiites dans ses attaques.

Mercredi, le gouvernement irakien a ordonné la fermeture du bureau d'Al Jazeera Media Network à Bagdad et interdit à ses journalistes d’exercer dans le pays. Al Jazeera est la propriété du gouvernement qatari et généralement aligné sur les monarchies sunnites du Golfe contre l'Iran et le gouvernement irakien dominé par des chiites.

Les convulsions politiques ont affecté la capacité du gouvernement irakien de soutenir l'offensive en cours contre l’EI. Le mois dernier, Abadi a retiré des troupes de la zone de combat autour de la ville de Hit, dans la province d'Anbar, et les a redéployées dans la capitale. Les troupes ont depuis été renvoyées au combat et ont réussi à capturer Hit la semaine dernière.

L'impact de la crise politique à Bagdad sur les avancées militaires contre l’EI a provoqué une série de visites américaines de haut niveau. Le secrétaire d'Etat John Kerry et le secrétaire à la Défense Ashton Carter ont tous les deux visité Bagdad le mois dernier, et la visite de Biden a été motivée par des préoccupations similaires.

La cause sous-jacente de la crise est l'impact dévastateur de la conquête et de l'occupation américaine de l'Irak, qui a détruit le pays en tant que société en état de fonctionnement. Face à la résistance armée généralisée à l'occupation américaine, le gouvernement Bush avait délibérément fomenté une guerre sectaire entre chiites et sunnites culminant dans le bain de sang de 2006-2007.

Des démocrates de premier plan, dont Biden, ont été associés à cette stratégie du diviser pour régner afin de sécuriser les gains d'une guerre criminelle. Biden est notoire pour avoir encouragé en 2006 un plan de partition de l'Irak en trois régions semi-indépendantes: le centre et le sud gouvernés par les chiites, l’ouest et le nord-ouest contrôlé par les sunnites, et un Kurdistan autonome dans le nord-est du pays. Les divisions actuelles dans le pays suivent ces lignes, l’EI contrôlant en majeure partie la région peuplée par les sunnites.

La promotion de divisions sectaires en Irak a été suivie sous Obama par celle des organisations islamiques fondamentalistes sunnites, d’abord dans la guerre pour renverser le gouvernement de Mouammar Kadhafi en Libye, puis celle contre le gouvernement de Bachar al-Assad en Syrie. L’EI est lui-même issu de ces opérations, largement financées et fournies en armes par les monarchies du Golfe soutenues par les Etats-Unis. Ces derniers n’ont réagi pour freiner son avance que lorsqu’il a commencé à contrôler des régions irakiennes riches en pétrole.

Préfigurant le type de conflits entre partis et milices à base ethnique qui pourraient éclater sur une grande échelle, les troupes kurdes et les milices chiites irakiennes ont échangé des tir de mortier et de mitrailleuse dimanche à Tuz Khurmatu. Cette ville à population mixte à 190 km au nord de Bagdad est située près de la ligne informelle de séparation entre les provinces contrôlées par les Kurdes et celles contrôlées par les forces loyales à Bagdad. Au moins 12 personnes ont été tuées.

Des articles ont décrit la ville comme « abritant un mélange d’Arabes, de Kurdes, de Turkmènes, sunnites et chiites, » donnant une idée du caractère complexe et entremêlé de la population. Ils ont aussi indiqué que des chiites turkmènes étaient impliqués cette semaine dans le conflit contre les Kurdes, ainsi que des Arabes chiites.

Hadi al-Amiri, le chef de l'Organisation Badr, la plus puissante milice chiite, est arrivé à Kirkouk, la ville kurde la plus proche, pour négocier une trêve des combats avec les commandants kurdes.

Il y a peu de doute que le vice-président Biden ait discuté le conflit entre kurdes et chiites lors de sa rencontre jeudi soir avec Massoud Barzani, le président de la région kurde à Irbil.

L'affrontement a directement miné l'offensive imminente contre Mossoul où les forces kurdes, les milices chiites et les troupes de l'armée irakienne sont censées coordonner leurs opérations pour un assaut concerté contre l’EI.

Le gouvernement Obama n'a cessé de renforcer les troupes américaines en Irak, qui comptent maintenant plus de 5000 soldats dont des centaines de Marines et des Forces spéciales engagées dans les combats avec l’EI, malgré les affirmations de la Maison Blanche que ces dernières s’occupent seulement de la « formation » et agissent en tant que « conseillers. »

Il est probable qu’une fois lancée l'offensive contre Mossoul, les chiffres des victimes seront extrêmement élevés de tous côtés – parmi les différentes forces irakiennes dans l’attaque et la défense de la ville, parmi les troupes américaines et surtout parmi les centaines de milliers de civils toujours pris au piège dans ce qui est sur le point de devenir un sanglant champ de bataille. 

(article paru en anglais le 29 avril 2016)

 

 

 

 

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